L'entrée de la BNT le 2 juin. (c) Jan Demeulemeester
Début juin, j'étais à Tunis pour prendre part à la chaleureuse et brillante commémoration du décès de l'écrivain Alain Nadaud (1948-2015, lire ici) qui s'est tenue à la Bibliothèque nationale de Tunisie (BNT). Une matinée de rencontres autour de l'œuvre et de la personne de l'auteur Français qui vivait à Gammarth depuis dix-sept ans - précédemment, dans les années 1980, il avait dirigé le Bureau du livre à Tunis. De quoi faire revivre par la parole, la lecture, l'image, le son, le film et une performance l'homme extraordinaire qu'il fut, intellectuel exigeant et ami chaleureux. Une absence-présence qui fit du bien.
A cette occasion, les éditions Sa'Al qu'il avait fondées avec son épouse, l'artiste tunisienne Sadika Keskes, lui consacrent un livre collectif illustré, "Présence d'Alain Nadaud" (coédité avec Simpact et la BNT). L'ouvrage est préfacé par Raja Ben Slama, la directrice de la Bibliothèque. Cette dernière a saisi l'occasion de la commémoration pour annoncer la numérisation des manuscrits d'Alain Nadaud à l'intention des étudiants et des chercheurs de la BNT mais aussi des lecteurs.
"Présence d'Alain Nadaud" rassemble des analyses et des témoignages ainsi que de nombreuses images de l'exposition collective "La joie", qui est la première à avoir été montée dans la galerie qui porte désormais le nom de l'écrivain dans l'espace artistique Sadika à Gammarth.
Le livre s'achève idéalement avec le texte "Autobiographie semi-fictive" qu'Alain Nadaud écrivit en 2010.
Ce déplacement en Tunisie a aussi été l'occasion d'inaugurer l'exposition POLLEN dans les superbes jardins de la résidence de l'ambassade de France à La Marsa, Dar Al Kamila. Une exposition mêlant arts plastiques et littérature puisqu'elle accueille neuf artistes plasticiens et quatre écrivains dont les textes sont à lire au détour de l'exploration, Colette Fellous, Hedi Kaddour, Naceur Khemir et Pierre Assouline. Ce sont les commissaires Sadika Keskes et Wadi Mhiri qui ont demandé à ces créateurs de nous proposer leur regard sur le monde.
Si je vous en parle aujourd'hui, c'est parce qu'elle se termine demain avec un performance du plasticien français Richard Conte. A 17 heures, à 100 mètres de Dar Al Kamila, il proposera "Bille en tête", un "ciel de boules au sol", tableau évolutif et vivant qu'il composera avec une centaine de boulistes.
Performance collective de Richard Conte.
Auparavant, de 11 à 16 heures, ce sera la dernière occasion de visiter l'exposition POLLEN.
Ce qui m'a le plus impressionnée dans les œuvres des artistes Meriem Bouderbala, Mouna Jemal Siala, Sadika Keskes, Najet Ghrissi, Noutayel Belkhadi, Houda Ghorbel, Wadi Mhiri et Bchira Triki, ce sont celles de Houda Ghorbel, Sadika Keskes, Mouna Jemal Siala, Wadi Mhiri et Bchira Triki.
Mille mercis à Amor Ben Rhouma de m'avoir permis de reproduire ses photos pour vous les montrer.
"Terre, pardonne-nous!" (c) Amor Ben Rhouma.
"Terre, pardonne-nous!" de Houda Ghorbel, en terre, céramique et arbres, montre des pieds de géants dépassant de la terre pour mieux nous alerter sur notre environnement.
"Homme que je suis, ton fils ma Terre, j'ai honte de mes actes
Honte de mon ignorance envers la diversité des pensées!
Honte de ma criminalité envers les peuples démunis!
Honte de ma cupidité envers mes frères!
Honte de mes armes meurtrières envers tes larmes!
Terre, pardonne-nous!"
"Tombeaux". (c) Amor Ben Rhouma.
En hommage aux martyrs tombés pour une Tunisie libre et démocrate, "Tombeaux" de Sadika Keskes se compose de onze tombeaux en cubes de verre bleu, sa création personnelle, son terreau de création, écho à une précédente installation de tombeaux, cette fois en verre transparent et avec l'aide de la population locale, sur la place en face de la mairie de Kasserine. C'était à la mi-août 2013. Cette première installation demeura trois mois sur place sans aucun dégât jusqu'à ce qu'il soit ordonné de la démolir...
"Réflexion". (c) Amor Ben Rhouma.
Mouna Jemail Siala, elle, propose "Réflexion", une installation faite de parallélépipèdes de verre entourant des statues. Une idée qui lui est venue après l'initiative du musée du Capitole à Rome de voiler les statues dénudées à l'occasion de la visite du président iranien. Elle a donc couvert les statues du jardin de la résidence de parallélipipèdes dont la surface est un miroir qui réfléchit le jardin alentour mais qui, lorsqu'on s'en approche, allume une lampe à l'intérieur qui rend le miroir inopérant. La statue est alors à nouveau visible! Une réflexion à double sens."Jardin des lettres". (c) Amor Ben Rhouma.
Plus loin, le "Jardin des lettres" de Bchira Triki fait danser les lettres et les mots en ascension verticale, rappelant l'univers mystique des Soufis.
"Allongez-vous" (c) Ghassen Oueslati.
"Allongez-vous" (c) Ghassen Oueslati.
"Allongez-vous". (c) DR
Enfin, on pouvait revoir dans le joli kiosque à musique l'impressionnant "Allongez-vous" (céramique, bois et tissu) de Wadi Mhiri, déjà montré dans une précédente exposition. Soit un grand lit à baldaquin, immaculé, sur lequel on est prié de s'allonger. Et c'est à ce moment que s'écrivent, en lettres faites de cartouches suspendues, les mots "Jihad Annikah" (le jihad du sexe). La contribution, souvent forcée ou ignorante, des femmes dans le couloir de la mort qu'est le jihad.
Bains de soleil noir. (c) Amor Ben Rhouma.
La visite se termine par une œuvre qui met mal à l'aise pour des raisons moins honorables, le "Solitaire Siméon" de Meriem Bouderbala, installé assis et se tenant les genoux en haut d'un palmier mort avec des zodiacs au pied du tronc, des "Bains de soleil noir". Une allusion mêlant la maladie des palmiers et le sort des réfugiés syriens selon ses mots. Une œuvre qu'on ne peut s'empêcher de lier à celle du collectif belge Schellekens & Peleman, "Inflatable Refugee" (réfugié gonflable). Avec son migrant assis, se tenant les genoux, en toile de bateau gonflable comme les Zodiacs, elle sillonne les mers depuis novembre 2015 et porte des lettres de réfugiés qui sont, traduites, imprimées et transmises aux populations (lire ici).Inflatable Refugee. (c) Schellekens & Peleman.