J’ai mis du temps à écrire cette critique car Bitch Planet est une oeuvre assez dense, qui demande un peu de temps à être « digérée » selon moi. Un monde dystopique où les femmes sont enfermées sur une prison en orbite dans l’espace la Bitch Planet lorsqu’elles sortent de la norme… Un dessin dynamique et délicieusement rétro… Un titre qui vous fait réfléchir bien après avoir refermé ce premier tome… Oui oui, vous allez aimer Bitch Planet !
Synopsis : Le futur. Le monde est gouverné par le diktat des hommes. Les femmes qui ne se plient pas aveuglément à leur volonté doivent être « rééduquées ». À l’issue d’un discours évangélisateur psalmodié en boucle dans leur sommeil, elles sont expédiées dans l’établissement auxiliaire de conformité, une prison pour femmes en orbite au-dessus de la Terre. Ces rebelles qui rejettent les règles masculines vont ainsi découvrir les joies de la vie carcérale dans cette boîte de métal que l’on appelle « Bitch Planet. »
La scénariste Kelly Sue Deconnick vous demande : êtes-vous non conforme ? Dans ce monde dystopique, il suffit à une femme d’être pas assez jolie, trop grosse, d’avoir des opinions, d’encombrer son mari, ou d’avoir volé quelque chose pour se retrouver déportée dans un centre de rééducation qui a tout d’un camp de concentration… Sois belle et tais toi, ou sinon tu perdras ta liberté, tu subiras des violences physiques et psychologiques au quotidien. Être non conforme, c’est ne pas correspondre à un certain idéal de femme, qui est de manière assez troublante très similaire à celui de notre monde réel. On assiste à l’arrivée de quelques nouvelles au début du récit, ce fameux « discours évangélisateur » nous sert d’entrée dans cet univers bien particulier. On voit arriver des femmes toutes différentes, et l’on suit l’histoire de quelques unes.
La première est Marian Collins, qui clame son innocence. On découvre qu’elle a menacé son mari verbalement lorsqu’elle a appris son infidélité, et que celui-ci a payé la commission qui décide qui se retrouve sur Bitch Planet afin qu’elle y soit envoyée et que lui puisse vivre tranquillement avec sa maîtresse… Il y a aussi la fascinante Penny, dont le crime est d’être obèse et de s’accepter comme elle est ! On découvre aussi Kamau, celle qui figure sur la couverture de l’album. On ne connaît pas tellement son histoire à part le fait qu’elle est une ancienne sportive de haut niveau. Mais on a besoin de peu de précisions pour la trouver cool : Kamau a un charisme à toute épreuve ! Les gardiens essayent de lui mettre un meurtre sur le dos et elle se retrouve prise au piège, obligée de participer à une épreuve d’un sport de balle hyper violent inspiré du Rollerball appelé Mégaton qui sera retransmis partout sur Terre. Si l’équipe de prisonnières qu’elle doit former gagne, elles seront remises en liberté. On sent le piège… Comment ? Je vous entend dire Rome, les jeux du cirque ? Battle Royale ? Hunger Games ? Oui, on se doute qu’on se dirige vers un spectacle de ce type dans le deuxième tome, ce premier n’étant qu’une exposition à l’univers. Et c’est bien ce que je reproche à cette oeuvre.
Vous le savez, je n’écris des critiques quasiment uniquement que lorsque j’ai envie de mettre en avant une oeuvre qui vaut le détour. Je vais écrire beaucoup de bien de Bitch Planet, qui a plein de qualités, mais qui a aussi des défauts, notamment le fait que le scénario manque de structure. On s’y perd parfois, surtout lorsque l’auteur cherche à nous surprendre, mais tente de le faire avec des personnages que l’on ne connaît pas encore, ce qui fait que ça crée un peu d’incompréhension… Le récit traîne aussi un peu. Les épisodes permettant de présenter en détail l’histoire d’un personnage sont les bienvenus, mais l’histoire générale (la participation au mégaton) traîne quand même en longueur…
Cela dit, l’univers qui se déroule devant nos yeux est d’une richesse assez incroyable. Chaque case mérite d’être regardée en détail car des éléments nous permettant de comprendre la société abusive et façonnée uniquement par ses « pères » se cachent à chaque recoin. L’ironie et la critique envers notre société est clairement de mise dans cette oeuvre, qui ne fait finalement qu’exagérer les mécanismes de notre société actuelle. Certains détails sont particulièrement grinçants, par exemple lorsqu’un gardien se révèle être une femme et qu’elle affirme à Kamau que leur société ne s’acharne pas du tout sur les femmes, sa preuve étant qu’elle-même a pu accéder à ce poste haut gradé sans problème. Là, on rit jaune en se souvenant de toutes les fois où on a entendu des femmes être leur propre bourreau en faisant preuve d’un sexisme parfois bien pire que celui dont peuvent faire preuve certains hommes…
La page de journal qui se glisse entre chaque chapitre est particulièrement savoureuse ! Ces fausses publicités et petites annonces au style vintages et très très très grinçantes rajoutent beaucoup au ton général du titre. C’est par des pubs extrêmement sexistes que l’on sent la pesanteur de cette société. Mais aussi qu’on rigole, car les trouvailles du genre « votre vagin est dégoûtant » en rose, c’est quand même du génie !
Glénat Comics fait un travail d’édition encore meilleur que d’habitude en ajoutant aux bonus VO (les interviews des créateurs de Bitch Planet), des textes de Pia-Victoria Jacqmart, qui commence par parler du féminisme dans le pop culture, et présente quelques femmes célèbres de l’Histoire qu’on pourrait qualifier de non conformes. Glénat a d’ailleurs beaucoup insisté dans sa promotion sur le côté féministe de cette oeuvre, en allant jusqu’à mettre en ligne un questionnaire à remplir pour parler de son propre féminisme. Une initiative que je soutiens personnellement et que j’ai beaucoup aimé, mais je pense qu’elle a pu nuire au titre dans le sens où les gens s’attendaient à un brûlot féministe d’exception, alors que c’est finalement plus un comics sur des femmes en prison avant tout. Stéphane parle d’ailleurs du genre cinématographique « Women in Prison » dans son article sur Bitch Planet sur le Salon Littéraire. C’est un bon comics, qui aborde des thèmes féministes de manière assez frontale, mais je ne trouve personnellement pas que ce soit l’enjeu central. Je souligne plus facilement le fait que la représentation des « minorités » (je n’aime pas ce terme, mais faute de mieux…) est hors du commun. Il y a plus de personnages de couleur que de blancs, et c’est assez rare pour être souligné. Il faut rappeler que le féminisme le plus répandu oublie souvent les questions raciales, et les femmes de couleur sont souvent considérées comme souffrant d’un « double handicap » !
Je n’ai toujours pas parlé du dessin de Bitch Planet, et pourtant c’est un atout majeur du titre. Le style très seventies, inspiré par la blaxploitation, Tarantino, etc. Le dessin de Valentine De Landro me fait penser à d’autres titres édités par Glénat, notamment l’excellent Lazarus ! Et oui, Valentine est un homme, et aussi le co-créateur du titre. Il fait des MERVEILLES en représentant des femmes aux physiques très différents : couleur de peau, formes, taille… On voit des femmes nues très différentes sans qu’elles soient sexualisées, et c’est assez rare pour être souligné. L’univers visuel est clairement réussi, et rajoute énormément de charme à l’oeuvre. Les images parlent d’elles-mêmes !
Le plus important à propos de ce titre selon moi, comme je l’ai dit dans l’introduction de cet article, c’est que ce titre n’est pas exempt de défaut, mais il est courageux, très beau, et surtout, il amène à la réflexion sur des sujets essentiels aujourd’hui. Et rien que pour ce dernier point, je vous encourage tous à lire cette oeuvre, et j’attendrai les prochains tomes avec impatience !
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