"Soy un hombre muy honrado (...) Jineteando en mi caballo Por la sierra yo me voy Las estrellas y la luna, ellas me dicen donde voy" (Los Lobos).

Un titre en espagnol, qui est en fait le début de la "Canción del mariachi", titre signé Los Lobos pour le remake du film "El Mariachi". Bon, en fait, je n'avais pas trop d'idée de titre, alors je me rabats là-desssus (ay, ay, ay, ay, ay !!) et je n'en suis pas si mécontent. Le lien avec le mariachi sera évident, mais je trouve aussi que ces quelques phrases ("je suis un homme très honnête [...] Chevauchant je m'en vais par la montagne, les étoiles et la lune me disent où je vais") s'appliquaient pas mal au personnage central de ce roman : l'inspecteur du LAPD Harry Bosch. "Mariachi Plaza" est le dernier roman en date de Michael Connelly à paraître en France, et c'est la 17e enquête du fameux flic angeleno. Et ce pourrait bien être sa dernière, figurez-vous... Alors, profitons encore de ce personnage désormais incontournable de la littérature policière mondiale avant que la retraite ne le rattrape définitivement...

Harry Bosch compte les semaines, peut-être même les jours. En tout cas, il compte les enquêtes qu'il lui reste à élucider avant que le couperet qu'il a éloigné tant bien que mal ces dernières années, celui de la retraite, se rapproche inéluctablement. Désormais en charge des "cold cases", ces affaires non-élucidées qui dorment dans les archives des services de police, il a envie d'en profiter à fond.

Pourtant, paradoxalement, c'est devant une table d'autopsie que débute cette nouvelle enquête. Oh, rassurez-vous, Orlando Merced qui gît sur la table en inox avec une ouverture en Y sur le bide vient de mourir. Mais, la balle qui l'a tué, elle, se trouvait incrustée dans sa colonne vertébrale depuis une dizaine d'années.

Cette balle ne l'a pas tué sur le coup mais l'a condamné à vivre le restant de ses jours sur un fauteuil roulant. Là où elle était placée, impossible de la déloger du vivant de la victime, privant ainsi la police d'une preuve décisive pour retrouver le tireur. Mais, après avoir provoqué plusieurs infections, la vilaine balle a fini par provoqué une septicémie fatale et, après 10 ans sans avancée, voilà de quoi faire redécoller ce dossier.

D'autant que la balle en question va illico remettre en question la première version des faits : une balle perdue lors d'une fusillade entre gangs, occasionnant un terrible dommage collatéral. Mais son calibre indique qu'elle a plutôt été tirée par une arme de chasse, ce qui ne colle pas trop avec l'arsenal habituel des gangs latinos qui font des ravages dans la ville...

Mais qui, alors, a pu vouloir tuer un mariachi ? Car c'était la profession d'Orlando Merced, lorsqu'il marchait encore. D'ailleurs, ce samedi-là, il se trouvait à Mariachi Plaza, endroit bien connu de Los Angeles, où ces orchestres typiques se rassemblent chaque weekend en attendant qu'on vienne louer leurs services pour un mariage, une réception...

Assez insolite en apparence, l'histoire d'Orlando Merced avait pourtant pris une tournure très politique. Alors, avec la mort du mariachi, l'enquête redevient brusquement brûlante. Aux côtés de Harry Bosch pour essayer de la résoudre, une nouvelle coéquipière : Lucia Soto. Une jeune flic latino, récemment muté dans ce service.

Une "rookie" mais qui a déjà su montrer sur le terrain qu'elle n'avait pas froid aux yeux. Elle a rejoint l'unité de Bosch récemment, car celle-ci voit ses effectifs augmenter nettement, en raison de l'augmentation incessante des homicides dans la Cité des Anges. Et comme la règle est de former les binômes avec un vieux de la vieille et un petit nouveau, voilà comment elle a hérité de Bosch...

Lucy, comme elle préfère qu'on l'appelle, apparaît aussitôt comme un élément travailleur, presque plus que Bosch lui-même ! Arrivée avant lui, présente au bureau le weekend, elle ne semble jamais dételer, ce qui intrigue son expérimenté coéquipier. Celui-ci va alors découvrir que sa nouvelle collègue a un secret.

Agacé mais aussi touché par l'histoire de la jeune femme, Bosch lui propose un arrangement : il va l'aider sur cette enquête, une autre affaire non-classée qui la touche de près, à condition qu'elle cesse les cachotteries. Et voilà comment le duo va mener de front ces deux enquêtes, qui vont les mener dans des directions bien différentes...

Comme lors des récentes enquêtes d'Harry Bosch, on retrouve dans "Mariachi Plaza" une dimension politique qui finit par laisser penser que Michael Connelly a une sacrée dent contre la classe politique californienne... Mais, alors que Bosch, qui n'a plus rien à perdre, se détache de plus en plus des pressions hiérarchiques et des procédures réglementaires, le faire se frotter à cet univers n'est pas anodin.

On le sait, Bosch n'est pas quelqu'un de facile. Il a son caractère et, s'il est d'une intégrité sans faille et s'il a consacré sa vie à servir et protéger, depuis son arrivée aux affaires classées, il joue encore plus qu'avant les électrons libres, rendant peu de compte sur son travail, et encore moins quand il sent que les demandes viennent de haut... Des bureaux des patrons, ou pire, de la mairie.

Mais cette enquête est aussi le parfait exemple du travail de fourmi des policiers. L'affaire a dormi 10 ans, sans qu'aucune piste sérieuse ne sorte du lot. Avec la balle, on a un élément fort mais loin d'être décisif, car il faut retrouver l'arme qui l'a tirée et encore après son propriétaire, qui n'est pas forcément le tireur non plus, etc.

Et l'autre enquête parallèle, c'est la même chose, avec ce petit supplément qui n'est pas le moins important : c'est une enquête presque clandestine que mènent Bosch et Lucy, aucun élément concret ne justifiant la réouverture du dossier. Mais, là encore, c'est avec une extrême minutie qu'ils vont s'y atteler, espérant remonter les maigres pistes existantes, quitte à se retrouver dans des impasses.

A la minutie, Bosch allie la discrétion. Car, il le sait pertinemment, il marche sur des oeufs. Au fil des découvertes, et sachant qu'il n'a pas que des amis au sein de la police, il essaye de garder le maximum d'informations pour lui. D'un côté, comme il traite d'affaire qui datent, on ne vient pas trop le tanner pour les rapports, mais, sur celle-ci, il sent bien qu'on va rapidement lui demander un topo...

Il y a un élément dont on parle peut à propos de Bosch et qui, à mes yeux, en fait un personnage très fort : voilà maintenant des années qu'il travaille sans aucun lien de confiance réciproque avec sa hiérarchie. On peut même dire que celle-ci fait tout pour le mettre une fois pour toute sur la touche, sans y parvenir pour l'instant.

Et ça, c'est admirable, car, à aucun moment cette situation terriblement inconfortable ne vient miner sa détermination. Bosch, dans le dictionnaire, ce sera bientôt un synonyme de flic, tellement l'homme est indissociable de sa fonction. Il est né pour résoudre des affaires, il le fait, avec quelques états d'âme, c'est vrai, mais toujours avec, à l'esprit, la justice et la vérité. Même s'il doit parfois franchir quelques lignes jaunes pour y parvenir...

"Mariachi Plaza" est pur polar, qui met en avant un boulot de limier assez éloigné des tendances modernes que des séries comme "les Experts" ont popularisées. On est dans un polar à l'ancienne quant aux méthodes mais mené sur un rythme de thriller. Bosch est peut-être vieillissant, il ne manque pas d'énergie et de volonté de résoudre ces affaires avant qu'on lui retire son badge.

Amusant, comme souvent, de voir comment s'agencent et se croisent les deux fils narratifs, complètement différents, ces deux enquêtes n'ayant rien à voir entre elles. Mais l'autre intérêt de ce roman, c'est évidemment la nouvelle coéquipière de Harry Bosch : Lucia "Lucy" Soto. Son parcours, son caractère, déjà bien affirmé, sa compétence, ses aptitudes...

Alors que David Chu, son précédent coéquipier, était très en retrait et laissait volontiers Bosch agir à sa guise, ici, le vieux renard prend sa jeune collègue sous son aile, ou presque. Il est attendrissant, Harry Bosch, dans ce rôle de mentor. Bon, ce n'est pas aussi évident que cela, mais on ressent bien qu'il trouve certains signes chez Lucy qui lui font penser qu'elle a l'étoffe d'un très bon flic.

On le verra au fil du roman, le diamant brut est encore à polir. Lucy manque d'expérience, mais elle a aussi d'autres petits trucs qu'il va lui falloir vite régler si elle veut aller loin. Mais, on sent que Bosch croit en elle et, à l'heure de la retraite, ou presque, on se dit qu'on tient peut-être là plus qu'une recrue, mais celle qui sera appeler à succéder à l'inspecteur Bosch...

Car elle est là, l'autre grande question du roman : "Mariachi Plaza" est-elle la dernière enquête de Harry Bosch ? Ah... Bon, en cherchant un peu, on trouve la réponse, à vos claviers si vous ne voulez pas patienter jusqu'à la sortie du prochain roman de Michael Connelly. Mais, le final de ce roman-ci le laisse presque entendre...

Autre élément qui met un peu la puce à l'oreille : ce clin d'oeil à Jerry Edgar, son premier coéquipier dans la série, mais aussi celui qui a passé le plus de temps à ses côtés. A moins que Michael Connelly ne glisse son image subliminale pour faire la promotion de la série télé dérivée, dans laquelle Bosch est épaulé par Edgar, incarné à l'écran par Jamie Hector (déjà vu dans "The Wire").

On le sait, le temps de Bosch au sein du LAPD est compté, les sursis sont tous grillés, mais comment imaginer cette pile électrique qui n'a vécu que pour son job ces trente dernières années au moins, se la couler douce à la retraite, en écoutant l'intégrale de son jazzman préféré, Frank Morgan ? Et Connelly ne semble pas nourrir d'envie de meurtre à l'encontre de son personnage fétiche comme Conan Doyle...

En attendant de savoir (et alors qu'il me reste encore à lire "les dieux du verdict", dernière enquête en date de Mickey Haller), en attendant que sorte le prochain Connelly, on ne va pas bouder son plaisir : "Mariachi Plaza" est une double enquête rondement menée et le savoir-faire de Bosch, son caractère bien trempé, pour ne pas dire sa mauvaise humeur, sa roublardise, mais aussi son côté papa-poule ressortent.

Un polar parfait pour l'été, pas forcément pour ceux qui ne connaîtraient pas encore Harry Bosch (mais comment est-ce possible ?!), car la série mérite qu'on la prenne par le bon bout. Une petite cure au LAPD avec ce renard de Hyeronimus, voilà qui pourrait en séduire certains. Y compris sur l'écran, car je dois dire que je suis assez séduit par la première saison de la série et par Titus Welliver, qui endosse le costume bien lourd à porter de Bosch...