"Ma maison sera appelée maison de prière. Or vous, vous en faites une caverne de bandits" (Matthieu 21, 13).

Cette citation donnera peut-être des idées quant à l'un des sujets centraux de notre roman du jour. Car, on la trouve dans un lieu bien particulier qui passionne et fascine toujours, avec, à la clé, des secrets qui n'ont jamais été élucidés... Du pain béni pour les romanciers, ce genre de situation, et c'est exactement le cas avec le polar historique dont nous allons parler, "Cantique de l'assassin", de Guillaume Prévost (publié aux éditions du Nil). Ah, vous vous en doutez, il va être beaucoup question de religion, particulièrement de la religion catholique, mais pas uniquement, car l'intrigue de ce roman possède plusieurs tiroirs, dont certains concerne directement le personnage central, le jeune inspecteur François-Claudius Simon... Attention, c'est le cinquième volume d'une série en cours et je crois qu'il est préférable de la lire en suivant l'ordre, pour avoir une perception complète de cette enquête.
François-Claudius Simon est en pleine déprime. Depuis qu'il a quitté sa bien-aimée, laissée à Moscou, il ne passe pratiquement plus une nuit sans terminer ivre mort... C'est donc dans cet état pitoyable qu'on le trouve, en cette veille de l'Ascension 1920, alors qu'on est venu le chercher pour l'emmener à la basilique du Sacré-Coeur.
En effet, dans ce lieu placé sous le signe de l'adoration permanente, une découverte macabre a été faite par les fidèles venus prier dans cette église. Un prêtre a été assassiné, et pas de la plus belle des manières... Les sévices subis par l'homme d'église et la mise en scène dans laquelle on a retrouvé son corps laissent penser à l'acte d'un fou furieux...
Mais ce qui va véritablement dégriser l'inspecteur Simon, c'est que toute cette mise en scène semble désigner un suspect parfait : lui-même ! Par exemple, son nom complet, y compris son étrange prénom composé, apparaît dans le registre où s'inscrivent les personnes qui veulent venir prier pendant une heure ou deux, la nuit.
Soudain sortie de la brume éthylique, François-Claudius Simon se retrouve en éveil : qui veut lui tendre un piège ? Ou, au contraire, le tueur a-t-il trouvé ce moyen aussi original que violent pour attirer l'attention du policier et lui délivrer un message en forme de défi ? Attrape-moi si tu peux, semble lui dire l'assassin du Sacré-Coeur...
Pourtant, l'affaire va rapidement prendre un tout autre tour. Quelques jours après les découvertes sordides de la basilique montmartroise, de nouveaux crimes terribles sont signalés, cette fois dans une église de Carcassonne... Prévenus, les policiers parisiens sont en alerte, et particulièrement l'inspecteur Simon, car il semble bien que ce soit "l'oeuvre" du même meurtrier...
Encore une fois un prêtre a été massacré, la mise en scène n'est pas sans rappeler celle découverte au Sacré-Coeur. De nouveaux indices sont laissés sur place, proposant aux enquêteurs un horrible jeu de piste, qu'il va falloir décrypter... A peine prévenu de ce nouveau crime sordide, l'inspecteur Simon prend la direction de l'Aude, persuadé que la suite de son enquête se jouera là-bas...
Les premières investigations ont permis de dégager un suspect qui a toutes les qualités requises, si je puis dire, pour être l'assassin. Un garçon au macabre pedigree, recherché pour plusieurs crimes visant des prêtres, ce qui lui a valu un surnom paradoxal : l'Enfant de Choeur... Ne vous y fiez pas, celui-là, on ne lui donnerait pas le Bon Dieu même après une solide confession...
Voilà amorcée notre histoire... Le reste, c'est dans le roman qu'il se trouve, à vous de jouer. Parlons tout de même de ce polar historique, avec un petit conseil. Ce n'est en rien un reproche, mais simplement une réflexion née de ma lecture. Je l'ai dit en préambule, "Cantique de l'assassin" est la cinquième enquête de François-Claudius Simon, et ce n'est sans doute pas la meilleure pour attaquer la série.
J'avais déjà lu un roman de Guillaume Prévost, "le mystère de la chambre obscure", qui mettait en scène Jules Verne dans une sombre affaire liée au spiritisme. Je l'avoue, je n'ai pas fait attention au fait que "Cantique de l'assassin" appartenait à une série, et je pense que j'ai eu tort. Car, ce roman fait régulièrement référence aux précédentes enquêtes.
A commencer, et je me bornerai à cet aspect, par le personnage de l'inspecteur Simon. Un jeune homme, pas encore 30 ans, qui a connu la guerre et les tranchées, mais qui a aussi un parcours personnel qui va tenir une place très importante dans ce roman, et sans doute dans toute la série. En effet, c'est un garçon qui a connu les orphelinats et est en quête permanente de ses origines.
On va se rendre compte que les premiers éléments l'impliquant dans l'assassinat du Sacré-Coeur ne sont pas un hasard, pas plus qu'une stratégie de l'assassin pour piéger le policier, mais bien une façon d'attirer son attention. Et, par la suite, ce qui semble être un défi va devenir tout autre chose, les éléments révélés par l'enquête de Simon ayant tous des liens plus ou moins directs avec sa propre vie.
Je n'en dis pas plus pour ne pas trop en dévoiler. Mais, cet aspect est très intéressant et sans doute plus encore, je me répète, en le mettant en perspective à travers toute la série et pas seulement ce volume-ci. Et François-Claudius Simon devrait poursuivre sa quête d'identité à travers ses prochaines enquêtes, mais ce sont d'autres histoires...
Il y a donc l'enquête sur les meurtres de Paris et de Carcassonne, donc, il y a les références à la vie et aux origines familiales du personnage principal, mais ce n'est pas tout. Et la dimension suivante, que, là encore, je ne développerai que rapidement, sans entrer trop dans les détails, nous amènera au titre de ce billet.
Car, au coeur de l'intrigue, on découvre bientôt l'ombre d'un étrange personnage, dont certains d'entre vous connaissent peut-être la sulfureuse légende, mais qui ne dira peut-être rien à d'autres : l'abbé Béranger Saunière. La citation de l'évangile selon Saint Matthieu qui est en tête de ce billet est un clin d'oeil direct à ce prêtre dont les secrets, un siècle après sa mort, demeurent.
Je ne vais pas vous raconter ici le mystère qui entoure la personnalité de l'abbé Saunière, pour deux raisons : ce serait un peu long, mais surtout, l'enquête de François-Claudius Simon va tourner autour de lui et de ses secrets, mêlant à la fiction des éléments réels, factuels, mais aussi les éléments devenus légendaires et qui tiennent encore aujourd'hui en haleine pas mal de monde.
Guillaume Prévost s'amuse à entremêler son intrigue, la réalité et toutes les théories, rumeurs et suppositions qui sont nées du vivant de l'abbé Saunière, puis bien après, jusqu'à devenir parfois des élucubrations ou des délires complets. Pas surprenant, d'ailleurs, de voir les éditions du Nil, sur son site, évoquer Dan Brown à propos de ce livre.
En soi, l'histoire de l'abbé Saunière est un sujet romanesque absolument fabuleux. Qu'il s'agisse des éléments que l'on connaît, et qui contribuent largement aux mystères entourant le personnage et le lieu où il a officié, ou qu'il s'agisse des zones d'ombre et de tout ce qu'on ignore à ce sujet, on a là une histoire comme on n'oserait en imaginer et qui nous rappelle que la réalité va souvent plus loin que la fiction.
Pour ceux qui connaissent l'histoire de l'abbé Saunière, ou pour ceux qui se sont précipités sur leur moteur de recherches pour en savoir plus, vilains curieux, sachez que l'enquête de François-Claudius Simon va apporter des réponses assez inattendues aux secrets qui demeurent. Une théorie tout à fait intéressante, d'ailleurs, mais qui prend plutôt à contre-pied les hypothèses les plus courues.
Plus qu'à Dan Brown, "Cantique de l'assassin" est un roman qui ferait penser à la série de Jacques Ravenne et Eric Giacometti, autour d'un autre flic, plus contemporain, celui-là : Antoine Marcas. Il me semble, d'ailleurs, que le duo avait traité dans un des romans de sa série du l'étrange abbé Saunière (recherche faite, c'est dans "Apocalypse")...
La différence, c'est que l'action se déroule en 1920, quelques années après la mort de l'abbé Saunière, début 1917, et donc dans un contexte trouble, mais moins agité qu'il ne le serait actuellement, les proportions que prennent les recherches de certains autour de l'abbé prenant désormais des dimensions quelquefois un peu trop farfelues...
François-Claudius Simon, jeune policier courageux, intrépide même, pourrait être le fils spirituel du commissaire Valentin, le personnage principal des "Brigades du Tigre". Il se démène, sort des sentiers battus et des procédures, agit en franc tireur, courant autant après lui-même qu'après les assassins qu'il poursuit.
Si je fais référence à la fameuse série télé des années 1970-80, mais le contexte historique est aussi un clin d'oeil appuyé vers les auteurs policiers de ce début de XXe siècle. Peut-être moins Léo Malet que Gaston Leroux et Maurice Leblanc. Bien sûr, "Cantique de l'assassin" s'adapte aux lecteurs du XXIe siècle, avec énormément d'action et de rebondissements, mais la filiation est claire.
En ressort un très bon divertissement, même si je l'ai sans doute un peu édulcoré en abordant la série par ce tome. Forcément, on perd sur le contexte dans lequel évolue habituellement l'inspecteur Simon, certains personnages secondaires tenant un place-clé dans son existence, comme sa vie familiale et sa vie amoureuse.
Mais, au final, il y a tout ce qu'on peut aimer dans un roman de ce genre, qui mêle fiction et réalité, mais une réalité elle-même revisitée par l'imaginaire... J'ai peut-être pris le train en route, mais je dois reconnaître que cette lecture m'a bien donné envie de reprendre tout cela depuis le début et dans l'ordre, histoire de plonger dans de meilleures conditions dans cet univers de polars historiques...