Le 2 mai de l’an terrestre 2016, ou, pour mieux se situer, à 4,54 zirconères de notre temps, soit 4,54 milliards d’années depuis la naissance de leur mythique planète, des terriens scientifiques, usant d’archaïques lunettes, repérèrent notre précieux et bien-aimé monde. Déjà, au lendemain de la nouvelle, plusieurs de ces singulières créatures rêvèrent de s’élancer vers nous, de traverser les quelque 35 photosqarks qui nous séparent d’eux. Imaginez ! Eux qui peinaient à vaincre la vitesse du son, devaient s’approcher de la vitesse de la lumière et franchir le fossé salutaire de 350 000 milliards de leurs kilomètres qui nous isolaient d’eux.
Des centaines de leurs révolutions planétaires s’écoulèrent, puis, malgré des connaissances rudimentaires, mais par la force de leur féroce appétit de découvrir, ils percèrent enfin les secrets de la lumière, et encore quelques centaines de leurs années plus tard, pendant qu’ils recueillaient le fruit de leur incurie millénaire sur leur malheureuse et jadis prodigue terre, dilapidée et transformée qu’elle fût en roche aride et inhospitalière − certains parmi vous connaissent déjà cette affligeante histoire − après ce temps donc, ils parvinrent enfin à se déplacer à la moitié de la vitesse photonique. Pendant 70 de leurs années, ou 56 des nôtres, la révolution de notre planète autour de Symsis, notre inestimable étoile, s’étirant sur une période plus longue, ils voyagèrent dans le vide sidéral pour atteindre enfin notre système, alors que les cendres de ceux qui, à l’origine, s’étaient embarqués dans cette odyssée, dérivaient déjà dans l’espace. Les autres avaient vu le jour dans leur minable aéronef, avaient appris des premiers, ne savaient leur monde d’origine que par les souvenirs légués par les autres. N’ayant jamais rien vu, mais croyant tout connaître, ils franchissaient l’espace, s’éloignaient de leur planète mère, affrontaient l’inconnu, migrants nouveaux vers une terre d’accueil interstellaire, espérant coloniser un monde qui ne les avait pas invités, comme jadis, à une époque ancestrale, certains de leur espèce avaient bravé les abîmes pour s’approprier par la tromperie ou la violence des contrées paisibles. Or, durant le périple de ces néo-explorateurs, leur planète s’est éteinte.
Car cette créature est vaniteuse et centrée sur elle-même. Pour elle, l’individu prévaut sur le clan, le clan sur l’espèce. Présomptueuse, elle agit pour elle-même, s’approprie toute chose, détruit la vie et, inimaginable, s’autodétruit jusqu’à l’extermination. Irréfléchie, elle ne se soucie pas des choses qu’elle ne maîtrise pas, ou dont l’existence transcende son esprit obtus et prisonnier d’un corps fragile et corrompu. Hautaine, elle s’autoproclame maître de sa destinée, déniant l’essence de ce qui la constitue vraiment, le Tout, fontaine de vie. Il en découle que, tout au contraire de nous, cette créature ne s’est pas émancipée de la matière, de son corps, elle n’existe pas en essence, son esprit libre dans le Tout, et le Tout, moteur de l’esprit. À une époque, certains s’étaient pourtant affranchis. On les a persécutés, on les a isolés, on les a immolés.
Oui. Destin tragique d’une désolante créature contrainte à fuir, à migrer vers nous.
Pourquoi ne sont-ils pas restés ?
© Jean-Marc Ouellet 2016
Notice biographique
Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, Jean-Marc Ouellet pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, il signe une chronique depuis janvier 2011 dans le magazine littéraire électronique « Le Chat Qui Louche ». En avril 2011, il publie son premier roman, L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis Chroniques d’un seigneur silencieux aux Éditions du Chat Qui Louche. En mars 2016, il publie son troisième roman, Les griffes de l’invisible, aux Éditions Triptyque.