Sinzo Aanza, interview

Par Mélanie Talcott @MelanieTalcott1

Bonjour Sinzo, quelques mots de présentation
Mes parents m'ont appelé Claus Sinzomene Luhindi Kavinywa Ngaghenda Ya Banda. Je suis né et j'ai grandi dans une petite ville de l'Est du Congo qui s'appelle Goma, mais ma famille venait d'un peu plus au Nord où se trouvent les villes de Beni et de Butembo, cela fait que mon enfance a été marquée par plusieurs voyages entre les villages de mes parents, les fermes et les champs de mes grands-parents et les villes de la région. Quand j'ai commencé à écrire et à dessiner, je voulais marquer une différence entre la personne qui se laisse piéger par l'écriture en se livrant et celle que j'étais, que j'avais toujours été et que je voulais continuer à être, notamment aux yeux de mes proches et j'ai choisi Sinzo Aanza en coupant mon nom de famille (en fait c'est surtout un nom que mon père s'est donné tout seul) comme on le fait souvent chez nous pour ce nom-là. Aanza était au départ un prénom fictionnel que j'avais donné à une de mes arrière-grand-mères qui avait eu un destin tragique.

Généalogie d'une banalité est votre premier roman. Qu'est-ce qui a motivé l'écriture de cette épopée qui est à la fois, un récit où se croisent des personnes qui ont chacune leur importance et quelque chose à dire, une critique sociale et politique à la fois de la société et des institutions congolaises, de la société de consommation en général, de la mondialisation et de ses conséquences sur les peuples et les individus, de la Chinafrique qui peu peu se substitue à la Françafrique, entre autres... Dans ce contexte, qu'est-ce qu'écrire signifie pour vous ?....
Cela peut paraître inconséquent, mais je n'attends rien de l'écriture, ou plutôt, je n'en attends rien de précis. Au début, l'acte d'écrire était pour moi quelque chose d'intime. J'ai grandi dans un quartier populaire de Goma. Les médias parlent beaucoup de cette ville depuis que la guerre a éclaté au Congo en 1996. Dans mes souvenirs, la vie des gens tournaient autour de choses telles que la famille, les amis, le bon voisinage, le travail, la bière de maïs qu'on appelle mandrakwa ou mandale, le vin de banane et puis l'évitement des petites tombes où des voisins avaient été enterrés à la hâte pendant les batailles dans cette ville qui semblait être le poumon de la guerre. Mes grands parents sont fermiers. Tous les ans, mes frères, mes sœurs, mes cousins et mes cousines, nous allions en vacances dans les fermes familiales. Cela demandait de traverser le parc des Virunga qui devint par la suite un repère de plusieurs groupes armés qui pillaient les bus des voyageurs avant de les massacrer ou de les laisser poursuivre la route dépouillés même des sous-vêtements qu'ils avaient sur le corps. Mes premiers textes ont été une tentative de réconcilier la mort avec la beauté de ce parc, cette mort barbare et forcément laide dont nous voyons les traces sur l'asphalte, des vitres cassées, du sang ou une épave de bus d'où sortaient une fumée qui était des gens qui avaient eu le malheur de passer par là une heure avant vous, lui rappeler à cette mort que la beauté des lieux continuera d'écraser sa méchanceté et sa laideur, dire au parc également que sa splendeur n'a pas empêché la mort. J'étais jeune et naïf, mais je pense encore aujourd'hui qu'il y a de la candeur dans tout acte de création.

" On n'est écrivain qu'à condition d'être poète ", disait Sony Labou Tansi (romancier, poète et dramaturge congolais). Qu'en pensez-vous, vous qui êtes aussi poète ?
L'effort de poésie est à mon sens ce qui distingue un écrivain de tout autre auteur de prose, il ne s'agit pas seulement de cette bonne vieille poésie lyrique mais également de poésie de situation, de poésie dans la structuration, de poésie dans le renouvellement du langage et de la langue, etc. Il y a même des histoires qui sont en elle-même une poésie. Je pense notamment à une nouvelle de Garcia Marquez qui s'appelle, si ma mémoire est bonne, "Le mort le plus beau du monde". Je suis donc du même avis que Sony Labou Tansi.

Les écrivains africains (francophones) sont marginaux, on peut avoir l'impression que certains en font trop pour assurer l'avenir de leurs productions. ' Les écrivains africains transgressent-ils les genres littéraires existants ? Inventent-ils de nouveaux genres ?
'Généalogie d'une banalité '' est un texte que j'ai voulu publier au Congo, dans une maison d'édition qui malheureusement s'est avérée très moralisante et qui a trouvé de la perversité dans le texte. J'ai écrit ce livre en me disant qu'il va forcément intéresser des lecteurs congolais, mais il est impossible de faire sans l'éducation ou les calculs commerciaux de l'éditeur. J'ai heureusement été bien accueilli par Jean Luc Raharimanana qui dirige la collection Fragment chez Vents d'ailleurs à qui l'ami d'un ami avait envoyé le texte, sans cela ce roman n'aurait eu aucun avenir. Les auteurs africains qui sont publiés en Europe sont nécessairement soumis à un certain calcul, certains jouent peut-être là-dessus durant le travail même d'écriture, ils calculent, ils calibrent, ils estiment, ils taillent à la mesure du champ commercial du réseau de diffusion de l'éditeur, mais aussi à la mesure de ce que ce dernier dit clairement qu'il attend d'eux, et cela peut heureusement donner de temps en temps de très beaux livres. L'anglais Anthony Trollope, vous le savez, était un écrivain qui calculait.

© L'Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott -12/07/ 2016
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