Il me reste encore quelques lectures consécutives à la préparation des dernières Imaginales. En particulier, des lectures entamés ou des tomes 2 laissés de côté. En voici un exemple, avec "Le Châtiment de l'Empire", qui complète le diptyque "les Epées de glace", d'Olivier Gay, récemment réédité aux éditions Bragelonne. Alors, en cet été paisible, un peu en-dessous des normales saisonnières, l'occasion était belle de terminer ce voyage dans cet empire en plein chamboulement à la suite de l'improbable trio composé du gentil et naïf Mahlin, de la douce et timide Shani et de celui qu'on surnomme le Boucher, pour sa capacité à envoyer son prochain ad patres dans n'importe quelle circonstance, Rekk, baron de Froideval... Une nécessité renforcée par le final du premier volet, qui nous laissait pantelants et dans une insupportable expectative. Place à une suite et une conclusion sombre et violente, qui ne ménage personne... Gare aux éléments issus du premier volet, "La sang sur la lame" !
Rekk a sauvé ses deux protégés en les balançant dans le Verdoyant avant qu'ils ne se fassent tous prendre... Ou pire. Seulement, le cours d'eau n'est pas un long fleuve tranquille, surtout quand, comme Shani, on ne sait pas nager. Il va falloir toute l'endurance et l'abnégation de Mahlin pour lui éviter la noyade.
Mais, une fois sortis de l'eau, la situation reste tout aussi problématique : l'ancien garde et l'ancienne servante font désormais figure d'ennemis publics numéros 1 du nouvel Empereur : Théorocle. Le jeune homme, peu éclairé mais avide de pouvoir, n'a pas perdu de temps ; à peine son père mort, il s'est fait sacrer et entend mettre son empreinte sur l'Empire.
Une empreinte de feu et de sang, en rupture avec un paternel qui avait choisi la vocation de bâtisseur. Théorocle, lui, ne jure que par la guerre, la destruction et la conquête. Il aurait donc de quoi parfaitement s'entendre avec Rekk, s'il ne l'avait pas fait mettre aux fers en attendant une inévitable et prochaine exécution, histoire de renforcer sa popularité en débarrassant le peuple du Boucher.
Mahlin et Shani ont bien conscience de la gravité de la situation, mais ils ne peuvent se résoudre à abandonner Rekk et à reprendre une vie qui, de toute manière, n'aurait plus rien de normal. Alors, ils décident de se lancer dans un projet complètement dingue : faire évader le Boucher. Et pour cela, ils pourront compter sur l'aide de Dareen, la contrebandière, et de Laath, l'as de la cambriole.
Une aventure à grand risque, au cours de laquelle leurs vies ne pèseront pas bien lourd. Mais, ils sont décidé, convaincus aussi d'agir dans le sens de la justice. Car, Rekk est peut-être un abominable personnage, ils n'oublient pas que c'est la mort de sa fille qui est à l'origine de tout ce bazar. Et le guerrier vieillissant ne devrait pas mourir sans savoir qui a assassiné Deria.
Ils ont bon coeur, Shani et Mahlin, ce sont deux gentils gamins encore bien naïfs, malgré leurs récents déboires aux côtés du Boucher. Comme ils n'imaginaient pas la tempête qu'ils allaient déclencher en informant un père de la mort brutale de sa fille, ils ne réfléchissent pas aux conséquences de la libération de Rekk.
Car, celui-ci, bien que sérieusement blessé et affaibli par sa détention, n'a rien perdu de sa volonté et de sa soif de vengeance. Et il sait contre qui il va l'exercer, cette vengeance : Théorocle. Et, pour cela, il a bien l'intention de faire ce qu'il fait de mieux : la guerre. Une guerre à outrance, où la raison n'a plus sa place et où le vainqueur sera le dernier qui restera debout...
Olivier Gay nous avait laissé dans une situation bien périlleuse, à la fin du premier volet de ce diptyque. Un combat rappelant les films de cape et d'épée des années 50-60 mais revus par Quentin Tarantino. Ce deuxième volet s'ouvre sur un retour au calme. Si on peut dire. Mahlin et Shani ont quelques heures de répit avant de se jeter à nouveau dans la gueule du loup.
Il y aurait énormément à dire sur la relation très bizarre qui s'est créée entre ces deux jeunes sans histoires, anonymes et, pour tout dire, au départ, absolument sans relief, et cette légende noire de l'Empire, ce Boucher, capable de dézinguer des régiments entiers, avec le sourire aux lèvres et une main dans le dos.
Commençons par Mahlin. Jeune garde impérial, préposé à l'entrée de service du palais, il a en tête des rêves de gloire qu'il n'aurait sans doute jamais touché du doigt sans sa rencontre avec Deria. Persuadé d'être une fine lame pour avoir fini dans les premiers d'un tournoi entre gardes impériaux, il a découvert qu'il était loin d'être le héros qu'il aurait voulu être.
Dans ce deuxième tome, il est décidé à prouver qu'il mérite ce statut, quitte à se mettre en danger. Mais, le plus paradoxal, c'est que, pour endosser un costume de héros qu'il pense mériter, il suit un exemple inattendu : celui de Rekk. Autrement dit, le jeune homme au coeur pur devient une espèce de diable prêt à tuer tout ce qui bouge pour prouver sa valeur.
Quand je dis prouver sa valeur, c'est autant à ses propres yeux qu'à ceux de Shani, qui ne semble voir en lui qu'un jeune freluquet bien sympathique, mais pas du genre héroïque. Alors, pour les yeux d'une belle qui le fait tourner en bourrique alors que tout indique qu'ils se plaisent, Mahlin va jouer les durs, les costauds, les tatoués...
Bon, soyons francs, se changer d'un seul coup en guerrier sans foi, ni loi, avec la violence comme seule règle de vie, ce n'est pas si simple. La gentillesse et la candeur du garçon ne sont pas qu'un vernis et il reste finalement un gamin à la tête pleine de rêves impossibles et complètement à côté de la plaque. La violence n'est pas un jeu et côtoyer Rekk certainement pas une sinécure...
Pour Shani, le processus est différent. Je m'avance peut-être, mais son attachement à Rekk, et ce, malgré les mauvais côtés de ce personnage fou à lier, tient plus de la relation fille-père que de celle du Petit Scarabée encore un peu trop jeune que rappelle Mahlin. Jamais elle ne prendra la place de Deria, évidemment, mais le lien est plus viscéral, j'ai l'impression.
Je crois aussi qu'elle a bien plus conscience que Mahlin qu'en faisant une nouvelle fois sortir le diable de sa boîte, ils vont provoquer un cataclysme. Elle se verrait bien reprendre son chemin de son côté et laisser Rekk régler ses comptes. Car, la servante (au passage, "la servante" était le titre de ce tome 2 dans son édition d'origine), n'a ni l'envie, ni la vocation de guerrière chevillées au corps.
Mais, au fil des événements, la sage demoiselle va se métamorphoser. A son tour, elle va découvrir les feux qui consument Rekk : colère, injustice, soif de vengeance... Des carburants qui n'ont habituellement besoin que d'une petite étincelle pour s'embraser. Pour Shani, c'est une flamme qui va mettre le feu aux poudres et en faire une toute autre personne...
Il y a dans ce deuxième tome des scènes qui m'ont fait penser à la série "Vikings", hors contexte historique, évidemment. Je pense en particulier à certaines scènes de baston d'une grande violence, où le personnage de Shani prend des airs de Lagertha, l'épouse guerrière de la série, toujours en première ligne aux côtés des guerriers de son peuple.
Encore une fois, Olivier Gay nous propose un roman sans répit, avec des thèmes très classiques : la vengeance et la violence, déjà évoquées, mais aussi la trahison, les machinations politiques, l'ambition dévorante... Mais, tout cela va finir par s'effacer, emporté par la folie de Rekk et le fait qu'il n'a plus rien à perdre, comme un fétu de paille par un coup de vent.
Il est rare de croiser des personnages qui n'ont plus aucun idéal, dans les romans de fantasy. Des héros ou des super-méchants, oui, à foison, poussés par des motivations qui leur sont propres et répondent à des intérêts plus ou moins positifs. Mais, Rekk, lui, a dépassé tout cela. Avec la mort de sa fille, il n'a plus rien à défendre, juste une inextinguible volonté de tout détruire, quitte à y rester.
Et peu importe, d'ailleurs, puisque son avenir, c'est soit la potence, soit retourner se geler les, euh... fesses à Froideval, dans ce château sans âme, aux confins de l'empire, à batailler avec des barbares sans envergure... Alors, plutôt essayer de faire tomber cet empire inique et, si nécessaire, tirer sa révérence l'épée à la main, en emmenant un maximum de personnes en enfer à sa suite.
Cela fait de ce second volet, entre autres éléments, un roman bien plus sombre que le premier. Si on retrouve par moments l'humour que manie volontiers Olivier Gay dans chacun de ses livres, il est nettement moins présent au fil des chapitres. L'intrigue ne s'y prête pas vraiment, d'autres émotions bien plus négatives prenant largement le dessus.
Il faut ajouter un élément bien plus important qu'on ne le croit : mais qui a donc assassiné Deria ? On se rappelle que cette morts, dans les rues de la capitales de l'Empire, est le véritable point de départ des "Epées de glace". Mahlin, ami de la victime, et Shani, sa servante, désolés de voir ce crime balayé sous le tapis, avaient été informé le père de la victime, Rekk, de ce décès.
D'accessoire, tout du moins en apparence, puisque les circonstances du crime sont racontées dans le premier volet, la question de l'identité du meurtrier de la jeune femme réapparaît dans ce deuxième tome pour prendre une place assez inattendue. Ne vous attendez pas à une enquête, on n'est pas dans un polar, non, c'est autre chose, qui ne se révèle que dans les dernières pages du roman...
Si les lecteurs de la réédition papier ont en main une intégrale et ne marquerons sans doute pas la rupture comme j'ai pu le faire, les deux tomes parus séparément en numérique se démarquent clairement l'un de l'autre. Dans le fond, comme dans la forme, d'ailleurs, avec ce changement très net de tonalité et cet assombrissement qu'on remarque tout de suite.
Olivier Gay ne révolutionne pas le genre, mais c'est spectaculaire, le diptyque se lit avec plaisir, du pur divertissement dont ressortent quelques scènes épiques. L'histoire est portée par ce trio de personnages improbable, Mahlin, Shani et Rekk, qui joue avec les archétypes du genre, mais les distord, les bouscule.
D'ailleurs, on pourrait discuter un moment de la morale du diptyque : en renversant certains rôles, Rekk, le monstre dans toute autre histoire, devient ici un personnage au service du "bien". Mais ce n'est pas le seul élément que Olivier Gay retourne, jusqu'à ce dénouement assez inattendu, qui va bien plus loin que le simple jeu de l'arroseur arrosé.
Alors, papier ou numérique, d'un seul bloc ou en deux temps, peu importe, "les Epées de glace" est un (ou deux) roman(s) dont la lecture est à recommander en période estivale, tranquillement vautré sur un transat ou sur un matelas pneumatique, en se dorant la pilule au bord de la piscine ou à la plage. Une vraie lecture détente, ça ne se refuse pas !