Ne jamais se fier à la couverture…
Catherine (regardant ma collection de manga puis prenant un volume): Oh… Elle est mimi la fille sur la couverture avec ses grands yeux. C’est un shôjo, c’est ça ? Du style une jolie histoire d’amour se déroulant dans un lycée.
Moi (posant ma tasse de thé et la regardant avec un petit sourire) Oui, une jolie histoire tout tendre dans un lycée japonais.
Catherine (en s’asseyant à côté de moi): Voyons… (un quart d’heure plus tard) Mais… Mais c’est pas du tout un petit shôjo tout mignon. C’est horrible ce qui arrive !
Moi (éclatant de rire): On ne t’a jamais dit qu’il ne faut pas se fier à la couverture ?
AUTEUR: Keiko Suenobu
TITRE: LIFE
ÉDITEUR, ANNÉE: Kurokawa, 2008-2011
NOMBRE DE PAGES: Environ 200 pages chacun
Il est clair qu’en voyant les couvertures colorées et pleines de sourires de « Life », on pourrait penser tomber sur un énième shôjo (lecture destinée aux jeunes filles) où la jeune protagoniste va tomber sous le charme d’un mystérieux jeune homme (J’utilise là le stéréotype par excellence qu’on peut trouver dans un grand nombre de manga de ce genre… Mais pas tous !). Mais il s’avère que derrière ses visages souriants, se cache un phénomène de société qui touche de nombreux collégiens/lycéens et qui se nomme, au Japon, IJIME. Voici « Life » de Keiko Suenobu.
RÉSUMÉ:
« Ayumu est une collégienne aux résultats scolaires médiocres. Elle souhaite intégrer un lycée prestigieux pour ne pas être séparée de sa meilleure amie, Shii, élève brillante et sérieuse, qui possède toutes ses chances d’intégrer ce lycée. Ayumu décide de travailler dur, avec l’aide de Shii, pour réussir le concours d’entrée et ainsi tenir leur promesse d’aller ensemble dans ce même lycée. Le jour des résultats, Ayumu est reçue, mais Shii échoue. Déçue par cet échec, elle rejette la faute sur Ayumu et brise leur amitié. Ayumu qui se sent coupable de cette rupture va commencer à s’automutiler.
Elle commence alors une nouvelle année seule dans ce lycée, avec la peur de blesser involontairement les autres. Cependant, elle fait de nouvelles rencontres, et semble retrouver le sourire. Mais bien que les choses semblent s’améliorer, elle va vite découvrir que l’apparence de ses camarades de classe ne reflète en rien leur vraie personnalité… »
Ijime qui signifie « intimidation » est un terme utilisé au Japon pour parler d’harcèlement scolaire. Malheureusement ce phénomène de société n’est pas que spécifique à ce pays et a toujours existé, n’en déplaise aux nostalgiques du « En mon temps, ce n’était pas comme ça… ». Certains l’on subit, d’autres en fut témoins, certains furent même les « bourreaux ». Le collège est une transition entre l’enfance et l’adolescence, parfois difficile, laissant quelques marques dans notre vie d’adulte.
Bien avant la publication de la série « Life », j’avais déjà lu un one-shot de Keiko Suenobu, « Vitamine » qui traitait lui aussi de ce même thème. On pouvait y voir déjà le potentiel de la mangaka dans ce court volume et sa manière assez juste de traiter ce sujet sensible.
C’était donc avec joie que j’ai appris la publication de « Life ». Lorsque j’ai vu la couverture du premier volume, j’étais assez étonnée par le style. Mais comme tout est une histoire d’apparence et de non-dits dans ce genre de situations, il s’avère que c’est un bon choix.
Ayumu est une jeune fille sensible qui a du mal à exprimer ses sentiments et les cachent derrière des « sourires ». Souffrant d’avoir perdu l’amitié de Shii, elle arrive à expier sa douleur qu’en se scarifiant.
Et sa rentrée à Nishdate ne fait qu’augmenter ses remords d’avoir voler le rêve de sa meilleure amie. Mais sa rencontre avec Manami et le début d’une nouvelle amitié lui apporte un certain apaisement.
Seulement la jeune fille, là encore sous ses grands sourires et sa gentillesse feinte, cache un caractère bien plus sombre. Manami et sa bande d’amies s’amusent, au début de la série, à brimer une autre camarade de la classe, Hatori Miki. Et la consigne est simple pour Ayumu: Soit elle suit, soit elle est considérée comme traite.
Malgré la crainte de se faire rejeter et d’être de nouveau seule, Ayumu ne peut pas participer à cela. Entre son choix et un autre événement que je garde secret, la descente en enfer va alors commencer pour elle.
Ayumu est un personnage qui m’a vraiment touchée, tout d’abord face à sa douleur, puis à sa détermination à rester forte malgré les brimades de toute une classe.
Dès le premier tome, on comprend sa peur d’être seule et le sentiment de n’avoir sa place nulle part: Sa mère qui semble bien plus se préoccuper de sa petite sœur, une très bonne élève; la crainte de perdre l’amitié de Shii au point de vouloir aller dans le même lycée et celle d’être mise à l’écart par Manami et les autres filles de sa nouvelle classe.
Et cette peur et cette souffrance, elle n’arrive qu’à l’exprimer en se faisant mal. Keiko Suenobu arrive très bien à nous les faire ressentir à travers des images fortes dont certaines peuvent heurter les plus sensibles.
Mais sa rencontre avec Miki (un véritable soutien de force pour notre jeune héroïne ) puis avec Yuki (ancienne victime de brimades au collège et comprenant les sentiments de la jeune fille) vont donner le courage à Ayumu de s’affirmer et tenir tête aux divers manigances de Manami et d’un autre personnage dont, là encore, je vous dévoilerai pas le nom afin ne rien spoiler.
Il est clair que, malgré le « character design » style shôjo des personnages, on est loin de la romance lycéenne. Et le choc des images est bien plus forte (Lorsque la haine ou la folie se dessine sur les visages de certains personnages, on a l’impression que les masques e brisent pour laisser place à leurs véritables identités). Et on y ressent très bien l’ambiance malsaine qui règne dans cette classe à travers les dessins.
La mangaka nous offre aussi une critique du corps enseignants qui ne veut pas voir ce qu’il se passe (sauf une, mais c’est bien peu) , de même que la direction afin de ne pas salir l’image de l’établissement. Les parents seront aussi visés par leur manque d’attention à leurs enfants ou au contraire, les différentes pressions qu’ils leurs imposent pour réussir leurs études.
En ce qui concerne la psychologie des personnages, Ayumu, Yuki, Hatori et quelques personnes secondaires sont très bien travaillés, donnant beaucoup de profondeurs et de justesse dans leurs sentiments et leurs actions. Je le désigne encore mais Yuki m’a aussi beaucoup touchée en tant qu’ancienne victime de brimades (au point d’en avoir encore des marques sur le corps) mais aussi lors de ses retrouvailles avec son « bourreau », un peu plus loin des les tomes suivants (Quelle confrontation ! Et cette phrase…Cette scène m’a littéralement marquée).
Mais le manga n’est pas sans défaut. La mangaka donne l’impression de vraiment s’acharner sur la pauvre Ayumu en lui faisant subir de terribles événements. Heureusement, les scènes entre ses véritables amis et l’évolution positive de sa relation avec sa mère au fil des pages désamorce l’effet de fatalité. J’étais un peu dubitative sur le caractère de Manami et de certains personnages. Tant de mépris, de manipulations, et de violences dans de si jeunes élèves semblent impensable. Pourtant, quand on lit certains faits-divers, je me dis que la mangaka n’est pas très loin de la vérité. Et en ce qui concerne la fin, après de nombreuses scènes hautes en tension , je suis restée étonnée par la fin très positive. Tant mieux pour Ayumu mais là, j’avoue préférer la fin du drama dont je vais bientôt vous parler dans la partie « adaptation » pour vous en donnez la raison.
CONCLUSION:
« Life » est une série incontournable sur le sujet du harcèlement scolaire qui mérite d’être lu. Mais je préfère vous prévenir, il y’a de nombreuses scènes qui peuvent heurter les plus sensibles (scarification, agressions….). D’ailleurs, j’ai préféré vous occulter un élément assez violent de l’histoire qui est la raison principale des brimades de Manami envers Ayumu, afin d’éviter de vous spolier une grande partie de l’histoire.
Comme je l’ai souligné plus haut, on sent que ce sujet tient beaucoup à coeur Keiko Suenobu et on le constate encore dans une autre de ces séries « Limit » qui n’est malheureusement pas encore publié en France.
De personnages forts, des événements poignants et à forts impacts, Life aura le mérite d’être une oeuvre « coup de poing » sur un sujet qui est malheureusement toujours d’actualité.