Rêves oubliés, de Léonor de Récondo

Par Clarabel

Voilà un très beau roman, dont le principal sujet n'avait pas lieu de me captiver, et qui finalement a su me transporter, me toucher, m'interpeller. L'histoire raconte l'exil de la famille d'Ataï, en août 1936, alors que l'Espagne est en pleine guerre civile. Sa femme Ama, ses fils et les grands-parents quittent précipitamment leur maison pour franchir la frontière et s'installer dans les Landes françaises, rapidement rejoints par Ataï, retenu par son boulot, puis par des oncles et des cousins, qualifiés de dissidents politiques. 
Le temps de l'exil, d'abord incertain, finit par s'ancrer dans leurs esprits désolés, confrontés à la difficulté de s'installer dans un pays étranger, dont on ne parle pas la langue, et où l'on pressent une hostilité grandissante à l'égard de l'autre, l'inconnu, le réfugié. Dès 1939, un vent changeant souffle sur le pays. Les cousins et les oncles sont arrêtés par la police française, envoyés dans des camps, avec interdiction de véhiculer des nouvelles. L'angoisse monte d'un cran avec l'arrivée des allemands, des jeunes soldats blonds qui crachent leur haine en dégainant leur carabine.
En marge du contexte politique, particulièrement démentiel, le livre raconte aussi le parcours d'une famille, unie comme jamais, très démonstrative et aimante. Ama écrit un journal intime, où elle confie ses espoirs, ses interrogations, où elle parle aussi de sa fausse couche, de ses peurs, de la sensation de coquille vide, de ses désillusions... Écrire un avenir dans un pays qui n'est pas le vôtre, songer aux racines, à l'éloignement, expliquer le sentiment d'exclusion, de non-appartenance à une vie, du sentiment de jouer un rôle et le désespoir du non-retour, du rêve impossible. Croix définitive.

Ce texte, écrit en toute simplicité, est imprégné d'élégance et de pudeur, il est également lu par Marjorie Frantz avec tact, sincérité et sensibilité. L'histoire rappelle qu'être ensemble, c'est aussi tout ce qui compte, dans ce roman qui apporte une autre vision de l'exil, sans tomber dans le misérabilisme ou le pathos. Le tout est généreux, authentique et émouvant. Très, très bon.

Interprété par Marjorie Frantz pour Sixtrid / Octobre 2015 (durée : 3h 32)

Repris en poche chez Points (Grands Romans, 2013)