Résumé :
« Un soir d’hiver à l’Elgin Theatre de Toronto, le célèbre acteur Arthur Leander s’écroule sur scène, en pleine représentation du Roi Lear. Plus rien ne sera jamais comme avant.
Dans un monde où la civilisation s’est effondrée, une troupe itinérante d’acteurs et de musiciens parcourt la région du lac Michigan et tente de préserver l’espoir en jouant du Shakespeare et du Beethoven. Ceux qui ont connu l’ancien monde l’évoquent avec nostalgie, alors que la nouvelle génération peine à se le représenter. De l’humanité ne subsistent plus que l’art et le souvenir. Peut-être l’essentiel.
Entre l’avant et le présent, Station Eleven entrelace sur des décennies la destinée de personnages inoubliables. Élégie sur la condition humaine, ce livre à la construction vertigineuse envoûte le lecteur par sa puissance romanesque et émotionnelle. »
Mon avis :
Je remercie tout d’abord Babelio et les éditions Payot & Rivages pour l’envoi de ce livre, qui sortira dans les librairies françaises le 24 août 2016. C’est toujours une joie de découvrir des livres en exclusivité, mais quand ces livres sont en plus de véritables pépites littéraires, le plaisir n’en est que démultiplié!
En effet, j’ai eu un coup de cœur pour ce livre qui nous raconte le parcours de plusieurs personnages avant, pendant et après l’épidémie qui a décimée quasiment toute l’humanité. Tout commence un soir au théâtre, en pleine représentation du Roi Lear. L’acteur principal, Arthur Leander va être la première victime de cette grippe de Géorgie. Malgré les efforts de deux spectateurs, dont un jeune homme du nom de Jeevan, qui vont se relayer pour lui prodiguer un massage cardiaque, Arthur ne se réveillera pas. Il est le premier d’une liste interminable. Le fléau s’étend dans le monde entier, la période d’incubation est extraordinairement courte, personne n’a le temps de réagir, de se protéger. L’humanité est en voie de disparition. Seuls quelques rares personnes survivent. S’instaure alors un climat de terreur où tout est prétexte à tuer et à piller. C’est dans ce contexte particulièrement lourd qu’un groupe de gens décide de s’unir et de traverser le pays afin d’aller à la rencontre des gens et tenter de les divertir en jouant des pièces de Shakespeare. Ce groupe s’appelle la Symphonie. Nous le découvrons vingt longues années après l’apocalypse. Il est composé de personnes plus ou moins âgées, certaines ayant très bien connues « le monde d’avant », d’autres étant nées après l’apocalypse. On ne peut pas dire que tout va bien dans le meilleur des mondes, mais voilà déjà un bout de temps que la Symphonie est sur la route. Elle a pris ses marques dans ce monde post-apocalyptique et sait où elle doit et ne doit pas aller. Mais ce calme apparent va voler en éclat lorsque la Symphonie pose ses caravanes dans une ville nommée St. Deborah by the water…
Si ça avait été un autre que Hua, Jeevan ne l’aurait pas cru, mais il n’avait jamais connu un homme aussi doué pour l’euphémisme. Si Hua disait qu’il s’agissait d’une épidémie, c’est que le mot épidémie n’était pas assez fort. Jeevan fut soudain terrassé par la certitude que cette maladie décrite par son ami allait être la ligne de démarcation entre un avant et un après, un trait tiré sur sa vie.
Vous connaissez cette sensation quand vous refermez un livre et que vous savez d’avance que les personnages vont vous manquer ? La dernière fois que je l’avais ressentie, c’était pour 22/11/63 de Stephen King. Je n’avais pas pu retenir mes quelques larmes. Eh bien, cela s’est reproduit avec Station Eleven. Ce livre est parfait du début à la fin, je n’ai trouvé aucun point négatif.
Je n’avais jamais lu de livres de cette auteure, Emily St John Mandel. C’était donc une découverte pour moi et mon dieu, quelle découverte ! Elle a un talent énormissime. Son style d’écriture est fluide et léger, même quand elle aborde des sujets assez durs. Elle arrive à nous faire voyager dans le passé, le présent, le futur sans jamais nous perdre. Avec les deux premiers mots d’un chapitre ou d’un paragraphe, on arrive à se situer dans le contexte. C’est tout simplement prodigieux car malgré le nombre important de personnages et d’évènements, le récit n’est pas confus à un seul moment.
Mais ce qui est surtout impressionnant, ce sont les connexions entre les personnages. Ces liens plus ou moins directs, que nous découvrons au fil du roman, ont pourtant été tissés avant l’apocalypse. L’auteure a réussi à relier les personnages principaux tels que Kirsten, Clark, Miranda, Tyler avec une telle logique que s’en est presque déroutant car on se dit, « mais bien sûr, j’aurais dû y penser » ! Bien sûr, le point commun évident entre ces personnages est qu’ils ont tous été reliés à Arthur. Mais il n’y a pas que ça. L’auteure va beaucoup plus loin et le résultat est absolument génial.
Plus que le style d’écriture, c’est l’histoire en elle-même qui est réellement intéressante. Des films et des livres traitant de l’apocalypse, il y en a des tas. Des zombies aux invasions extraterrestres en passant par les catastrophes naturelles, on peut dire qu’on a le choix. Mais peu de ces livres traitent de l’après-apocalypse. De façon réaliste j’entends. Bien sûr nous avons Hunger Games, la Sélection, le Labyrinthe etc… Mais ils sont trop éloignés de notre monde actuel. Tandis que dans Station Eleven la problématique est, si demain 99% de la population était décimée par un virus mortel, si nous n’avions plus d’électricité ni d’eau courante, si nous devions nous remettre à la chasse et à la pêche pour nous nourrir, que ferions-nous ? Comment pourrions-nous survivre dans notre monde actuel sans la moindre technologie ? Ce livre est passionnant dans le sens où il nous permet de nous remettre en question et surtout de réévaluer ce qui nous entoure. On se dit qu’on a vraiment de la chance de pouvoir se connecter au monde entier en quelques clics, de pouvoir lire des tas de livres et d’assister à la publication de nouveaux chaque jour, de pouvoir manger ce que l’on veut et quand on le veut. Bref, on réapprend à aimer les petites choses futiles qui nous entourent. Je ne sais pas si c’était l’intention de l’auteure, mais si c’est le cas, elle a réussi son pari en ce qui me concerne !
Et tous ces gens, avec leur collection de petites jalousies, de névroses, de syndromes post-traumatiques non diagnostiqués et de rancœurs brûlantes, vivaient ensemble, voyageaient ensemble, répétaient ensemble, jouaient ensemble trois cent soixante-cinq jours par an, compagnie permanente, en tournée permanente.
La découverte de monde post-apocalyptique se fait au travers de personnages tels que Kirsten (je ne dirais pas le nom des autres survivants – s’il y en a – pour ne pas spoiler…). Je me suis immédiatement pris d’affection pour cette jeune femme qui a dû traverser de douloureuses épreuves avant de rencontrer la Symphonie. On voit qu’elle a dû grandir trop vite. Une enfant innocente de huit ans n’avait pas sa place dans un monde où prime le chacun pour soi. Elle a donc dû mûrir très vite et cela lui a forgé un sacré caractère. Pour autant, elle reste quelqu’un de très sensible aux malheurs des autres.
En ce qui concerne les personnages que nous découvrons à l’ère pré-grippe de Géorgie, je les ai également beaucoup apprécié. Si Arthur n’est pas un homme irréprochable, il n’en est pas moins attachant. Cet homme aux trois divorces reste lui aussi un grand sensible et il ne pense jamais à mal. Quant à Clark, il parait beaucoup plus réfléchi et mature que son ami Arthur mais est tout aussi attachant. Jeevan, enfin, est un des tous premiers personnages que nous découvrons dans ce livre. Il faut rester patient pour savoir s’il a survécu ou non à la grippe de Géorgie puisqu’on ne le découvre qu’après quelques centaines de pages. J’avoue que je m’interrogeais beaucoup sur son cas et j’ai même cru qu’Emily St John Mandel allait nous laisser sans réponses (ce qui, je l’avoue, m’aurait déçu). Mais l’auteure réalise encore une fois un coup de maître en nous parlant de lui au moment où on s’y attend le moins.
« Les mesures d’urgence ne semblent pas devoir prendre fin dans un avenir proche », déclara un présentateur, minimisant la situation à un point jusque là inégalé dans toute l’histoire de l’euphémisme.
En bref, ce livre est une véritable merveille. Le style de l’auteure est aussi agréable qu’addictif, l’histoire est passionnante et les personnages attachants. Les multiples voyages dans le passé, le présent et le futur rythment ce roman et gardent le lecteur en haleine du début à la fin. Je vous conseille vivement ce livre !
Note : 20/20
Elle avait toujours considéré comme acquis le fait qu’il y avait dans le monde des personnes importantes, certaines qui jouaient un rôle central dans ses journées, d’autres qu’elle ne voyait jamais et auxquelles elle pensait rarement. Sans l’une ou l’autre de ces personnes, le monde se trouve subtilement mais indubitablement altéré, le cadran tourné d’un ou deux degrés.