Cette semaine, on retrouve Hélène qui répondra aujourd’hui à des questions concernant Le Cycle des Temps, soit les cinq premiers romans de M.I.A, Rémoras, La Trappe et la trilogie La Faille.
1. Pourriez-vous nous présenter « Le Cycle des Temps » ?
Il s’agit d’un titre non officiel que nous avons donné à l’ensemble constitué par « Rémoras », la longue nouvelle « La Trappe » et la trilogie « La Faille », lorsque nous avons publié le dernier volume de celle-ci, fin 2014.
Les cinq livres se répondent et forment une boucle globale entre le présent (2012), un futur proche à moins d’un siècle et un futur beaucoup plus éloigné décliné sur trois périodes, tous les événements des cinq livres étant liés par le socle initialement construit dans « Rémoras ».
Chacun s’inscrit néanmoins dans un genre différent (respectivement en thriller de politique-fiction, anticipation et science-fiction dystopique), ce qui donne des choix de construction, de mise en scène et de plume très différents.
2. Comme je le dis dans ma chronique, on a beaucoup de mal à distinguer le vrai du faux dans « Rémoras ». Quel est donc le pourcentage de véracité dans le roman ?
Lors de l’écriture, nous voulions conserver environ 80 % de réalité (simplement « détournée », pour nous éviter des problèmes, avant tout !) et 20 % de fiction pure.
Nous avons travaillé sur la base d’informations directement issues des milieux dits « non autorisés » (je ne peux malheureusement pas en dire beaucoup plus sur ce point, pour des raisons de confidentialité) et sous le contrôle de personnes toujours en poste dans des fonctions proches de celles de nos trois héros. Ces « consultants » ont pu vérifier que tout ce qui était dans « Rémoras » était réaliste (sans que le public le sache nécessairement) ou avait toutes les chances de se produire à très court terme.
La frontière entre réalité et fiction était si fine que nous avons dû carrément modifier des chapitres entiers pendant la phase d’écriture du livre (qui a duré presque un an), car l’actualité nous rattrapait en temps réel, ce qui faisait soudain de nos propos des copiés-collés du contenu des journaux. Or, nous voulions maintenir le trouble et pousser les lecteurs à se dire « et si ? » en permanence. C’est une des raisons qui a rallongé la durée d’écriture, d’ailleurs.
Quatre ans après la publication du livre, il ne reste pas grand-chose de fictionnel dedans, en vérité. Le grand public se plaît à parler de « théories du complot » et autres commentaires similaires qui lui permettent de maintenir des propos comme les nôtres à distance, en les minimisant, mais nous savons (avec certitude) à quel point il n’y a rien de fantasmé dans tout ça.
Ceci étant dit, nous comprenons qu’il soit plus simple de refuser l’acceptation du monde tel qu’il est devenu : c’est aussi une manière de se protéger pour le citoyen qui n’a pas envie d’affronter la dureté et la violence de notre existence.
3. Pourquoi avoir choisi l’autoédition pour le lancement de Rémoras ?
Pour deux raisons principales : le besoin de contrôle absolu du contenu et le désir de maîtriser la diffusion à notre manière.
Tout d’abord, nous ne voulions d’aucune censure ou déformation du texte (en raison des sujets abordés et des personnages, directement inspirés de personnes réelles que nous ne voulions surtout pas trahir). Nous savions qu’aucune maison d’édition ne prendrait de premier livre co-écrit de plus de 500 pages dans un délai court, de toute façon, or (comme je viens de l’expliquer dans la question précédente) il fallait que le roman soit rapidement publié, afin de conserver sa pertinence.
Ensuite, pour la diffusion, nous voulions mettre l’accent sur le numérique et utiliser de nouveaux modes de diffusion. Ma propre expérience dans l’édition traditionnelle (j’ai deux livres publiés dans une filiale d’Albin Michel) ne me donnait pas envie de retenter l’expérience pour « Rémoras », pour des questions de méthodes, de prix et de marketing. Nous aurions été trop frustrés, c’est à peu près certain.
À nous deux, nous pouvions tout gérer de A à Z sans problème, pourquoi nous en priver ?
4. Les couvertures de cette série (et même celle de MAX d’ailleurs) sont très sombres et majoritairement noires, y a-t-il une raison particulière ?
Parce que c’est la couleur de M.I.A.
Plus sérieusement, le noir est ma couleur préférée (même s’il n’en est pas une, techniquement parlant) depuis le plus jeune âge et je crois pouvoir affirmer que Seb l’affectionne tout particulièrement aussi.
Elle reflète l’esprit de nos livres, plutôt sombre, et permet de magnifiques compositions par contraste. C’est un peu notre marque de fabrique, désormais.
Une petite remarque, au passage… Avez-vous remarqué que tous nos titres contiennent la lettre « A » ? Ce n’est pas un hasard non plus…
5. Pourquoi avoir décidé de placer l’intrigue de « La Faille » plusieurs siècles après « Rémoras » ?
Nous avons fait ce choix principalement pour deux raisons.
D’abord, pour avoir la possibilité de travailler à partir d’un univers « futuriste » où nous pourrions réinventer à notre manière les aspects sociaux et technologiques de l’époque (par exemple, la notion de « Collecteuses » et de « Traqueurs », les bornes de contrôle de la santé ou le principe des « niveaux » à gravir pour accéder à certains privilèges), même s’ils restent très proches de ce que nous connaissons aujourd’hui, pour montrer qu’il existe une continuité entre les époques.
Mais surtout, parce qu’il fallait partir d’un point temporel assez éloigné pour que les retours en arrière d’Echo et de Romeo puissent être situés à des moments distants et clairement identifiables, tout en restant distincts de l’époque choisie pour « La Trappe ».
En résumé, chacun des livres devait « communiquer » avec les autres, mais posséder sa propre couleur et des enjeux bien particuliers.
6. En écrivant « Rémoras », aviez-vous déjà une idée de la suite que vous alliez lui donner ?
Dès le début de la préparation de « Rémoras », nous avons décidé que nous ne voulions pas lui donner une suite directe, dans le sens où les personnages de ce premier livre ne reviendraient pas (même si certains lecteurs ont longtemps cru le contraire et voulaient connaître le sort de l’un des trois héros principaux, dont la mort n’est jamais confirmée).
Par contre, nous étions convaincus qu’analyser les conséquences des événements présentés dans « Rémoras » serait intéressant et que nous avions beaucoup de matière avec laquelle travailler pour développer tout ça.
Notre premier roman a été écrit pour se suffire à lui-même, mais nous étions nous-mêmes frustrés de ne pas pouvoir exprimer notre vision de ce que le monde allait devenir. Alors, nous avons décidé de rester dans cet univers, sous forme de nouvelle, en imaginant un instantané du monde près d’un siècle plus tard, ce qui a donné « La Trappe ».
Il s’agissait d’un trait d’union pour nous mener à « La Faille », trilogie qui boucle complètement la boucle et creuse notamment cette question : « ce qui a été fait dans “Rémoras” mène-t-il au salut de l’humain ou à sa perdition ? »
Le thème est resté commun, mais le genre a évolué d’un livre à l’autre : la politique-fiction a cédé la place à l’anticipation, puis à la SF dystopique avec la trilogie, ce qui nous a permis de changer de mise en scène, de construction narrative et de plume à chaque fois.
7. Je sais qu’une option pour une adaptation télévisée avait été placée sur « Rémoras », pouvez-vous nous en dire plus là-dessus et nous dire où ça en est ?
Pas de suite concrète, malheureusement, mais c’est le cas de 95 % des prises d’option et nous n’en attendions pas grand-chose, pour être honnêtes. Que « Rémoras » ait séduit un producteur quelques mois après sa publication reste le plus important à nos yeux, étant donné qu’il s’agit d’un livre tout sauf consensuel et que nous étions deux auteurs sortis de nulle part quand la proposition de prise d’option nous a été faite.
8. Combien de temps vous a-t-il fallu pour écrire cette saga ? (Notamment Rémoras qui fait quand même plus de 500 pages)
L’ensemble des cinq livres de ce cycle représente une période d’écriture étalée entre janvier 2011 et octobre 2014. Mais, comme je l’ai expliqué précédemment, il faut considérer que nous consacrons la moitié du temps passé sur chaque livre en pure préparation, avant que je rédige la première ligne. Et il y a des périodes où nous baissons sérieusement la cadence, pour gérer nos autres projets et activités.
En fait, si nous n’avions qu’à nous occuper de nos livres, nous pourrions en moyenne en publier quatre par an, peut-être même cinq.
9. Quelles ont été vos inspirations pour « La Faille », notamment pour la création des mondes futuristes ?
Plus que des sources d’inspiration, il y a surtout de nombreux hommages personnels à diverses œuvres en tout genre, dans cette trilogie. Des séries, des jeux vidéo, des films, quelques livres lus il y a des années.
Il s’agit souvent d’un petit détail, presque d’un clin d’œil, comme la scène du chant des Mentalistes (je n’en dis pas trop pour éviter les spoilers), par laquelle je voulais saluer à ma manière une scène issue d’un épisode de Doctor Who (saison 4 contemporaine, « Planet of the Ood ») qui m’avait marquée. Rien à voir avec notre histoire, donc, mais c’était ma façon d’introduire un élément personnel dans le récit.
Pour chaque époque et chacun des lieux, nous avons longuement discuté du décor, des « placements de caméra » à choisir, selon que l’on était dans la ville de l’époque la plus avancée ou dans la nature sauvage des nomades. À Utopia, les scènes prennent souvent de la hauteur et sont vécues dans un univers propre et épuré, alors que les actions dans le passé se déroulent au ras du sol ou dans ses profondeurs, avec une certaine confusion liée à la présence d’un environnement hostile.
Il est évident que nos idées sont la synthèse de toutes nos inspirations personnelles mises en commun, mais comme nous mélangeons et discutons tout durant des dizaines d’heures, nous limitons aussi le risque d’une influence quelconque, puisque le résultat est vraiment le produit original de nos deux cerveaux.
10. Si vous deviez réécrire l’intégralité du « Cycle des Temps » aujourd’hui, vous y prendriez-vous de la même façon ou changeriez-vous certaines choses ?
Comme je le dis souvent quand on nous pose cette question, nous pensons que chaque livre est le produit d’une époque particulière, d’un moment précis de notre vie et de notre état intérieur, de l’actualité, de l’air du temps, de nos propres interrogations ou obsessions à un instant donné de notre existence.
Le livre est ce qu’il doit être (à partir du moment où l’on a tout fait pour qu’il soit aussi bon que possible) et nous ne faisons pas du tout partie des auteurs qui reviennent dix fois sur leur récit une fois que tout le travail est terminé. Il est temps de passer à autre chose, lorsque la publication a eu lieu, de s’investir dans une autre histoire.
À partir de là, imaginer ce que serait « Rémoras » si l’on devait l’écrire aujourd’hui n’a pas vraiment de sens, d’après moi, car peut-être qu’on ne l’écrirait pas du tout et qu’on choisirait carrément une histoire différente. Chaque livre reflète notre état personnel à un instant précis et nous avons vécu tellement de choses, en cinq ans…
Après, si l’on parle purement de technique et d’organisation, il est certain que nous sommes trois fois plus efficaces aujourd’hui qu’en 2011. Nous avons rodé nos méthodes de travail pour pouvoir au moins publier deux livres par an, nous travaillons plus vite, nous avons affiné notre système de mise en route et de préparation, livre après livre.
En ce sens, nos premiers livres seraient peut-être différents, oui, mais qui sait ? Il faudrait remonter le temps, comme Echo, pour le découvrir…