"Je pense que cette maison se cramponne à ses souvenirs".

Bon, disons-le tout de suite, si je vous dis avec un enthousiasme non-feint (ou à peine...) que nous allons parler d'un roman dont le sujet est une maison hantée, vous allez me rire au nez, parce que c'est quand même assez classique. C'est vrai, je n'en disconviendrai pas mais, ce livre-là est signé par un des grands auteurs britanniques de fantastique : James Herbert. D'ailleurs, on verra que dans "le Secret de Crickley Hall", réédité par Bragelonne et en édition de poche chez Milady, l'auteur met en scène un certain nombre de ses sujets de prédilection, dont la hantise, bien sûr. Si vous attendez un roman d'horreur pur et dur, vous risquez de ne pas apprécier ce livre qui joue plus sur des ressorts fantastique et psychologiques, même s'il y a des scènes très spectaculaires, dans un décor qui fout le bourdon en quelques lignes... Mais, ce n'est pas la pluie incessante qui vous fera le plus froid dans le dos, croyez-moi !
Depuis un an, les Caleigh vivent dans l'affliction. Gabe, le père, Eve, la mère, et leurs deux filles, Loren, 12 ans, et Cally, 5 ans, doivent apprendre à vivre avec l'absence. Mais un tel drame familial ne s'efface pas aussi aisément, et Eve, en particulier, peine à se remettre. Alors, son époux a décidé de profiter de la nouvelle mission d'ingénierie qui lui a été confiée par sa boîte pour changer d'air.
L'idée est simple, quitter la grande ville pour la campagne. Direction le Devon et la ville côtière de Hollow Bay. Un endroit bucolique à souhait où toute la famille pourra s'oxygéner et retrouver son équilibre. Gabe est venu en éclaireur quelques semaines auparavant et il a trouvé une maison parfaite pour accueillir les siens : Crickley Hall.
Bon, à première vue, elle en jette, cette baraque : construite en hauteur, surplombant une rivière souterraine, elle est plus grande qu'un cottage et pourrait mériter le nom de manoir. De plus près, c'est tout de suite moins évident. Elle est... euh... sinistre, cette maison, en fait. Quelque part entre la maison de Norman Bates et la baraque d' "American Horror Story"...
Dedans, c'est presque pire : la maison est construite toute entière autour de son hall, une pièce incroyable, majestueuse, qui a, semble-t-il, concentré les efforts de son créateur. Les autres pièces, elles, sont austères, sans fioriture, ni esthétisme, meublées et équipées au strict minimum. Et en plus, il fait froid et humide, là-dedans...
Il faut dire que c'est l'automne et que, cette année, il s'annonce particulièrement pluvieux. Imaginez-vous découvrant ce bâtiment lugubre pour la première fois, sous un ciel de plomb, avec une pluie qui vous transperce et vous comprendrez que le premier abord n'est pas des plus positifs... Ne parlons même pas de Chester, le chien de la famille, qui n'a pas l'air d'avoir du tout envie d'entrer dans la maison...
C'est donc là que doivent vivre les Caleigh le temps que Gabe remplisse sa mission. L'affaire d'un mois ou deux, tout au plus. Mais, habiter cet endroit, en cette saison, avec toujours en tête le drame qui a frappé la famille, ça fait beaucoup... Alors, quand de drôles de bruits se font entendre, que l'on croit apercevoir de curieuses ombres blanches et que la porte de la cave refuse de rester fermée, forcément, le doute gagne...
Et si... Et si Crickley Hall était hantée ? L'idée est absurde, surtout pour Gabe, le rationaliste, mais comment expliquer ces phénomènes ? Peuvent-ils venir de l'esprit bouleversé des Caleigh ? Et si ce n'est pas une réaction psychosomatique, alors, cette maison peut-elle s'avérer dangereuse ? Chester, en fuyant dès qu'il le peut, apporte une réponse sans équivoque...
Pourtant, à Hollow Bay, on n'a pas l'air de trop s'en faire. Oh, bien sûr, on connaît Crickley Hall, on se renfrogne un peu quand les Caleigh se présente, mais Gabe et Eve n'entendent pas de véritables rumeurs de hantises. En revanche, ils vont apprendre que l'histoire de la maison a été mouvementée. Alors, doivent-ils fuir et chercher une autre location, ou essayer de comprendre ?
Voilà pour le point de départ. Pour ce qui touche à l'histoire de Crickley Hall, pas un mot dans ce billet, car elle a se dévoiler au fil des chapitres. Confirmation que c'est un roman qui utilise des éléments ultra-classiques au départ. Mais le lieu vaut aussi la visite, et le fameux secret de Crickley Hall est tout sauf anodin.
Parce qu'il démontre d'emblée une chose : peu importent les phénomènes étranges, le paranormal, les fantômes et tout le saint-frusquin. Rien, ni hier, ni de nos jours et sans doute pas demain, rien n'égalera jamais la folie humaine et ce qu'elle est capable d'engendrer. S'il faut chercher une part horrifique dans ce roman, c'est là qu'elle réside, et nulle part ailleurs.
"Le secret de Crickley Hall" est l'un des derniers livres que James Herbert, décédé en 2013, a publiés. Et il est assez étonnant, quand on se penche sur sa bibliographie et les thèmes qui lui sont chers, de voir qu'on les retrouve pratiquement tous dans ce livre. Ca vous dirait de les passer en revue ? Bon, vous n'avez pas le choix, de toute façon...
En commençant par le plus évident : la hantise. Bon, je ne vais pas développer cet aspect en long en large et en travers, Crickley Hall est l'archétype de la baraque qui fout les jetons dès qu'on la voit, qui craque de partout, est mal isolée, mal chauffée, mal foutue, mal, mal, mal... A croire que c'est le Mal, elle-même, d'ailleurs.
En tout cas, c'est peut-être le genre d'endroit où l'on peut séjourner, mais pas à la morte saison, parce que c'est sinistre. Et pas que la maison, tout le village de Hollow Bay, habitants compris. Ce n'est pas le Village des damnés, ni celui du Prisonnier, mais ça ne respire pas la joie de vivre. Il y a même un truc pas net : tout le monde est bien silencieux sur Crickley Hall.
Hollow Bay ne cancane pas à propos de la maison hantée sur la colline, près de la rivière. Non, au contraire, on évite soigneusement le sujet. Tout ce que les Caleigh vont apprendre, c'est en le cherchant qu'ils vont le découvrir et une seule personne va vraiment évoquer l'histoire des lieux : le vieux Percy, homme à tout faire et personnage le plus disert du coin.
Encore un mot sur les fantômes : quel est leur rôle exact dans l'affaire ? Eh oui, après tout, on part toujours avec l'idée en tête que ce sont des vilains méchants pas beaux qui n'ont aucun sens de l'hospitalité et sont forcément agressifs et dangereux. Mais, hormis les frayeurs qu'occasionnent les manifestations, elles restent plutôt paisibles. Enfin, presque toutes...
Autre sujet, assez proche de la hantise, c'est le paranormal et la question de la vie après la mort. Le paranormal, c'est la réaction presque naturelle à ce que rencontrent les Caleigh : une maison hantée ? C'est au cinéma, dans les livres, il doit y avoir une explication logique à tout ça ! Donc, on essaye de comprendre, comme Eve, qui change dans le cours du roman, délaissant son envie de fuir pour une envie de connaître la vérité.
Autour d'elle, ses deux filles. Les enfants sont plus réceptifs aux phénomènes que les adultes, comme si leur candeur renforçait le signal. Mais, si Cally s'accommode parfaitement de ce qu'elle voit, Loren, elle, est beaucoup moins rassurée. La différence d'âge n'explique pas seulement cela, la nature de leurs expériences respectives bien plus.
Et puis, ce thème du paranormal va faire intervenir deux personnages secondaires : Lili et Gordon. L'une est médium et croit à l'existence des fantômes, le second essaye de démontrer leur inexistence. Qui saura convaincre les Caleigh ? Et, quand on dit les Caleigh, ce n'est pas pour rien : si Eve semble encline à croire aux fantômes, Gabe s'y refuse absolument.
Mais, ce n'est pas tout : le contexte même dans lequel démarre le livre fait qu'on aborde, en parallèle à la question des fantômes, celle de la vie après la mort. Chez Herbert, cette idée revient souvent, comme la réincarnation, d'ailleurs, et c'est encore le cas dans "le secret de Crickley Hill", à travers le drame qui a frappé les Caleigh et a entraîné leur départ pour Hollow Bay.
La question est diffuse, à travers la douleur profonde d'Eve, mais très présente et sans cesse alimentée par les événements. Au-delà du cas de Crickley Hill, la mère de famille cherche des réponses existentielles très profondes, capables de lui faire accepter l'inacceptable. On joue sur des cordes très sensibles, mais aussi des ressorts psychologiques très forts.
Autre thème présent dans ce roman, la question de l'antisémitisme en Angleterre, sujet qui est une sorte de tabou. L'actualité le montre encore : depuis le référendum sur le Brexit, les actes antisémites, mais, plus globalement, tous les actes racistes, ont nettement augmenté. James Herbert y a consacré un roman entier, "la Lance", ici, le sujet est secondaire, mais certainement pas anodin (tiens, m'sieur Bragelonne, une réédition à venir ?).
On pourrait même ajouter un clin d'oeil à son premier grand succès, "les Rats", mais là, je pousse un peu, je le reconnais, l'animal que l'on croise à Crickley Hall étant nettement moins nuisible que ceux qui pullulent dans cette trilogie... Mais, c'est l'occasion d'évoquer ces romans, qui là, sont clairement des romans horrifiques, et qui pourraient ravir certains lecteurs intéressés par la découverte de James Herbert.
Pour moi, "Le secret de Crickey Hall" est plus un thriller fantastique que véritablement un roman d'horreur. Question de rythme, de longueur, aussi, mais également questions d'effets et de ressorts. Par exemple, ce fameux secret se dévoile d'une façon qui n'est pas celle qu'on peut attendre d'un roman horrifique.
Mais, cette histoire, contrepoint de celle des Caleigh et de leur découverte de Crickley Hall, est passionnante, fascinante, brutale, violente, avec un dénouement extrêmement dur. On revient à la folie que j'évoquais plus haut, et qui a imprégné les murs de cette maison, et à ces lourds secrets, qui ne sont pas l'apanage de l'Angleterre, qui restent en suspens, qu'on évacue sans pouvoir les effacer et qui unissent des communautés pour le pire.
Enfin, un dernier point que j'aime bien, parce que je suis très sensible aux atmosphères, c'est la météo. J'en parle souvent, dans mes billets, mais ici, la pluie est un personnage à part entière, et à plus d'un titre. Au départ, elle a quelque chose d'une pluie à la Simenon, qui tombe, qui tombe, et qui déprime, fragilise.
Et puis, au fil de l'histoire, son rôle évolue, se renforce en même temps que son débit. Elle est même le lien le plus fort qui relie les Caleigh au secret qu'ils cherchent à comprendre. Omniprésente, oppressante, dangereuse, cette pluie est une vraie pluie de roman fantastique car on se demande presque si elle n'est pas mue par une sorte de vie propre...
Voilà, j'ai fait un bon tour d'horizon de ce roman, qui reste donc assez classique, mais qui, si on accepte cela, alors, fait passer un bon moment de lecture, riche, spectaculaire, parfois un peu attendu pour certains rebondissements, mais avec une ambiance très forte et angoissante. C'est sombre, oppressant (oui, je répète ce mot) et surtout, on a des personnages bien barrés et carrément effrayants.
Merci à Bragelonne d'avoir repris le flambeau pour éditer et rééditer les romans de James Herbert qui reste une des grandes plumes du fantastique et de l'horreur britanniques. Après "Survivant" et "les Autres", cette troisième lecture devrait en amener d'autres. En espérant que d'autres romans, aujourd'hui introuvables, les rejoindront bientôt au catalogue.