Souvenirs de lecture 41 : Florence Herrlemann
Nous avons tous eu des lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d’où on était quand on les lisait, du temps qu’il faisait. Il m’a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d’écrire. Aujourd’hui c’est Florence Herrlemann qui me fait l’honneur de répondre à mes questions. Je la remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.
LLH : Quel livre lu dans votre enfance et adolescence vous a le plus touché et pourquoi ?
Les premiers romans pendant cette période trouble qu’est l’adolescence ont été : «La symphonie Pastorale» d’André Gide, L’histoire d’un Pasteur désorienté par l’amour que lui inspire une jeune fille aveugle qu’il recueille. Edmond Rostandavec son merveilleux Cyrano de Bergerac, Proust et sa recherche du temps perdu, évidemment. Il m’arrive de replonger dedans. Ma mère lisait énormément et m’a donné la chance de pouvoir rencontrer ses maîtres relativement tôt. Margueritte Duras, avec Un barrage contre le Pacifique, Les petits chevaux de Tarquinia, Yeux bleus cheveux noirs… Marguerite Yourcenar et Mémoires d’Hadrien, bouleversant d’intelligence, un livre qui m’a réellement marqué… Dostoïevski avec L’Idiot. Puis, Zola, Balzac, Edgar Poe, Maupassant, Camus, Sagan et Virginia Woolf. Ils m’ont nourrie ils m’ont fait grandir et continuent de le faire encore aujourd’hui. Il m’est impossible de tous les nommer, ils sont nombreux, leurs œuvres m’ont marquée de façon indélébile et il m’est très difficile de les résumer. Leurs mots, leurs phrases dorment comme des trésors dans un coin de ma mémoire. Ils sont là, et font encore, par leur souvenir, jaillir en moi de merveilleuses émotions.Je sais une chose, c’est que depuis eux, j’ai eu envie de marcher dans leurs pas. Je voulais écrire, vraiment. Je cherchais un style, j’avais quelques affections particulières pour les ambiances troublantes, angoissantes, comme celle de Kafka ou Poe.Un jour il y’a eu cette lecture : Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wide, il m’a semblé toucher quelque chose, approcher une vérité. Un univers qui ressemblait très fort au mien. Je pense que c’est vraiment à la suite de ça, que l’envie de raconter des histoires m’est apparue comme une évidence.J’ai mis plus de temps pour me laisser émouvoir par la poésie, le trouble est survenu plus tard avec Verlaine, Poèmes saturniens, ont suivi, Rimbaud, Lautréamont, Baudelaire, et Walt Whitman avec ce merveilleux recueil de poèmes, Feuilles d’herbes, entre autres… Il y a des auteurs en plus de ceux précédemment nommés, qui m’accompagnent encore, comme Chateaubriand, Bernhard Schlink, Stéphane Zweig.
LLH : En quoi ces livres ont-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?
Tous ces auteurs de génie m’ont indéniablement influencée par leurs œuvres. J’aime jouer avec l’entre-deux, j’aime les jeux de miroirs, les mises en abîme et «l’irrationnel-cartésien» !
J’aime les lettres, les phrases que l’on se surprend à lire à haute voix tant leur construction est jubilatoire. Mais pas question d’imiter, il me fallait trouver un style bien à moi, c’est arrivé naturellement, je n’ai pas eu à chercher. Pour le Festin du lézard, j’avais égoïstement envie de me raconter une histoire dans laquelle je retrouverai ce climat d’instabilité, «d’intranquillité », de faux-semblant. Quelque chose qui me tienne en haleine, qui me pousse à écrire. La chose m’a semblée évidente, la proposition d’Isabelle m’a tout de suite séduite. Je l’ai suivie… elle m’a embarquée au sens propre comme au sens figuré ! Il faut que le début de l’histoire et les personnages me proposent ce que je ne trouve pas dans la vie de tous les jours. Qu’ils m’ouvrent cette porte sur l’autre monde.Mon écriture est également influencée par certains cinéastes comme Tarantino, Lynch, Forman, Tim Burton, Cocteau… Mais je ne pourrais pas véritablement expliquer ce qui me pousse à écrire. C’est une chose qui m’est nécessaire. Un besoin irrépressible de donner vie à des personnages hors normes, de visiter d’autres mondes, et de pouvoir les partager avec les lecteurs.
Puis il y a ce texte Magnifique de Marguerite Duras, qui résume parfaitement, à mon sens, ce qu’est l’écriture :
« Écrire. Je ne peux pas. Personne ne peut. Il faut le dire, on ne peut pas. Et on écrit. C’est l’inconnu qu’on porte en soi écrire, c’est ça qui est atteint. C’est ça ou rien. On peut parler d’une maladie de l’écrit. Ce n’est pas simple ce que j’essaie de dire là, mais je crois qu’on peut s’y retrouver, camarades de tous les pays. Il y a une folie d’écrire qui est en soi-même, une folie d’écrire furieuse mais ce n’est pas pour cela qu’on est dans la folie. Au contraire. L’écriture c’est l’inconnu. Avant d’écrire, on ne sait rien de ce qu’on va écrire. Et en toute lucidité. C’est l’inconnu de soi, de sa tête, de son corps. Ce n’est même pas une réflexion, écrire, c’est une sorte de faculté qu’on a à côté de sa personne, parallèlement à elle-même, d’une autre personne qui apparaît et qui avance, invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d’en perdre la vie. Si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on n’écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine. Écrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait — on ne le sait qu’après — avant, c’est la question la plus dangereuse que l’on puisse se poser. Mais c’est la plus courante aussi. L’écrit ça arrive comme le vent, c’est nu, c’est de l’encre, c’est l’écrit et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie. »(Ecrire Collection folio, Editions Gallimard, 1993).
LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?
Biographie
Un grand merci à Florence Herrlemann pour sa gentillesse et sa disponibilité. Je recevrai Florence et Carole Declercq au Biscuit Café Créatif à Neuville sur Saône le 24 septembre à 14h30. Venez nombreux découvrir ces deux auteurs de talent.
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