"Ces êtres étaient à la fois horribles et magnifiques - de splendides monstres iridescents".

Par Christophe
Mais de qui parle-t-il ? Qui sont ces êtres aussi fascinants que dangereux qu'évoque le titre de ce billet ? Ah, ah ! En fait, non, pas vraiment de suspense, vous le saurez vite, la réponse est dans le titre du livre dont nous allons parler ce soir, alors... Voici une nouvelle découverte que je dois aux Imaginales, avec un thriller fantastique prenant et mêlant habilement textes anciens, faits et personnages réels et fiction. "La malédiction des anges", premier volet d'un diptyque signé par une romancière américaine, Danielle Trussoni, est paru aux Fleuve Noir, puis en poche chez Pocket, mais on peut également trouver les deux volumes sur un même fichier numérique, aux éditions 12-21. Un roman dont je ne savais pas trop quoi attendre quand je l'ai ouvert, et qui m'a embarqué avant même que je m'en rende compte... Un thriller avec des anges, donc, mais pas tout à fait ceux qu'on s'attend à rencontrer...

Evangéline est nonne dans un couvent de l'Etat de New York. Elle appartient à l'ordre des Franciscains et est soeur de l'Adoration Perpétuelle. Une vie contemplative dans laquelle elle s'épanouit depuis son arrivée dans cet endroit, alors qu'elle n'avait qu'une douzaine d'années, peu après la mort de sa mère. Elle mène désormais une vie de prière, donc, mais pas seulement.
Depuis qu'elle a prononcé ses voeux, Evangéline occupe le poste d'assistante auprès de la bibliothécaire du couvent, soeur Philoména. Un poste modeste, mais qui convient à la jeune femme de 23 ans, dont les journées de travail commencent toujours par la lecture des requêtes venues de l'extérieur d'un couvent qui n'est plus, comme autrefois, complètement coupé du monde.
Ce matin-là, l'avant-fête de la fête de Noël, en 1999, Evangéline découvre un étrange message dans le courrier du jour. Signée par un mystérieux Monsieur Verlaine, qui ne semble pas avoir grand-chose à voir avec le poète, cette lettre évoque un client anonyme à la recherche de lettres qu'auraient échangées dans les années 1940 la mère supérieure de l'époque, Innocenta, et la philanthrope Abigail Rockefeller, grâce à qui le Museum of Modern Art vit le jour.
Un peu agacé par le ton hautain voire comminatoire de ce courrier, Evangéline répond sur un ton aussi sec que les archives du couvent ne sont plus accessibles au public. Mais, cette lettre a marqué l'esprit de la jeune soeur. Cette histoire de correspondance, d'une part, mais aussi cette date, restée gravée dans l'histoire du couvent, pour un drame terrible...
Le curiosité a beau être un vilain défaut, et sans doute un péché passible de quelques chapelets en pénitence, Evangéline se plonge dans les archives et découvre les fameuses lettres évoquées par Verlaine dans sa lettre. Au temps pour la curiosité, Evangéline a très envie d'en savoir plus sur cette période que les récits des nonnes les plus âgées.
Sans le savoir, la jeune soeur a soulevé un lièvre dont la découverte va mettre sens dessus dessous sa vie bien rangée, bien réglée. Car, derrière ces lettres, se cache une histoire extraordinaire, dont les soeur du couvent Sainte-Rose sont les dépositaires. Et, derrière Verlaine, se trouve un commanditaire prêt à tout pour obtenir ce qu'il cherche : Percival Grigori...
"La malédiction des anges" est un thriller contemporain, ancré dans l'Amérique de la fin du XXe siècle, mais dont les ramifications remontent à des périodes plus lointaines. Les années 1940, on l'a déjà évoqué, mais d'autres, encore, bien plus loin dans l'Histoire, peut-être même jusqu'aux origines de l'Humanité.
Je suis forcé, et je m'en excuse, pour parler de ce livre d'en dévoiler un peu plus. D'aborder le thème fort de ce roman, et de sa suite. De l'intrigue, des rebondissements, des faits évoqués dans le livre, je ne parlerai pas, mais, des anges, oui, forcément, on est obligé d'en parler, puisqu'ils sont là, ils sont parmi nous...
Avec un mot qui ne parlera peut-être pas à tous : les Nephilim. Un mot qu'on trouve par deux fois dans l'Ancien Testament, avec une occurrence remarquable, dans le livre de la Genèse, au verset 4 du chapitre 6. Je ne mets pas le texte ici, on le trouve aisément sur internet si on n'a pas de Bible sous la main. Et on a le point de départ du roman de Danielle Trussoni.
Donner une définition exacte de ce que sont les Nephilim est impossible. Il faut se contenter des interprétations, celles-là même avec lesquelles la romancière va jouer pour construire son intrigue. Car ces êtres célestes ne sont pas du tout à l'image des angelots joufflus et fessus dont nous connaissons les représentations dans nombre d'édifices, sur nombre de tableaux.
Non, ces anges-là ont été déchus par Dieu qui les a chassés du ciel et les a envoyés sur terre purger leur peine... Ce qui ne leur donne pas vraiment l'image protectrice des anges gardiens ou séductrice des anges croisés dans certains romans actuels (en particulier dans ce qu'on appelle la bit-lit). Là, il se dégage de ces être quelque chose de fascinant autant que menaçant, et on retrouve notre titre.
Danielle Trussoni travaille ensuite sur cette image négative de l'ange et s'appuie sur un autre texte, un de ces livres apocryphes, ces textes écartés par les autorités religieuses, juives comme chrétiennes, au fil des époques. Il s'agit du livre d'Hénoch, dans lequel on trouve le récit de la rébellion des anges déchus, qui fait écho au verset de la Genèse.
Voilà pour les sources avérées, le reste, c'est le travail de l'écrivain et de son imaginaire pour, de ces éléments, construire une intrigue à tiroir, en jouant sur des révélations successives, mais aussi des récits en forme de flash-back qui viennent éclairer peu à peu la situation délicate dans laquelle Evangéline se retrouve.
Une narration qui n'est donc pas linéaire, et ça embête et embêtera toujours certains lecteurs, c'est ainsi, et qui permet au lecteur d'être logé presque à la même enseigne que le personnage central : découvrir et comprendre les enjeux de cette affaire petit à petit. Et nous révéler une trame romanesque tout à fait inattendue.
Lorsque j'ai vu apparaître le terme d' "angéologie", je dois dire que je me suis un peu inquiété... Irait-on vers des délires ésotériques à la Dan Brown ? Mais pas du tout, c'est l'autre excellente idée, je trouve de ce roman : un groupe de femmes et d'hommes travaillant depuis des siècles sur la présence des Nephilim dans notre monde. N'en disons pas plus...
On s'attend, puisqu'on a pour cadre principal un couvent, à quelque chose qui soit très orienté vers la religion, mais ce n'est pas le cas : les angéologues viennent de tous les milieux, de toutes les croyances, certains sont athées, d'autres croient mais ce n'est pas l'essentiel, loin de là. Car les questions qui se posent ici ne sont plus vraiment théologiques.
Non, il s'agit d'un bon vieux combat entre le bien et le mal, rien de plus classique, et pourtant, redoutablement efficace. Une irruption des récits légendaires de chevaliers chasseurs de dragons des temps anciens, par exemple, dans notre époque contemporaine. Pas d'effets superfétatoires mais des figures angéliques qui sont au service du roman, et non l'inverse, comme ça arrive parfois.
La tension monte au fil des chapitres et des révélations, en jouant plus sur les rapports de force que sur le côté fantastique des créatures engagées dans cette histoire. C'est cela qui m'a plu et m'a embarqué jusqu'au bout de ce premier tome et de sa révélation finale (oh, un peu attendue, c'est vrai, mais peu importe).
Danielle Trussoni multiplie les faux-semblants et les fausses pistes. A plusieurs reprises, le lecteur ne sait plus sur quel pied danser, hésitant entre tel ou tel personnage à démasquer... Parfois, de bonnes idées n'empêchent pas qu'une intrigue se délite, ici, ce n'est pas du tout le cas, avec un final haletant qui ouvre d'intéressantes perspectives pour le second volet du diptyque.
Je n'ai évoqué que très peu de personnages de ce roman, depuis le début de ce billet. Mais, là aussi, on a une galerie très intéressante, gravitant autour du personnage d'Evangéline. Elle n'est sans doute pas le plus remarquable de cette distribution, car elle a ce côté très candide que lui impose sa situation de jeune fille ayant grandi dans un couvent.
Pourtant, c'est un personnage appelé à évoluer. Une innocente, dans le sens où, au départ, elle n'imagine absolument pas ce qui l'attend, assembler les éléments que sa mémoire avait refoulé paisiblement avec ceux dont elle ignorait l'existence. C'est cette progression qui fait de la jeune franciscaine un personnage fort, prête à sortir de son cocon.
Mais, parmi les seconds rôles, et particulièrement chez les personnages féminins, on a de véritables héroïnes dont on suit le courageux parcours au long des chapitres. Les personnages masculins, à l'image de Verlaine, m'ont paru plus en retrait, ou plus ambigus, alors que les femmes sont pleines de détermination, de fougue.
"Anges et démons... les uns ne sont que le reflet des autres", dit un des personnages de ce roman. Mais, les choses sont sans doute plus complexes que cette formule ne peut l'indiquer. Et Danielle Trussoni nous laisse, à la fin de ce premier volet, sur une situation des plus inconfortables que la lecture du deuxième volet devrait permettre d'éclaircir. Avec, espérons-le, la même capacité d'entraînement.