Voici un livre qui casse les codes, brise les parois entre genres, nous proposant un roman qui relève à la fois de la littérature générale et du fantastique. Une histoire abracadabrantesque qui est pourtant née après des événements bien réels, hélas. Des événements revenus il y a peu, d'ailleurs, sur le devant de l'actualité, puisqu'il s'agit de l'incroyable série de suicides qui a frappé certaines entreprises françaises, et particulièrement France Télécom. De ces drames, du contexte qui a abouti à tout cela, Philippe Claudel, conteur hors pair, a tiré la matière première de "l'Enquête" (la majuscule est importante), paru en 2010 chez Stock et disponible au Livre de Poche. Une fable troublante, inquiétante, déroutante, placée sous le signe de l'absurde... Mais, tout ce qui le lecteur découvre en même temps que l'Enquêteur, c'est notre monde. Et c'est sans doute ce qui est le plus effrayant, malgré le décalage de certaines situations qui prête souvent à (sou)rire.
Un homme arrive dans une Ville, un soir pluvieux et froid. De lui, on ne sait quasiment rien, si ce n'est que c'est un être ordinaire, le genre qui passe inaperçu partout. Que fait-il là ? Il vient enquêter. Normal, on ne le connaîtra jamais autrement que sous ce nom : l'Enquêteur". Et sur quoi vient-il enquêter ? Sur une vague de suicides qui a frappé récemment l'Entreprise.
23 personnes qui se sont données la mort dans les mois précédents, ça interpelle et ça finit par attirer l'attention. Comment l'Entreprise a-t-elle pu en arriver là ? Voilà ce que l'Enquêteur doit découvrir, et vite. Mais, sa tâche s'annonce particulièrement ardue, car sitôt a-t-il posé le pied dans la Ville que rien, plus rien ne se passe comme prévu...
Entre la météo exécrable, les rues impersonnelles qui se ressemblent toutes, le temps qui semble passer plus vite qu'ailleurs et l'accueil frigorifique des autochtones, voilà notre Enquêteur bien perplexe... D'abord incapable de se faire servir un grog, car cette boisson n'est pas répertoriée dans l'ordinateur du Bar, il est refoulé aux portes de l'Entreprise...
Il faut dire que la soirée est déjà bien entamée et c'est finalement au coeur de la nuit qu'il parvient à trouver, enfin, un Hôtel qui veuille bien l'héberger. Enfin, l'héberger, tout est relatif, tant les contraintes paraissent énormes et le bâtiment posséder une architecture pour le moins déroutante... Une première nuit atroce, avant de pouvoir débuter une Enquête de routine. A priori...
Mais l'Enquêteur n'est pas au bout de ses surprises, car c'est tout le fonctionnement de la Ville dans laquelle il est arrivé qui semble aller de travers. Le voilà constamment soumis à des événements inattendus, et rarement agréables, il faut bien le dire. Et leur enchaînement semble défier la rationalité la plus élémentaire...
Quant à cette impression grandissante de malaise, elle peut aussi bien être due à cet appel matinal et à la voix pleine de terreur entendue par l'Enquêteur à peine réveillé qu'à l'impression grandissante qu'il a d'être épié et de ne rien pouvoir faire sans que tout le monde soit au courant. A commencer par le Policier, là, qui bosse dans un bureau de la taille d'un cagibi et lui tient des propos flippants...
En quelques heures dans la Ville, l'Enquêteur a déjà sévèrement perdu de sa superbe. Et l'allure, pour un Enquêteur, c'est important, ça donne du crédit, ça en impose... Mais, là, lorsqu'il arrive aux portes de l'Entreprise, cette fois aux heures de bureau, ce crédit est déjà bien entamé. Qu'en sera-t-il après une journée passée au coeur de cette Boîte, dont les Salariés ont une fâcheuse tendance à se suicider ?
Vous l'avez sans doute déjà compris, "l'Enquête" n'est pas tout à fait un roman comme les autres. Aucun nom, ni de lieu, ni pour les personnages, réduits à leur simple fonction dans la société, malgré ces majuscules pour donner de l'importance. Les noms sont comme effacés, et avec eux, les conventions sociales élémentaires, le ciment qui fait une société ordinairement.
Sur les talons de l'Enquêteur, on découvre ce décor complètement impersonnel, ces situations sens dessus dessous (la chambre 93 du bien mal nommé Hôtel de l'Espérance [qui aurait du souci à se faire sur Trip Advisor et sur les réseaux sociaux s'il existait réellement] en est un exemple parfait), ces êtres dépourvus de chaleur, cette sensation de malaise qui grandit...
Tout, dans cette Ville, paraît absurde. A tel point que, devant certaines situations, on ne peut s'empêcher de sourire. Oui, dans cet univers oppressant, qui semble se refermer comme ces pièces dont les murs se rapprochent, inexorablement, Philippe Claudel réussit à glisser de véritables gags, comme cette ligne verte qui, si on la suit, mène droit dans le mur. Littéralement.
L'humour naît naturellement, comique de situation, décalage souvent involontaire, surprise de l'Enquêteur face à la vie dans la Ville ou l'Entreprise. Mais, cet humour ne fait en rien oublier qu'on est dans un univers qui, avant tout, est particulièrement anxiogène. Et, au premier chef, parce que, qu'on le veuille ou non, ce monde décrit dans "l'Enquête", c'est le nôtre, aucun doute.
Un monde qui perd chaque jour un peu plus de son humanité, sous la pression des systèmes dominants, que sont ici, le libéralisme économique le plus effréné, la consommation, le tourisme de masse, sans oublier des phénomènes comme le rejet d'autrui ou l'individualisme forcené... Une spirale qui ne cesse de produire ces absurdités qui sont légion dans le roman.
D'une certaine façon, l'Enquêteur, dans son incapacité à envisager autre chose que le sujet de son Enquête, dans ce rôle qui lui colle à la peau au point qu'il en oublie son nom lui-même, n'est pas un intrus dans ce monde, mais un des engrenages de la machine qu'il est sensé dénoncer, démanteler. Il manque terriblement de recul sur la situation mais en avoir, n'est-ce pas pire que tout pour lui ?
A l'image de ce qu'il a déjà fait dans "la petite fille de Monsieur Lihn" ou "le rapport de Brodeck", par exemple, Philippe Claudel se détache de la littérature dite mimétique, c'est-à-dire s'appuyant sur un contexte réaliste, et décale un peu son point de vue pour lui donner cet aspect digne d'un Ionesco ou d'un Beckett, chef de file de la littérature de l'absurde.
Pourtant, ce sont à d'autres auteurs que l'on pense instinctivement, simplement du fait du sujet : Franz Kafka et George Orwell ne sont pas très loin. Kafka pour ce monde qui a perdu tout sens commun et dans lequel l'Enquêteur devient véritablement un nouveau Joseph K. ; Orwell pour l'impersonnalité de tout cela, cette novlangue qui passe par les majuscules semées partout et pour le côté totalitaire de la chose.
A l'image de ces deux auteurs, Philippe Claudel rassemble des éléments fort communs, très quotidiens, sans monstre ou créature particulières, sans phénomènes extraordinaires, relevant de l'imaginaire. Mais, l'accumulation, le décalage, même léger, la pression qui pèse un peu plus à chaque situation nouvelle sur le personnage, viennent donner ce vernis fantastique au livre.
Mais, Kafka et Orwell ne sont pas les seules références de ce roman. La scène d'ouverture, sous la pluie battante, avec la nuit qui tombe brusquement, rappelle certains romans de Georges Simenon, nous rappelle Philippe Claudel, qui évoque aussi un roman qu'il a voulu très visuel, très cinématographique, mais là encore dans une veine particulière.
Lors de l'entretien qu'il a donné aux dernières Imaginales, il évoquait quelques influences possibles à ce roman, comme le très observateur Jacques Tati, le lunaire Buster Keaton, les cyniques frère Coen ou le fantasque Terry Gilliam, celui de "Brazil", particulièrement. J'en ajouterai une autre, télévisuelle, celle-là, qui me vient alors que j'écris ce billet : la Quatrième Dimension...
Oui, ce roman pourrait très bien être un épisode de cette mythique série, comme si l'Enquêteur, en posant le pied sur le quai de la Gare de la Ville, était entré dans cette "Twilight Zone" (pour reprendre le titre original) où plus rien ne se déroule comme il le devrait, dans une réalité altérée. Là encore, la dimension imaginaire apparaît finalement assez naturelle.
Le roman est mené tambour battant, enchaînant les chapitres assez brefs, chacun présentant une scène, dans un lieu différent, avec un entourage différent et donne l'impression au lecteur que l'Enquêteur n'en finit plus de s'embourber dans ce monde sans queue ni tête. Et, petit à petit, on se demande s'il ne serait pas en train de suivre une trajectoire ressemblant fortement à celle des 23 suicidés sur lesquels il doit justement enquêter...
Bien sûr, en s'affranchissant des codes traditionnels du roman, Philippe Claudel peut aussi troubler le lecteur. Un minimum d'émotions, puisque ce monde en semble incapable, des personnages fort peu attachants, une enquête qui se perd dans les méandres d'une société qui ne tourne pas très rond, et voilà pourquoi on évoque une fable.
Qui dit fable, dit morale. En tout cas, habituellement. Car "l'Enquête" va jusqu'au bout de son absurdité, de sa folie. Il y a un aspect que je n'ai pas évoqué, et un personnage, dont l'image est pourtant très présente, c'est le Fondateur. On ne le rencontre qu'en fin de roman, en tout cas en chair et en os, mais ce personnage débonnaire et loufoque vaut aussi son pesant de cacahuètes.
Un Fondateur aux allures de Dieu déchu qui aurait oublié son rôle autant que le monde l'a oublié. Mais quoi de plus logique que de voir s'éteindre toute étincelle de spiritualité dans un monde qui pousse le matérialisme à son point le plus extrême ? Le Fondateur, dernier avatar de l'univers tragi-comique de Philippe Claudel, souffle sur la dernière source de lumière et d'espoir...
Pessimiste, Philippe Claudel ? Pour qui ne le connaît que par "les âmes grises", on peut se le demander. Ses livres se terminent rarement bien, si tant est que ce terme ait un sens. C'est encore le cas, ici, c'est certain. Mais, l'auteur se veut d'abord un romancier et un observateur, pas un philosophe, un sociologue ou, pour revenir au thème de la fable, un moraliste.
Il observe et donne du grain à moudre au lecteur (enfin, au lecteur qui veut bien s'en donner la peine) qui, à travers les aventures ubuesques de l'Enquêteur peut réfléchir à la situation. "L'Enquête" a paru en 2010, force est de constater qu'il reste terriblement d'actualité. Et que l'absurdité dans laquelle s'enfonce l'Enquêteur comme dans des sables mouvants nous a sans doute déjà engloutis, nous aussi.
Un homme arrive dans une Ville, un soir pluvieux et froid. De lui, on ne sait quasiment rien, si ce n'est que c'est un être ordinaire, le genre qui passe inaperçu partout. Que fait-il là ? Il vient enquêter. Normal, on ne le connaîtra jamais autrement que sous ce nom : l'Enquêteur". Et sur quoi vient-il enquêter ? Sur une vague de suicides qui a frappé récemment l'Entreprise.
23 personnes qui se sont données la mort dans les mois précédents, ça interpelle et ça finit par attirer l'attention. Comment l'Entreprise a-t-elle pu en arriver là ? Voilà ce que l'Enquêteur doit découvrir, et vite. Mais, sa tâche s'annonce particulièrement ardue, car sitôt a-t-il posé le pied dans la Ville que rien, plus rien ne se passe comme prévu...
Entre la météo exécrable, les rues impersonnelles qui se ressemblent toutes, le temps qui semble passer plus vite qu'ailleurs et l'accueil frigorifique des autochtones, voilà notre Enquêteur bien perplexe... D'abord incapable de se faire servir un grog, car cette boisson n'est pas répertoriée dans l'ordinateur du Bar, il est refoulé aux portes de l'Entreprise...
Il faut dire que la soirée est déjà bien entamée et c'est finalement au coeur de la nuit qu'il parvient à trouver, enfin, un Hôtel qui veuille bien l'héberger. Enfin, l'héberger, tout est relatif, tant les contraintes paraissent énormes et le bâtiment posséder une architecture pour le moins déroutante... Une première nuit atroce, avant de pouvoir débuter une Enquête de routine. A priori...
Mais l'Enquêteur n'est pas au bout de ses surprises, car c'est tout le fonctionnement de la Ville dans laquelle il est arrivé qui semble aller de travers. Le voilà constamment soumis à des événements inattendus, et rarement agréables, il faut bien le dire. Et leur enchaînement semble défier la rationalité la plus élémentaire...
Quant à cette impression grandissante de malaise, elle peut aussi bien être due à cet appel matinal et à la voix pleine de terreur entendue par l'Enquêteur à peine réveillé qu'à l'impression grandissante qu'il a d'être épié et de ne rien pouvoir faire sans que tout le monde soit au courant. A commencer par le Policier, là, qui bosse dans un bureau de la taille d'un cagibi et lui tient des propos flippants...
En quelques heures dans la Ville, l'Enquêteur a déjà sévèrement perdu de sa superbe. Et l'allure, pour un Enquêteur, c'est important, ça donne du crédit, ça en impose... Mais, là, lorsqu'il arrive aux portes de l'Entreprise, cette fois aux heures de bureau, ce crédit est déjà bien entamé. Qu'en sera-t-il après une journée passée au coeur de cette Boîte, dont les Salariés ont une fâcheuse tendance à se suicider ?
Vous l'avez sans doute déjà compris, "l'Enquête" n'est pas tout à fait un roman comme les autres. Aucun nom, ni de lieu, ni pour les personnages, réduits à leur simple fonction dans la société, malgré ces majuscules pour donner de l'importance. Les noms sont comme effacés, et avec eux, les conventions sociales élémentaires, le ciment qui fait une société ordinairement.
Sur les talons de l'Enquêteur, on découvre ce décor complètement impersonnel, ces situations sens dessus dessous (la chambre 93 du bien mal nommé Hôtel de l'Espérance [qui aurait du souci à se faire sur Trip Advisor et sur les réseaux sociaux s'il existait réellement] en est un exemple parfait), ces êtres dépourvus de chaleur, cette sensation de malaise qui grandit...
Tout, dans cette Ville, paraît absurde. A tel point que, devant certaines situations, on ne peut s'empêcher de sourire. Oui, dans cet univers oppressant, qui semble se refermer comme ces pièces dont les murs se rapprochent, inexorablement, Philippe Claudel réussit à glisser de véritables gags, comme cette ligne verte qui, si on la suit, mène droit dans le mur. Littéralement.
L'humour naît naturellement, comique de situation, décalage souvent involontaire, surprise de l'Enquêteur face à la vie dans la Ville ou l'Entreprise. Mais, cet humour ne fait en rien oublier qu'on est dans un univers qui, avant tout, est particulièrement anxiogène. Et, au premier chef, parce que, qu'on le veuille ou non, ce monde décrit dans "l'Enquête", c'est le nôtre, aucun doute.
Un monde qui perd chaque jour un peu plus de son humanité, sous la pression des systèmes dominants, que sont ici, le libéralisme économique le plus effréné, la consommation, le tourisme de masse, sans oublier des phénomènes comme le rejet d'autrui ou l'individualisme forcené... Une spirale qui ne cesse de produire ces absurdités qui sont légion dans le roman.
D'une certaine façon, l'Enquêteur, dans son incapacité à envisager autre chose que le sujet de son Enquête, dans ce rôle qui lui colle à la peau au point qu'il en oublie son nom lui-même, n'est pas un intrus dans ce monde, mais un des engrenages de la machine qu'il est sensé dénoncer, démanteler. Il manque terriblement de recul sur la situation mais en avoir, n'est-ce pas pire que tout pour lui ?
A l'image de ce qu'il a déjà fait dans "la petite fille de Monsieur Lihn" ou "le rapport de Brodeck", par exemple, Philippe Claudel se détache de la littérature dite mimétique, c'est-à-dire s'appuyant sur un contexte réaliste, et décale un peu son point de vue pour lui donner cet aspect digne d'un Ionesco ou d'un Beckett, chef de file de la littérature de l'absurde.
Pourtant, ce sont à d'autres auteurs que l'on pense instinctivement, simplement du fait du sujet : Franz Kafka et George Orwell ne sont pas très loin. Kafka pour ce monde qui a perdu tout sens commun et dans lequel l'Enquêteur devient véritablement un nouveau Joseph K. ; Orwell pour l'impersonnalité de tout cela, cette novlangue qui passe par les majuscules semées partout et pour le côté totalitaire de la chose.
A l'image de ces deux auteurs, Philippe Claudel rassemble des éléments fort communs, très quotidiens, sans monstre ou créature particulières, sans phénomènes extraordinaires, relevant de l'imaginaire. Mais, l'accumulation, le décalage, même léger, la pression qui pèse un peu plus à chaque situation nouvelle sur le personnage, viennent donner ce vernis fantastique au livre.
Mais, Kafka et Orwell ne sont pas les seules références de ce roman. La scène d'ouverture, sous la pluie battante, avec la nuit qui tombe brusquement, rappelle certains romans de Georges Simenon, nous rappelle Philippe Claudel, qui évoque aussi un roman qu'il a voulu très visuel, très cinématographique, mais là encore dans une veine particulière.
Lors de l'entretien qu'il a donné aux dernières Imaginales, il évoquait quelques influences possibles à ce roman, comme le très observateur Jacques Tati, le lunaire Buster Keaton, les cyniques frère Coen ou le fantasque Terry Gilliam, celui de "Brazil", particulièrement. J'en ajouterai une autre, télévisuelle, celle-là, qui me vient alors que j'écris ce billet : la Quatrième Dimension...
Oui, ce roman pourrait très bien être un épisode de cette mythique série, comme si l'Enquêteur, en posant le pied sur le quai de la Gare de la Ville, était entré dans cette "Twilight Zone" (pour reprendre le titre original) où plus rien ne se déroule comme il le devrait, dans une réalité altérée. Là encore, la dimension imaginaire apparaît finalement assez naturelle.
Le roman est mené tambour battant, enchaînant les chapitres assez brefs, chacun présentant une scène, dans un lieu différent, avec un entourage différent et donne l'impression au lecteur que l'Enquêteur n'en finit plus de s'embourber dans ce monde sans queue ni tête. Et, petit à petit, on se demande s'il ne serait pas en train de suivre une trajectoire ressemblant fortement à celle des 23 suicidés sur lesquels il doit justement enquêter...
Bien sûr, en s'affranchissant des codes traditionnels du roman, Philippe Claudel peut aussi troubler le lecteur. Un minimum d'émotions, puisque ce monde en semble incapable, des personnages fort peu attachants, une enquête qui se perd dans les méandres d'une société qui ne tourne pas très rond, et voilà pourquoi on évoque une fable.
Qui dit fable, dit morale. En tout cas, habituellement. Car "l'Enquête" va jusqu'au bout de son absurdité, de sa folie. Il y a un aspect que je n'ai pas évoqué, et un personnage, dont l'image est pourtant très présente, c'est le Fondateur. On ne le rencontre qu'en fin de roman, en tout cas en chair et en os, mais ce personnage débonnaire et loufoque vaut aussi son pesant de cacahuètes.
Un Fondateur aux allures de Dieu déchu qui aurait oublié son rôle autant que le monde l'a oublié. Mais quoi de plus logique que de voir s'éteindre toute étincelle de spiritualité dans un monde qui pousse le matérialisme à son point le plus extrême ? Le Fondateur, dernier avatar de l'univers tragi-comique de Philippe Claudel, souffle sur la dernière source de lumière et d'espoir...
Pessimiste, Philippe Claudel ? Pour qui ne le connaît que par "les âmes grises", on peut se le demander. Ses livres se terminent rarement bien, si tant est que ce terme ait un sens. C'est encore le cas, ici, c'est certain. Mais, l'auteur se veut d'abord un romancier et un observateur, pas un philosophe, un sociologue ou, pour revenir au thème de la fable, un moraliste.
Il observe et donne du grain à moudre au lecteur (enfin, au lecteur qui veut bien s'en donner la peine) qui, à travers les aventures ubuesques de l'Enquêteur peut réfléchir à la situation. "L'Enquête" a paru en 2010, force est de constater qu'il reste terriblement d'actualité. Et que l'absurdité dans laquelle s'enfonce l'Enquêteur comme dans des sables mouvants nous a sans doute déjà engloutis, nous aussi.