Le goût du large de Nicolas Delesalle

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Après Un parfum d’herbe coupée qui m’avait beaucoup plu, le sujet du nouveau roman de Nicolas Delesalle m’a immédiatement interpellée.

L’auteur y évoque des scènes vécues en tant que grand reporter au cours d’une semaine de déconnexion totale, sur un bateau. Ce voyage en Cargo, de la mer du Nord à Istanbul, est l’occasion d’une totale décompression, de se retrouver face à lui-même et aussi face à la page blanche.

Il égrène les souvenirs de lieux, de rencontres, essentiellement des environnements de conflit, de guerre ou de chaos, dans des pays le plus souvent en crise, aux 4 coins de la planète.

Comme ses mots convoquaient des images délicieuses, souvenirs d’enfance et autres madeleines de Proust dans Un parfum d’herbe coupée, la langue de Nicolas Delesalle dans ce roman a le pouvoir de rendre terriblement vivants et proches les événements évoqués, dans toute leur horreur le plus souvent mais avec un détachement du au temps, à la distance peut-être. Sans doute aussi parce que tout un chacun a déjà vu, au détour d’un journal télévisé ou d’un documentaire, ces scènes choquantes de famine, pauvreté, guerre et exactions qui à force se banalisent. En tous cas les mots frappent juste, et j’ai aimé ce regard du journaliste professionnel, qui contraste avec les images sans filtre auxquelles on est fréquemment confronté.

A cheval entre roman et documentaire, ce récit est aussi celui d’une aventure intérieure, d’un moment pris pour être face à soi, changer le cours du temps, ralentir l’action et privilégier la réflexion.

Cette expérience du voyage en cargo me fascine en même temps qu’elle me rebute. Nicolas Delesalle en tire un très beau texte, qui m’a beaucoup touchée.

Nicolas Delesalle est un grand reporter français, aujourd’hui auteur, né en 1972.

Le goût du large est paru chez Préludes en janvier 2016 (14,20€).

Morceaux choisis :

« J’aimais ce stress, car il m’apaisait, il déchargeait les minutes qui allaient suivre de leur cargaison habituelle et les remplissait de surprises. »

« Dans le ciel au-dessus du sillage du MSC Cordoba, un gris ardoise croque un gris perle, tandis qu’un gris tourterelle gobe un gris taupe. Ce ne sont pas des gris de ville, mais des gris de mer, des gris chargés d’iode, de l’anthracite sauvage, du chinchilla enragé, des promesses de tempête. »

« On ne devrait peut-être pas trop s’approcher des choses qu’on imagine. On devrait les laisser au loin, intactes. »

« La musique a été inventée pour être écoutée au large. »

« Je me demande  si j’ai vraiment peur ou si je joue à me faire peur. Je me demande ce que cette solitude absolue va créer ou dénouer en moi, si quelque chose va fondre, se fendre ou se dissoudre. Peut-être qu’il ne va rien se passer du tout, ni hors de moi ni en moi. Mais je sais déjà que ce séjour dans la nuit prolongée sera davantage qu’un reportage. C’est une expérience personnelle, j’en suis convaincu, un voyage immobile vers quelque chose d’étrange et que je ne connais pas. »

« Le cargo est une règle, un double décimètre qui redonne aux distances leur vraie mesure effacée par les vols en avion. »

« A vingt ans, on fait un peu n’importe quoi. A trente, on a des enfants, on commence à réfléchir. A quarante, on change. »

« Le courage ? Peut-être une énergie libérée par l’intensité de l’instant, un vide mental qui vous projette sur une trajectoire impossible. »

« Tu vois, dans la vie, il faut accomplir ses rêves malgré tout ; il y a toujours une bonne raison de ne pas se lancer, il faut aller au-delà. »


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