Auteur : Mathias Enard
Editeur : Actes Sud
Date de parution : 2012 et 2014 en poche (Babel)
349 pages en poche
Je n'ai pas retrouvé le style de Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, sans toutefois être déçue.
La première phrase met immédiatement le lecteur dans le bain (j'avoue que j'ai été séduite d'emblée) :
" Les hommes sont des chiens, ils se frottent les uns aux autres dans la misère, ils se roulent dans la crasse sans pouvoir en sortir, se lèchent le poil et le sexe à longueur de journée, allongés dans la poussière prêts à tout pour le bout de barbaque ou l'os pourri qu'on voudra bien leur lancer, et moi tout comme eux, je suis un être humain, donc un détritus vicieux esclave de ses instincts, un chien, un chien qui mord quand il a peur et cherche les caresses. "
Lakhdar est un jeune marocain de Tanger, un peu musulman, un peu amoureux de sa cousine, complètement chassé de chez lui, et qui va se retrouver à la rue, côtoyer des gens qui vont l'aider et en même temps l'effrayer, toujours un livre à la main. C'est un roman de l'errance.
Le narrateur (l'auteur ?) porte un regard désenchanté sur le monde actuel à l'heure des révolutions arabes, et de la montée de l'islamisme. J'ai aimé me perdre dans les ruelles de Tanger puis dans la cour des miracles de la rue des voleurs à Barcelone aussi bien que dans les réflexions du personnage en quête de liberté, de fidélité, d'espoir, s'interrogeant sur le sens de la vie, sur le sens des révoltes, et s'inquiétant de la radicalisation de son ami.
Lakhdar est un personnage sincère, généreux et entier. Son amour pour Judit, son amitié pour Bassam, sa passion pour les polars français, le rendent sympathique et touchant.
Roman d'actualité, roman politique, roman des désillusions, roman d'un auteur qui connaît bien son sujet et qui est capable d'en parler à la faveur d'une histoire riche en péripéties.
" La vie est une machine à arracher l'être ; elle nous dépouille, depuis l'enfance, pour nous repeupler en nous plongeant dans un bain de contacts, de voix, de messages qui nous modifient à l'infini, nous sommes en mouvement ; un cliché instantané ne donne qu'un portrait vide [...] "
" [...] j'étais en route pour ma prison, déjà enfermé dans la tour d'ivoire des livres, qui est le seul endroit sur terre où il fasse bon vivre. "