1870 : les belles années ! Une fillette nait sous le nom de Carmen Costello. Sa mère, Augusta Iglesias une bonne ménagère, mais avant tout, une chanteuse de rue peu connue. Édouardo Carson, son père, est un ancien officier grec devenu tavernier. Augusta doit maintenant se prostituer pour subvenir aux besoins criants de sa jeune famille de 5 enfants. Son grand frère s’appelle Francisco, dit le Grand. Son deuxième, Valentin, est surnommé le Charmeur. Quant à Adolfo, le troisième, on l’appelle le Dur. Carmen et Dolores sont jumelles identiques ; on les surnomme affectueusement « les petites poupées ».
Le père ne cesse d’accumuler les dettes de jeux, les problèmes et les soirées bien arrosées, ce qui rend la vie familiale désordonnée et misérable.
Le début de l’adolescence de Carmen s’amorce par un viol brutal lors d’une fête au village. Un soir de juillet, elle n’a que 13 ans.
Le drame se passe dans la chambre no 30 du Motel Del Sirenas (Motel des Sirènes). Un jeune homme brise ce jour-là ce qui lui reste de son enfance, de ses cheveux d’ange, de sa douceur, de sa naïveté, de ses rêves et de ses poupées. On le nomme Roméo, son vrai nom est Vincent Romero, un savetier. Il marque la jeune Carmen au fer rouge en ce début d’été et la laisse au seuil de l’enfer.
Le lendemain, elle revient à la maison avec de nouveaux démons au cœur qui la hanteront à jamais. Elle voue depuis une haine incurable à la gent masculine. Elle raconte dans ses mémoires toutes les horreurs qu’elle aimerait faire subir à plusieurs jeunes et valeureux villageois. Elle fantasme avec le mal et danse avec les hyènes sous la lune pleine. Elle se voit, se délectant du sang frais qui macule leur corps encore tiède. Une nuée de jeunes hommes morts exsangues après qu’elle eût sectionné leur verge si précieuse. De telles visions la font frissonner de plaisir !
La belle grandit en montrant ses charmes dans les cabarets. On la remarque au bras de son premier et seul amant, qui deviendra son proxénète, son ami ainsi que son ennemi, Paco Coll Leon. Il lui enseigne l’art de la scène. Elle est dans la fleur de l’âge, à peine 17 ans. Enceinte de quelques semaines, elle se fait avorter par un charlatan qui la rendra stérile. Ce fut son premier deuil. Dès son rétablissement, elle se produit dans des endroits mal famés sous son nouveau nom de scène, Carolina. Sensuelle, elle dénude ses épaules chaudes sous son regard de femme enfant. Elle acquiert ainsi une certaine notoriété. Elle exercera ses charmes jusqu’au Moulin Rouge, à Paris, en 1889.
Sa réussite est totale. Elle porte des tenues somptueuses et des bijoux offerts par ses admirateurs. Elle joue à la grande dame, celle qu’elle aurait dû être, celle dont elle rêvait petite fille. Des colliers de joyaux véritables ornent son cou et mettent en valeur sa poitrine généreuse. Des pierres précieuses ornent ses lobes délicats. Ses seins ont fait sa renommée. Les Parisiens murmurent qu’ils ont inspiré la forme des coupoles de l’Hôtel Carlton à Cannes.
Elle est plus qu’une prostituée, elle est une muse, une poétesse de la scène, une beauté rare, mystérieuse et insaisissable. Les hommes en tombent amoureux dès que leur regard effleure ses courbes olympiennes que découpent les lumières de la scène. Les peintres se l’arrachent, les poètes la citent, les chanteurs de charme l’idolâtrent. On se plait à raconter qu’elle pousse les hommes aux suicides. Sa mère la renie et son père meurt dans un incendie qui emporte la demeure familiale – sans doute un règlement de compte. Sa jumelle, Dolores, s’en sort brûlée au troisième degré. Elle s’en remettra, mais portera à jamais les stigmates du diable sur la moitié de son corps.
La vingtaine approche. Dolores envie Carmen. Elle jalouse ses yeux de biche et l’attention dont on l’entoure. Elle erre seule, ses frères sont à la guerre ; pendant ce temps, Carmen se dorlote et vit dans l’abondance. Elle se baigne comme une reine dans des laits couteux et participe aux soirées les plus huppées.
C’est alors que Carmen décide d’acheter le Motel maintenant délabré où elle a subi l’agression du savetier à Ponto Valga, village de son enfance. Le Motel Del Sirenas. Elle espère ainsi exorciser son mal. Son amant Coll, maintenant devenu son mari, en fait un bordel très rentable, mais cible des mauvaises langues :
Il parait que la chambre no 30 est une porte directe vers le paradis, ou l’enfer, tout dépend si l’homme est vertueux où un malfrat, s’amusent à répéter les femmes à leurs hommes pour s’assurer qu’ils ne sautent pas la clôture. Que des commérages de bonnes femmes, se disent les maris en mal d’amour et de chair fraîche.
Depuis douze mois, de plus en plus de disparitions inquiètent les villageois. Le prêtre du lieu avise au prône de ne pas approcher le Motel des Sirènes, que c’est là un sacrilège ! Un péché de regarder l’enfer se déhancher sous les feux d’une musique enivrante…
Depuis l’arrivée de l’homme au chapeau noir et de sa putain, tout va mal dans notre bon comté, crie le juge en colère au commissaire du coin. La belle Costello ne fait que prendre du bon temps et essaie d’apaiser les douleurs chroniques de sa chère sœur, dit finalement le maire.
En effet, Carmen veut mettre un baume sur les cicatrices de Dolores. Sa douleur lui rappelle la sienne, comme si sa jumelle portait les marques de son viol.
Les enquêtes n’aboutissent à rien, les indices ne sont qu’impasses.
Possiblement des suicides, ou des règlements de compte, écrit finalement l’enquêteur dans ses derniers rapports. Mais le huitième meurtre lui laisse un goût amer.
Tous ont été retrouvés sur la berge, cadavres gonflés par l’immersion prolongée dans le lac. Le bas du corps est manquant. Impossible de faire quelque chose de bien, s’exclame le croquemort. Sauf pour le dernier, nu, pendu à un arbre par le phallus… Aouillleee ! frémissent les témoins ! Ouais, cet homme est un ancien savetier du coin, il y a longtemps qu’on l’avait vu, ce bougre, dit l’enquêteur qui tisse sa toile mine de rien… La dernière gorgée de café lui reste coincée dans la gorge. Chaque homme a été d’abord étranglé avec une corde, un long lacet de cordonnier… Et puis ? s’impatiente le juge, une femme seule ne peut faire ça ! Mais c’est la seule explication logique à tout ce carnage ! répond le commissaire.
La belle Espagnole se retrouve en prison, détestée par tous et traitée de folle. Elle est maintenant la source des contes noirs du coin, ceux qu’on utilise pour faire coucher les enfants tôt.
Elle criera son innocence jusqu’à ses 61 ans, avant de mourir d’une crise cardiaque.
Dolores apaise sa peine par de courtes visites à Carmen et passe ses journées à jouer à la princesse dans les robes affriolantes de sa sœur, sous son maquillage et ornée de ses bijoux hors de prix. Pour la première fois, Dolores se trouve magnifique et se sent heureuse !
Notice biographique
Karine St-Gelais est une écrivante qui promet. Nous aimons ses textes pleins de fraîcheur. Laissons-la se présenter. « Je suis née à Laterrière, dans la magnifique ville de Saguenay. Depuis près de huit ans une Arvidienne, j’aime insérer dans mes histoires des frasques de l’enfance et des coups d’œil sur ma région. Je suis mariée depuis dix ans. J’ai trois beaux enfants, un affectueux Bouvier Bernois et un frère cadet de 21 ans. Je suis née le 3 septembre 1978 sous le signe astrologique de la Vierge. J’adore l’automne et sa majestueuse toile colorée. J’aime la poésie, les superbes voix chaleureuses et les gens qui ne jugent pas à première vue. Née d’une mère incroyablement aimante et d’un père absent, je crois que la volonté et l’amour viennent à bout de tout. Au plaisir de vous rencontrer sur mon blog:http://www.facebook.com/l/3b24foRTZrfjfcszH7mnRiqWa9w/elphey »