Étincelles dans la nuit dispersées par le vent, un texte de Claude-Andrée L’Espérance…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Les derniers oiseaux marins ont déserté les berges. Le soleil sombre dans les eaux du fjord. La lune ronde poursuit sa trajectoire. Mes pas s’arrêtent ici… À fleur d’eau le chant des bélugas est venu troubler le silence. À présent il n’y a plus que le bruissement des vagues et moi, seule dans la nuit, à veiller un feu sur la grève.

Je suis venue ici, j’y suis venue à pied. Pour de la nuit primitive retrouver la mémoire et les étoiles et l’odeur du varech emmêlé à celle des conifères.

Les flammes ravivent mes souvenirs. Je suis ici, je suis ailleurs. Assise auprès des autres. Enfants silencieux luttant contre le sommeil. Fratrie attentive à la parole des grands, aux chants, aux histoires. Diables dans l’ombre et esprits moqueurs. Matières brutes de l’enfance. Du temps où autour d’un feu nous tenions la mort à distance.

Qu’est-il arrivé aux grands, aux chants, aux histoires, aux diables dans l’ombre et aux esprits moqueurs ?

De la nuit, inutile d’ausculter le silence, de scruter les ténèbres. Les enfants silencieux ont cessé de se taire et les grands ne sont plus. Et se sont perdus leurs chants, leurs histoires. Tout comme le diable et les esprits moqueurs.

De la nuit, inutile de sonder la pénombre quand une lune pleine vient dévoiler soudain les courbes des montagnes, la brillance des eaux, le relief des caps, le chemin parcouru.

Je suis venue ici, j’y suis venue à pied. Pour poser mes pas dans des traces anciennes. Pour retrouver la piste des commencements. Du temps où nous marchions. Alors que s’effritaient les pierres s’usaient les montagnes, s’asséchaient les mers, fondaient les glaciers, coulaient les rivières en méandres.

Pendant que les femmes sans cesse refaisaient le monde. Multitude à naître et à mourir. Étincelles dans la nuit dispersées par le vent.

Notice biographique

Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée à la fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, à force d’y vivre, ont fini par en prendre la couleur. Installée aux abords du fjord du Saguenay, en marge d’un petit village forestier et touristique, elle partage son temps entre sa passion pour l’écriture et le métier de cueilleuse qui l’entraîne chaque été à travers champs et forêts.  Elle est l’auteure des photographies présentées ici.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)