Le synopsis
Sur les côtes normandes, le village de Vrainville est devenu notoire parce qu'il abrite les ateliers Cybelle, acteur majeur du tissu industriel régional.
Alors que le village est agité par le durcissement des conditions de travail et la menace d'un rachat par un fond d'investissement, un événement tragique se noue, entraînant William, nouvel enquêteur local, à exhumer des faits survenus dix-huit ans plus tôt, durant la nuit au cours de laquelle la France a été sacrée championne du monde de foot, 1998.
Mon avis
J'ai été agréablement surprise par ce thriller qui repose sur une trame originale et s'écarte des thrillers traditionnels qui pullulent sur les étals des librairies.
On comprend rapidement le goût de l'auteur pour la construction en écho, car il ne se prive pas de faire référence tout au long de l'histoire à ce qui s'est passé/se passera, souvent en maintenant le halo de mystère qui entoure les événements dont il nous fait comprendre, sans trop en dire, qu'ils sont liés.
Tout un pan de l'intrigue est consacré à l'histoire de Cybelle, à la vie de l'entreprise, ce qui est désaltérant pour un thriller, et constitue, selon moi, son plus grand atout. Visiblement, l'auteur se serait basé sur Lejaby et ses ouvrières. On prend en estime le grand-père, Gaston Lecourt, un homme exceptionnel qui a à cœur de faciliter la vie de ses ouvrières (notamment en faisant construire des logements où les familles de ses salariées peuvent loger gratuitement), et dont la vision très paternaliste de l'entreprise a presque quelque chose d'émouvant (et de daté).
Deux générations plus tard, lorsque Vincent, son petit-fils, retire peu à peu les avantages jadis octroyés par son grand-père, on voit poindre la toute-puissance des objectifs économiques balayant le reste, et le paysage ressemble alors étrangement à ce que l'on peut connaître dans notre propre expérience.
Ce contexte de lutte sociale entre Vincent Lecourt et les ouvrières de Cybelle sert de cadre à la partie actuelle du livre, et motive certains de ses personnages emblématiques : Vincent bien sûr, mais aussi Maxime, autrefois un jeune homme qui peignait talentueusement, et qui, après son échec aux Beaux-Arts, a accepté de travailler aux ateliers et ne les a plus quittés, Patrick, le maire de la ville et ancien ami de Vincent et Maxime, qui se retrouve déchiré entre la volonté de Vincent de disposer de l'entreprise familiale comme il l'attend, et celle des ouvrières de conserver leur emploi, Mélie, jeune ouvrière téméraire, le jeune avocat qui épaule Vincent et que les habitants viennent bientôt à craindre...
A cela s'ajoute l'épisode tragique vécu par Marie Damrémont, la compagne de Maxime, et l'accident provoqué par les trois jeunes hommes, au cours de la même nuit de 1998, et les ingrédients sont réunis pour semer le trouble.
Alors que le suspense était habilement maintenu d'abord, et se partageait entre le sort des différents personnages, il m'a semblé que la dernière partie du roman, consacrée aux révélations attendues, se diluait un peu, perdait de sa force, et laissait entrevoir l'issue avant qu'il ne soit temps.
Ainsi, le roman d'Hervé Commère fonctionne à merveille et constitue un très bon thriller, mais j'ai ressenti à la fin une légère perte d'attention et d'intérêt, provenant sans doute du fait que l'on s'écarte peu à peu du sort des ouvrières pour retomber dans l'anecdotique. C'est sans doute ce qui permet de brouiller les pistes, mais cela m'a semblé porter préjudice in fine au reste du roman, qui parvenait justement à se distinguer en prenant un cadre original.
Pour vous si...
- Vous vous souvenez avec émotion de la victoire de 98
- Vous êtes sensible à l'avenir de la fabrication de lingerie en France
Morceaux choisis
"Le discours de l'avocat en aura peut-être ému certains, qui trouveront des excuses à ce jeune homme infernal qui, de tout ce que la vie lui a appris, n'a retenu que le pire."
"_Pourtant, vous avez l'habitude de faire monter des clientes chez vous, non? s'étonne Marilyn.
_Oui, mais Marie, c'est différent. Elle dégage quelque chose de tellement fort...C'est une femme.
_Pas les autres?
_Si, bien sûr. Mais les autres, ce sont...des filles.
_Vous pouvez m'expliquer la différence?
_Non. Non, je ne peux pas. Mais cette différence, tout le monde la connaît. Vous aussi." (et bien non, gros boulet, tout le monde ne la connaît pas, parce qu'elle n'existe que dans le cerveau des nazes. Désolée, mais non, le monde ne se divise pas entre les salopes et les Marie-Charlotte.)
Note finale3/5(cool)