Le synopsis
Janet Manning avait 7 ans lorsque son frère Justin, âgé de 2 ans, a été enlevé et assassiné. A l'époque, la police avait identifié Dante Rogers comme le coupable, un jeune homme noir dans la chambre duquel avait été retrouvée de la pornographie infantile. Alors que Dante vient d'être libéré, de troublantes suspicions émergent: et si Dante n'avait été condamné que parce qu'il incarnait le coupable idéal? Qui est cet homme qui a fait irruption chez Janet en prétendant connaître la vérité sur le meurtre de son frère? Janet et l'inspecteur Styrnes décident de confronter leurs vieux démons, et de rouvrir l'enquête.
Mon avis
Attention spoilers!
En lisant la suite, vous vous exposez à découvrir les - très subtiles - ficelles d'un - très puissant - thriller!
Au risque de vous paraître un peu dure, je me dois d'être franche en dévoilant mon sentiment véritable à l'égard du roman de David Bell, à savoir, une bonne vieille déception.
Attention, je ne parle pas non plus d'une grosse daube, mais Un lieu secret est, à mon plus grand regret, un thriller assez convenu, qui n'est pas au rendez-vous en termes de suspense, de halètement (à ne pas lire à haute voix).
Le topo de départ est assez classique, et l'auteur se sert du fil assez commun du coupable pas coupable, accusé en gros pour délit de faciès. Sauf que là, le mec qui s'est tapé 18 ans de prison n'est pas trop rancunier, parce que, surprise, il se trouve qu'il commençait, avant son incarcération, à ressentir des penchants bizarres à l'égard des enfants, et que du coup, forcément, la prison lui a fait un bien fou (rencontre avec Dieu, prise de conscience, volonté de changer, etc). Donc, l'inspecteur Styrnes, chargé de l'enquête à l'époque, s'en veut un peu, mais pas non plus des masses, parce qu'au final il a quand même réussi à faire enfermer un pédophile en puissance (sans parler de son co-équipier de l'époque qui lui s'en fout royalement).
Comprenez bien l'idée de l'auteur : le gamin ne pouvait pas non plus être noir ET innocent; au moins, les pendules sont à l'heure, et ce scénario implacable permet de faire en sorte que Styrnes (ainsi, au passage, que tous les bons samaritains qui avaient témoigné à l'encontre de ce pauvre Dante Rogers) n'étouffe pas sous le poids de la culpabilité.
Passons.
Au passage, cela donne lieu à des remarques tout à fait édifiantes de Styrnes (et à travers lui, on peut le soupçonner, de l'auteur?) sur le fait que les salauds ne changent pas, et que ce cher Dante, si désireux de trouver l'absolution, n'a aucune chance de devenir quelqu'un de bien (alors que Styrnes, lui, peut tout à fait y prétendre, parce que bon, quand on envoie en prison un mec pas coupable mais pas non plus tout blanc comme neige, il suffit de trouver le vrai coupable et comme ça on est à l'équilibre, non?).
Bref, j'ai dit passons.
Dix-huit ans après les faits, donc, Dante Rogers est remis en liberté, une jeune journaliste aux dents longues renifle le scandale et vient remuer la bouse (je ne vous cite pas son nom, elle ne sert à rien d'autre dans le reste de l'histoire, on ne la reverra qu'à de brèves et inutiles occasions).
Pendant ce temps-là, Janet, la grande sœur, ne va pas beaucoup mieux, elle a quand même réussi à se faire engrosser mais n'a pas quitté sa ville natale, et rêve toujours du beau Michael, à cause duquel elle s'était détournée à 7 ans de la surveillance de son petit frère. Sa fille Ashleigh est ado, et traîne d'ailleurs avec un jeune homme noir, comme ça l'auteur est sûr que la famille ne se fera pas taxer de racisme (ce serait emmerdant étant donné que ce sont les "gentils" dans le thriller).
Quelques petits soucis de communication entre les deux, enfin rien de dramatique.
Michael Bower revient en ville lui aussi, alors forcément Janet est toute émoustillée, sauf que Michael n'a pas l'air dans son assiette, et s'empresse de révéler que lors de la disparition de Justin, il s'est enfui dans les bois (donc il n'était pas du tout avec Janet comme on avait cru le comprendre), et a vu son père se tenir précisément là où le corps de Justin a été retrouvé. Je vous raconte pas l'ambiance.
Et puis d'un coup, il y a ce mec obscur (que je nommerai Steven par souci de clarté pour la suite) qui se ramène et qui se montre partout, mais dont personne ne sait qui c'est : il se pointe une nuit chez Janet, se targue de connaître la vérité sur la mort de son frère, ce qui ébranle Janet... Mais pas au point de retenir Steven. Non non, elle le laisse repartir comme il est venu, et commence même à se dire que ça pourrait bien être son frère.
Ennuyeux, quand on pense que le cadavre de son frère a été retrouvé et enterré.
Bref, tout ça s'annonce nébuleux, on se demande vaguement ce qu'on fout là, mais on reste, parce que bon, c'est un thriller, il doit y avoir de la révélation au bout du couloir.
Tout se met en branle, l'enquête est rouverte, Styrnes est sur le coup (il avait si bien fait la première fois que ça valait la peine de reprendre le même), épaulé par les très efficaces et objectives Janet et Ashleigh.
Graduellement, les alibis des uns et des autres foutent le camp, tout le monde fait figure de coupable potentiel, et d'ailleurs les réactions à vif d'à peu près tous les protagonistes ne sont pas pour nous aider à voir clair dans cet apparent embrouillamini.
Sauf que, voilà, à mi-chemin, tandis que Janet court toujours après l'inconnu qui s'est pointé chez elle (fallait-il pas se réveiller avant, ma petite dame?), une nouvelle de taille est partagée : la famille Manning n'était pas la famille soudée que l'on s'imaginait, parce que le matin de la disparition de Justin, en fait Madame Manning annonçait à Monsieur Manning qu'elle couchait avec Monsieur Bower (le papa de Michael, si vous avez suivi) et qu'en conséquence, elle allait le quitter sans sommation. On comprend aussi que Justin était le fils de Bower et pas de Monsieur Manning. Au même moment, Ray Bower faisait de même de son côté, informant sa chère et tendre de sa scrupuleuse décision.
Badaboum.
Janet et Styrnes cherchent à assembler tout ça, et qu'est-ce que ça donne?
Ray Bower a sans doute tué Justin.
Non mais sans blague.
On vient de comprendre que le mec est le père de Justin. Pourquoi qu'il irait trucider son gamin? C'est complètement stupide. En revanche, on sait à ce moment que ça ne devait pas aller fort en termes d'ambiance festive et cordiale dans la famille Manning et dans la famille Bower, et on sait que Michael s'est enfui dans les bois au moment de la disparition de Justin, où il a croisé son père ("Salut P'pa, alors ça y est, t'as lourdé ta grosse?"). Donc, au lieu de la proposition saugrenue retenue par ces gros malins de Janet et Styrnes, on commence à se faire une petite idée du scénario.
Mais non, il n'est pas encore l'heure, et il reste surtout plus d'une cinquantaine de pages à s'enfiler.
Donc rebondissement à propos : on finit par mettre la main sur le mystérieux Steven. Finalement, ce n'est pas le frère de Janet, puisqu'un banal transvasement de cercueils à permis de s'assurer au passage que l'ADN sur le cadavre était bien celui de Justin (à savoir, frère de Janet et fils de Papa Bower), non, en fait le monsieur s'appelle Steven (pour de vrai, mais quelle coïncidence) et était en classe avec Janet en primaire (on pressent le pire, et on a raison).
A l'époque, il était orphelin (a priori ça n'a pas dû changer) et ses habits étaient crados, ce qui a eu pour conséquence d'en faire la cible des autres gamins, jusqu'à ce que Janet prenne un beau jour sa défense. L'anecdote est hyper utile : on comprend d'un coup pourquoi le mec colle aux basques de Janet (visiblement 20 ans n'ont pas suffi à le faire passer à autre chose), pourquoi Janet est cool (parce que sinon elle faisait plutôt office de boulet depuis le début), et pourquoi Michael beaucoup moins, parce que bien sûr, il était de ceux qui tyrannisaient le pauvre Steven, révélant ainsi la facette obscure de sa personnalité....
HAAAAANNNNNNN alors là la lumière se fait.
En fait, Michael n'est PAS gentil.
La preuve : il harcelait les faibles enfants quand il avait 7 ans.
Et, pour clore le tout, au cas où vous auriez encore des doutes, Michael, qui avait subitement disparu depuis 20 pages, réapparaît au milieu de la nuit pour traîner Janet dans les bois, précisément là où le corps de son frère a été retrouvé (quel romantique, ce Michael).
Et il passe à table, révélant l'altercation entendue entre ses parents le jour de la mort de Justin, la compréhension subite que tout cela était de la faute de Justin, son passage au parc, là où justement il voit ce salopard de Justin, lequel se carapate dans les bois pendant que Janet dragouille Michael. Michael met alors fin au flirt pour s'enfoncer à son tour dans les bois (Janet le dindon n'a donc plus ni son frère ni sa target sous les yeux, mais ne s'en émeut pas tout de suite, elle doit être en train d'engloutir son goûter), il tombe sur Justin et le fracasse (faut-il rappeler que Justin a 2 ans?).
Sur ce, papa Bower se raboule et couvre son fils.
Mais tout ça, c'est fini, parce que comme maintenant papa Bower veut convoler en deuxièmes noces avec une fille de trente ans de moins, d'un coup il est opé pour dénoncer son fils, ce qu'il ne manque pas de faire.
Fort de la confession au timing parfait de ce dernier, le preux et rudement malin Styrnes se ramène au milieu des bois, et le cueille juste après qu'il a terminé ses aveux à Janet.
Tout est bien qui finit bien (sauf pour Dante qui a donc pris 20 ans pour rien, mais bon, je vous ai dit qu'il avait une tendance pédophile, donc no souci).
Je souligne, s'il en est besoin, que le personnage de Steven ne sert donc à rien, si ce n'est introduire du flou en ajoutant un personnage à la trame, et apporter la suspicion à l'égard de Michael (mais était-ce bien nécessaire?) par le biais d'une anecdote relativement inintéressante.
Au temps pour cette pauvre Janet, qui espérait enfin concrétiser avec Michael, après tout, un flirt qui dure depuis si longtemps, il y a de quoi avoir les crocs.
Bon, bon, bon. Un peu de sérieux s'il vous plaît.
Je dirai pour conclure que l'intrigue m'a paru relativement cousue de fil blanc, pas désagréable à lire, mais sans effet de surprise ni révélation stupéfiante qui motive en général la lecture d'un thriller.
Merci, Bibliothèque orange, je te revaudrai ça, promis.
Pour vous si...
- Mes jérémiades vous ont donné envie d'en savoir plus sur les personnages profonds et attachants de ce roman.
Morceaux choisis
"Il ne faut pas vous inquiéter. Ce n'est qu'une gamine qui cherche à se faire un nom. Elle pense qu'aborder son article sous l'angle du racisme pourrait lui donner un certain retentissement... Sauf que les gens de Dove Point préféreraient encore assister à la Journée mondiale de la coloscopie plutôt que de se pencher sur la question." (Un excellent concept, cette journée. Je réemploierai. Par exemple : toute personne saine d'esprit préférerait assister à la Journée mondiale de la coloscopie plutôt que de lire le roman de David Bell)
"L'homme n'arrivait toujours pas à parler, mais il secoua la tête. Et en vérité, Styrnes avait un peu pitié de lui. C'était un pervers, un détraqué, mais il lui restait un côté fragile et humain difficile à ignorer." (Pour info, le mec en question est le gérant d'un hôtel moisi et il a juste essayé de violer la gamine de Janet qui venait chercher des infos sur Steven. La police vient le menotter, et d'un coup le mec exprime un côté fragile et humain difficile à ignorer. Et oui, au fond de tous les gros pervers il y a un petit cœur qui bat. Tout va bien. Enfin, tant qu'ils sont pas noirs, parce qu'alors là, pour peu qu'ils matent un peu de porno, même 20 ans de prison c'est gentil.)
"A la fin de l'après-midi, Janet avait réussi à s'oublier dans son travail pour la première fois depuis près d'une semaine. Une proposition de changement dans la façon de calculer la rémunération des professeurs avait atterri sur son bureau en milieu de matinée." (ah ben voilà quelque chose d'intéressant! Si seulement David avait creusé le sujet...)
Note finale1/5
(flop)