Run Billie, de Claire Loup (2016)

Par Lupiot
JF paumée, mystérieuse, exubérante et passionnée, cherche identité, raison d'aimer, envie de continuer... & distraction en attendant. Romantiques sans le sous et musiciens décérébrés bienvenus, police et pas sérieux s'abstenir. Contacter ASAP.

Billie, la chanteuse de 21 ans du groupe pop-rock Run Billie (à la sauce Christine and the Queens), qui vient en quelques mois à peine de se hisser au sommet de la gloire, a disparu le soir de son premier concert au Bataclan de Paris. OMG !

L'inspecteur Prajnic est chargé de la retrouver : il va progressivement auditionner tous les proches de Billie - qui, dans la vraie vie, s'appelle Adèle . Au fil des auditions, des flash-backs nous ramènent quelques mois plus tôt, partant de la naissance de Run Billie et nous plongeant dans l'effervescence qui a suivi. On pêche au compte-goutte les informations dans le tourbillon de personnages qui entoure Adèle/Billie, on découvre la personnalité trouble de cette jeune femme qui brûle la vie, qui n'en a rien à faire de ce que pensent les autres, cache des peines immenses... et que personne ne semble connaître en entier. Qui est vraiment Billie ? S'est-elle seulement dévoilée à qui que ce soit ?
Et, la vraie question : est-elle en danger, ou se paie-t-elle notre tête ?

J'ai beaucoup apprécié ce roman, qui prend le prétexte d'une enquête pour finalement, nous faire découvrir en creux et selon une structure millimétrique, le personnage mystérieux de la chanteuse Billie, les ressorts qui l'animent, et surtout, nous attacher à une riche galerie de personnages.

Le deux gros " plus " de ce roman sont :

  1. La diversité des points de vue et la diversité des personnages (qui va avec). Le ton et le registre changent d'un narrateur à l'autre. Parfois, c'est très abouti, d'autres, un peu plus bourrin, tous les personnages ne sont pas aussi fins les uns que les autres, en revanche, la palette qu'ils offrent est plutôt un régal, et plusieurs d'entre eux sont très réussis. Ils sont multidimensionnels, complexes ; ils grandissent, se découvrent et se dévoilent. (Billie, finalement, reste peu présente est n'est pas le personnage le plus attachant : même quand elle est là, elle demeure un mystère.)
  2. La construction. La structure du roman est extrêmement bien pensée : chaque audition, brève, lance quelques pistes de réflexion qui sont alors explorées dans plusieurs analepses, portées chacune par une nouvelle voix. C'est fait de façon assez subtile pour ne pas mettre les pieds dans le plat*, mais suffisamment suivie pour garder éveillé l'intérêt du lecteur.

*Exemple sponsorisé par Plus Belle La Vie et le policier du mardi :Audition : Vous dîtes que Melle X était très proche de son professeur de kirigami ? Flash-back : TINTINTIN ! Une liaison !
Spectatrice ébaubie : Truc de ouf-malade comment je l'ai pas vu venir !
Audition : Monsieur le professeur d'origami, avez-vous remarqué un comportement étrange chez Melle X avant sa disparition ? -Kirigami, pas origami. La différence, c'est qu'on découpe le papier. Non, je... Maintenant que vous le dîtes, elle devait être un peu stressée, elle avait des crampes d'estomac, des sautes d'humeur, des vomissements...
Flash-back : TINTINTIN ! Une grossesse sauvage apparaît !
Spectatrice décoiffée par cette intrigue novatrice : OH MY GOD moi qui croyais qu'elle faisait une allergie à la colle UHU.

Etc.
(Et donc, Run Billie, ce n'est pas ça.)

Il ne s'agit pas d'un roman policier, mais bien un roman de vie quotidienne, qui suit ces jeunes adultes (la vingtaine, mais tout ce beau monde qui se la joue parisien et rock'n'roll est assez ado) au travers de leurs déboires émotionnels et professionnels.

Le gros " moins " : trop caricaturale, l'opposition systématique entre Paris riche VS banlieue pauvre, fatigue et fait même grincer des dents. On dirait que les parisiens vivent tous dans des appart' de 90m carrés dans le 5e, et les banlieusards sont tous des Ouaich en jogging. Étrange, venant d'une jeune auteure locale, qui doit pourtant connaître ou avoir connu un certain nombre d'étudiants parisiens studioïsés qui touchent les deux murs de leur appartement lorsqu'ils étendent les bras, et se nourrissent essentiellement de pâtes chinoises.

Ah ! Je n'ai pas parlé du style, mais c'est plutôt sympathique, plein de petites choses intéressantes donnent au roman un allant pêchu (oui je parle comme mamie).

En somme, un roman très cool, d'une bonne qualité littéraire et, en matière d'ambiance adolescente et de construction narrative, c'est musclé (raison pour laquelle, comme je le disais dans mon Bilan lecture des 6 mois, il ferait un excellent candidat à l'adaptation cinématographique). Une fausse note avec cet étrange manichéisme social-parisien, qui ne gâche néanmoins pas le roman.

Bonne lecture !

Julia (aka Lupiot)