Pays d’Utopie et frilosité morale, par Alain Gagnon…

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Encore dans Comme je parle d’Aldo Sterone, je trouve ce paragraphe qui m’interpelle :

(…) laissant tomber le monde francophone, j’ai pu reprendre ma vie en mains. Dans le système anglo-saxon, on te met dans la case que tu choisis toi-même.

Cette constatation de Sterone me ramène en mémoire le bien-être ressenti lorsqu’en 1973, à l’âge de 30 ans, j’ai déménagé à Kingston en Ontario, cette ville orangiste, dite très WASP. Pour la première fois, je n’étais plus le fils de, le parent de, le cousin de, le natif de, de telle branche des Gagnon…, mais bel et bien une personne, un individu, qui allait recevoir selon ce qu’il pouvait donner.

Au Québec, on étouffait alors dans le conformisme politique. Lacer ses souliers prenait une signification politique. Imaginez lorsque vous écriviez. Les écrivains se perdaient dans les « pourquoi » et les « pour qui écrire »… Nous en étions d’une justification à l’autre. Le marxisme régnait partout, sous ses formes édulcorées souvent. Quel bol d’air frais en atteignant les rives du lac Ontario !

Lorsque je suis revenu, huit ans plus tard, le Québec avait changé, mais demeurait politiquement frileux.
Et maintenant, c’est l’intelligentsia canadienne-anglaise qui attrape les torticolis éthiques du monde universitaire américain. Les virus de la rectitude politique éclosent sur les campus, puis pénètrent les groupes sociaux où ils donnent naissance aux conformismes, aux prêts-à-penser.

Vive l’Utopie ! — car elle n’est nulle part ; elle ne peut donc décevoir, tout comme elle ne peut réaliser aucun vœu.

Dans Tocqueville, cette phrase qui devrait troubler le sommeil de plusieurs gouvernants :

Le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer. Il n’y a qu’un grand génie qui puisse sauver un prince qui entreprend de soulager ses sujets après une oppression longue. Le mal qu’on souffrait patiemment comme inévitable semble insupportable dès qu’on conçoit l’idée de s’y soustraire. (Comme disait Monsieur de Tocqueville…, Antoine Redier.)

L’auteur…

Auteur prolifique, Alain Gagnon a remporté à deux reprises le Prix fiction roman du Salon chat qui louche maykan alain gagnondu Livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour Sud (Pleine Lune, 1996) et Thomas K (Pleine Lune, 1998).  Quatre de ses ouvrages en prose sont ensuite parus chez Triptyque : Lélie ou la vie horizontale (2003), Jakob, fils de Jakob (2004),Le truc de l’oncle Henry (2006) et Les Dames de l’Estuaire (2013).  Il a reçu à quatre reprises le Prix poésie du même salon pour Ces oiseaux de mémoire (Le Loup de Gouttière, 2003), L’espace de la musique (Triptyque, 2005), Les versets du pluriel (Triptyque, 2008) et Chants d’août (Triptyque, 2011).  En octobre 2011, on lui décernera le Prix littéraire Intérêt général pour son essai, Propos pour Jacob (La Grenouille Bleue, 2010).  Il a aussi publié quelques ouvrages du genre fantastique, dont Kassauan, Chronique d’Euxémie et Cornes (Éd. du CRAM), et Le bal des dieux (MBNE) ; récemment il publiait un essai, Fantômes d’étoiles, chez ce même éditeur .  On compte également plusieurs parutions chez Lanctôt Éditeur (Michel Brûlé), Pierre Tisseyre et JCL.  De novembre 2008 à décembre 2009, il a joué le rôle d’éditeur associé à la Grenouille bleue.  Il gère aujourd’hui un blogue qui est devenu un véritable magazine littéraire : Le Chat Qui Louche 1 et 2 (https://maykan.wordpress.com/).