L'Inversion de la courbe des sentiments, de Jean-Philippe Peyraud

Par Clarabel

Plongeons dans une histoire contemporaine, à Paris, en plein été...

Robinson, la quarantaine, traîne ses désillusions et son attentisme en collectionnant les rencontres sur internet et les liaisons sans lendemain, pendant ce temps, sa petite copine vide son appartement et le plaque pour vivre à la campagne avec un nouveau mec. Robinson est un paumé, qui vivote dans son existence, sans grande ambition. Il n'a même plus le goût de rester une journée dans son vidéoclub et délègue toutes les responsabilités à son associé et meilleur ami Emmanuel, sans se douter que celui-ci va prochainement lâcher l'affaire pour satisfaire aux caprices de sa dulcinée. Robinson a aussi d'autres chats à fouetter - son père est arrivé en ville avec ses valises sous le bras, sa sœur s'inquiète de n'avoir plus de nouvelles de son rejeton Gaspard, dix-sept ans, avant de découvrir qu'il serait en pleine escapade amoureuse avec la femme du voisin ! Ce dernier menace de tout péter si on ne le renseigne pas de suite sur la cachette des amants... Robinson s'épanche auprès d'Alice, qui tient le café d'en face, et pour laquelle ses sentiments semblent bien confus. Pas très loin de ce micmac, deux jeunes parisiennes courent dans les rues de la ville à la recherche du père de Charlène, en pleine rupture amoureuse, de retour d'un voyage au Pérou, décidée d'en découdre sur ses origines. Et là, Amandine lui confie aussi ses petits soucis et son besoin d'engranger des marques de tendresse avant le saut dans le vide.  

Cette lecture m'a très agréablement surprise, tour à tour intense, bouleversante, ironique et cocasse, elle réserve un panel d'émotions assez large et plutôt convaincant. JP Peyraud a le dessin nerveux et intraitable, il expose les corps, les regards et les sentiments sans complexe, il se joue des gens et renouvelle pour eux une valse en trois temps. Un temps pour aimer, un temps pour quitter, un temps pour recommencer. Et ainsi de suite. Cette proposition des dérives sentimentales, définie par l'auteur comme une bedenovela, reprend les grandes lignes des feuilletons romanesques, sans jamais tomber dans le sirupeux. L'histoire entre-croise habilement les destinées des uns et des autres, chatouille les personnages avec malice, embrouille les cœurs, distille un zeste de folie et d'humour, injecte aussi du suspense, de la tension, de l'émotion... Ce sont autant de variations possibles, qui brossent une idée de la vie de couple ou de famille en une intimité souvent douce-amère, et dont on ressort pourtant pleinement enchantés. La mise en scène est ciselée et nous entraîne en toute légèreté dans un tourbillon passionnel, dont il faut néanmoins se méfier des couleurs acidulées ! Piquant, savoureux, original. Très bon ! 

Futuropolis, juin 2016