Voici donc comme prévu la première des quatre parties de l’interview de M.I.A. Pour des raisons de disponibilité, seule Hélène a pu répondre à mes questions, avec l’accord de Sébastien évidemment, que nous excusons, avant de remercier une nouvelle fois Hélène.
Découvrons donc maintenant les dix premières questions ayant pour but de connaître un peu mieux ceux qui se cachent derrière M.I.A.
1. Pourriez-vous en premier lieu nous présenter M.I.A ?
M.I.A est un duo d’amis (Hélène Jacob et Sébastien Cerise) et d’associés professionnels dans de nombreuses activités. Nous travaillons ensemble depuis 2008 (copywriting, gestion de projets Web, etc.) et avons décidé fin 2010 d’unir nos forces, compétences et expériences précédentes en nous lançant dans l’écriture de fiction. « Rémoras » a été préparé durant toute l’année 2011, pour une publication en février 2012. Ont suivi « La Trappe » (juillet 2012), la trilogie « La Faille » (août 2013, juin et décembre 2014), « Max » (juin 2015) et la trilogie en cours « Les Affligés » (décembre 2015, juillet et décembre 2016).
2. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur votre nom d’auteurs ?
Pendant l’écriture de Rémoras, nous nous sommes demandé sous quel nom le publier. Nous ne voulions pas le faire sous nos vrais noms accolés, car nous avions envie de quelque chose de court, de percutant et de symbolique, rappelant le sujet de notre roman et des futurs thèmes que nous savions déjà vouloir explorer dans d’autres livres, a priori plutôt sombres et proches des dérives de notre monde. L’acronyme M.I.A (Missing In Action) est un terme militaire anglophone qui signifie « porté disparu » (sous-entendu « au combat ») et qui est communément utilisé par les Américains pour parler d’une personne dont on n’a plus de nouvelles. Cela nous a semblé parfaitement adapté à l’univers exploré dans Rémoras et aux sujets qui y sont abordés. Et comme nous sommes immédiatement tombés d’accord, nous n’avons pas eu envie de chercher plus loin…
3. Depuis combien de temps écrivez-vous ?
Tous genres confondus (fiction et écriture « technique »), depuis le plus jeune âge, d’une façon ou d’une autre : petits romans oubliés, articles dans le journal du lycée, puis dans celui de l’entreprise, guides pratiques, etc. Nous baignons dans l’univers des mots et des textes depuis plus de vingt ans chacun.
4. Comment vous organisez-vous lors de l’écriture d’un roman ?
Pour simplifier grossièrement notre organisation : nous préparons tout à deux et j’écris.
Il faut bien comprendre que M.I.A est la « branche romans » de nos nombreuses activités relatives à l’écriture et que nous établissons notre répartition des tâches au-delà de M.I.A, ce qui explique notre manière un peu atypique de faire les choses. Seb étant plutôt spécialisé dans les ouvrages techniques, cela nous a semblé logique dès le départ.
Concrètement, un projet de roman s’organise pour nous sur une période de 6 mois : 3 mois pour la préparation et 3 mois pour l’écriture, à peu près. Lorsque l’un de nos livres part en bêta-lecture, durant le mois qui précède sa publication, nous sommes déjà en train de préparer le suivant, ce qui nous permet de tenir un rythme de deux livres de 100 000 mots environ par an, ce qui est souvent du sport.
Je précise que nous vivons à 1 500 kilomètres de distance et préparons tout cela via des séances Skype et des tableaux Excel.
À raison d’une séance hebdomadaire de quelques heures, nous parvenons sans problème à nous organiser au fil des mois.
5. Combien de temps en général prend l’écriture de l’un de vos romans ?
Comme tout est extrêmement organisé à l’avance (un fichier par livre, qui établit tout dans le moindre détail et représente jusqu’à plus de cent heures de préparation), l’écriture va ensuite très vite. En raison de mes multiples activités, je ne peux pas lui consacrer plus de cinq ou six heures par semaine, en moyenne lissée, durant les trois mois de rédaction/correction. C’est généralement une course contre la montre, mais ça fait partie de notre façon de travailler…
6. Avez-vous un ou des auteurs préférés ?
Seb affectionne tout particulièrement James Ellroy et Dan Simmons (d’excellents choix !) et je vais compléter cette sélection avec mon auteur nordique préféré, qui nous a quittés l’année dernière, Henning Mankell. Ses livres m’ont accompagnée dès leurs premières traductions en français et chacun d’eux est intimement lié à des périodes particulières de ma vie adulte.
Mais il est évident qu’il nous est impossible de citer tous les auteurs que nous aimons et dont l’œuvre est à saluer. Compte tenu de notre tendance à la boulimie dans ce domaine, cela ressemblerait à une longue liste sans âme et ce serait injuste pour tous ceux que nous oublierions de mentionner.
7. Quel est votre genre littéraire préféré ?
Nous lisons de tout, en recherchant en priorité des personnages complexes et des intrigues très structurées. Polar, thriller, fictions de l’imaginaire, littérature générale… Tant qu’il y a un point de vue incisif, pas de propos gnangnan, et que le livre nous donne de quoi cogiter, nous sommes preneurs.
8. Je sais que vous défendez la lecture en numérique. Quels sont vos arguments ?
Le simple argument de la place et du budget nous semble majeur !
Dans mon cas, à raison d’une bonne centaine de nouveaux livres par an, je n’ai tout simplement plus la place de stocker mes lectures, car la pièce que je dédie à mes livres est remplie du sol au plafond depuis plusieurs années.
Nous pensons aussi que tous les livres ne méritent pas d’être conservés physiquement. Avant que quelqu’un me cloue au pilori, je précise tout de suite ma pensée…
Si vouloir conserver des livres auxquels on tient pour des raisons sentimentales (collection léguée par un proche, édition limitée, livre dédicacé, auteur majeur ou favori, etc.) se comprend tout à fait, en
quoi empiler des livres de poche dans une bibliothèque est-il forcément indispensable, indépendamment de la valeur intrinsèque de son contenu ? Il y a des livres qu’on sait vouloir relire ou faire lire à ses enfants un jour. Mais il y en a beaucoup qui n’entrent pas dans cette catégorie et qui (soyons honnêtes) traînent sur une étagère depuis des années et deviennent plus des objets de décoration qu’autre chose.
Pour donner mon exemple personnel, j’ai tous mes Mankell en version papier (pour reprendre cet exemple), mais je lis à 90 % sur liseuse depuis quatre ans, et sans aucun regret. Question d’économie, d’écologie, de dématérialisation aussi. Nous vivons dans une société où les gens accumulent beaucoup trop de biens matériels, de façon générale. J’en suis déjà à près de 3 000 livres, achetés sur une période de trente ans, à une époque où un autre mode de lecture n’existait pas. Pourquoi faire grossir ce stock physique sans réfléchir au sens et à la portée de l’acte d’achat ?
Personnellement, j’ai adopté la logique suivante : je lis en numérique et j’achète par la suite au format papier mes gros coups de cœur, ceux vers lesquels je sais que je reviendrai dans quelques années, qu’il s’agisse de classiques ou d’ouvrages très récents. Évidemment, j’ai la chance d’être bilingue et de lire à 80 % en anglais, ce qui me permet de profiter de prix de vente en numérique souvent bien plus faibles que ceux des ouvrages francophones. Je comprends qu’un lecteur qui a le choix entre une version brochée à 22 € et un livre numérique à 18 € choisisse le papier. Mais je suis persuadée que cela changera peu à peu, malgré la résistance des gros éditeurs français. Ceci fait d’ailleurs partie des combats que nous menons avec notre maison d’édition, en proposant des livres numériques à 5,49 € au maximum et en proposant les versions courantes en impression à la demande, afin d’épargner les arbres et refuser cette logique absurde du pilon qui persiste en France.
Finalement, papier ou numérique, l’important est simple : il s’agit que chacun lise comme il le souhaite et que la lecture ne devienne pas une activité de privilégié réservée aux seules personnes qui ont les moyens de financer leurs lectures.
Les plates-formes en streaming, à l’image des bibliothèques physiques, ont d’ailleurs bien compris que de plus en plus de personnes n’ont pas besoin de posséder l’objet livre pour aimer lire. Ce qui compte, c’est la lecture, quelle qu’en soit sa forme.
9. Je sais que vous avez plusieurs casquettes, pourriez-vous nous dire tout ce que vous faites au sein de EHJ et quel est votre poste préféré (après l’écriture bien entendu)
Ouh, la réponse va être longue, là aussi !
Il y a des dizaines de choses à faire, dans une maison d’édition comme la nôtre, puisque nous sommes peu nombreux et que nous devons limiter les coûts externes afin de lui permettre de rester viable.
Pour ma part, j’y consacre une quarantaine d’heures par semaine, qui vont de la gestion des auteurs, des contrats, des partenaires, des diffuseurs, etc. à la préparation éditoriale et technique des livres, à la comptabilité, au marketing social, etc., tout en étant le « rond-point » par lequel passent toutes les personnes qui œuvrent pour EHJ, d’une façon ou d’une autre : membres de l’équipe, graphiste, bêtalecteurs, etc. Dans une grande maison d’édition, des dizaines (voire des centaines) de personnes font tourner la machine. Nous ne sommes qu’une petite équipe chez EHJ et je suis la seule à m’y consacrer à temps plein. C’est donc un exercice permanent d’équilibrisme.
J’ai la chance d’aimer tout ce qu’il y a à faire dans la maison et je passe de la préparation des textes à la mise en place de nouvelles fonctions dans la boutique en ligne avec le même plaisir. C’est un véritable écosystème et tous les postes sont importants.
Plus concrètement, je découpe une semaine de travail de la façon suivante (approximativement) : une quarantaine heures pour EHJ, une dizaine d’heures pour M.I.A, une dizaine d’heures pour nos projets annexes (comme MyKindex en son temps ou TutoBar plus récemment) et une dizaine d’heures « de secours » que j’affecte à telle ou telle activité en fonction des urgences et des besoins « alimentaires ». Oui, ça fait beaucoup d’heures…
Seb fonctionne selon la même logique, mais répartie différemment. C’est ce qui nous permet de couvrir autant d’activités à la fois, à nous deux, et de pouvoir en mener certaines bénévolement.
Ensuite, les heures affectées à EHJ sont réparties en fonction d’un planning géant qui est préparé un an à l’avance et affiné à M-1, en fonction des éléments qui répondent à des cycles récurrents de préparation et d’exécution. Avoir travaillé pendant quinze dans le privé en « mode projet » est évidemment un atout pour structurer tout ça de façon efficace.
10. Comment voyez-vous l’avenir de l’édition en France ?
Comme une aventure passionnante, car il y a beaucoup à développer et à inventer, tant dans les modes de publication que dans les systèmes de diffusion.
Proposer des ouvrages de qualité à prix correct et pour tous les publics doit rester la mission des éditeurs. Beaucoup s’y emploient, souvent dans l’ombre, et tentent d’innover pour permettre à la lecture de rester passionnante et attractive. Mais c’est une activité très difficile, chronophage et parfois décourageante.
Ne nous leurrons pas, les gros groupes qui tiennent le marché de l’édition fixeront encore les règles pour quelque temps, grâce à des moyens que n’ont pas les petits éditeurs. Mais le modèle change, en partie grâce au numérique et à ses possibilités, et aussi grâce au travail mené par tous les acteurs indépendants ; personne ne peut prédire avec certitude à quoi il ressemblera dans dix ans.
C’est aussi aux lecteurs de soutenir cette évolution, de lui donner un sens en restant exigeants dans tous les sens du terme, en contribuant par leurs choix de lecture et leurs achats à orienter l’édition de demain. Ce qu’on fait de la culture et des arts est, j’en suis convaincue, un acte citoyen majeur.