Je serai hypocrite si je vous disais que, non, la première chose qui m'a tapé dans l'oeil avec ce livre, ce n'est aaaabsolument pas son titre. Mais un titre, aussi original soit-il, ça ne suffit pas à susciter l'envie de lecture, il faut aussi que ce qui l'accompagne, commençons par la quatrième de couverture, fasse également tilt. Ici, toutes les conditions m'ont semblé réunies pour tenter ma chance. A l'arrivée, un très bon moment de lecture, avec "Mazie, sainte patronne des fauchés et des assoiffés", de Jami Attenberg, paru en ce mois d'août aux éditions les Escales. Un roman qui pourra peut-être semblé mélodramatique à certains lecteurs, mais qui m'a fait sans cesse osciller du sourire à la tristesse, à travers un personnage formidable. Un personnage comme seule la réalité sait en façonner, mais comme seuls les romanciers savent les raconter...
Mazie Phillips est née le 1er novembre 1897 dans une famille juive de Boston. Elle a une soeur aînée, Rosie et une soeur plus jeune, Jeanie. Mais surtout, un père violent, qui bat leur mère comme plâtre, et elles aussi, quand l'occasion se présente. Un homme qui, jusqu'à sa mort, symbolisera la méchanceté aux yeux de Mazie.
La première à fuir cette situation, c'est Rosie, qui part s'installer à New York, chez Louis Gordon. Homme d'affaires aisé, il vit seul dans un grand deux-pièces d'un immeuble du Lower East Side, quand, autour de lui, des familles s'entassent dans des logements plus petits. Louis va, à sa façon, sauver les trois soeurs.
En effet, après avoir épousé Rosie, il va faire venir auprès de lui Mazie et Jeanie, devenant plus qu'un beau-frère, un véritable père de substitution. En plus de la sécurité, il leur assure un train de vie confortable dans un quartier qui est plutôt pauvre. Et, lorsque Mazie sera en âge de travailler, il lui proposera un emploi.
Une proposition qui n'emballe pas Mazie : depuis qu'elle a mis les pieds à New York, elle a la bougeotte et passe son temps dans le quartier, rentrant à des heures pas possibles, découvrant l'alcool, le tabac... et les garçons. Mazie est une rebelle dans l'âme, un peu garçon manqué, et le boulot que lui propose Louis ne correspond pas à son mode de vie.
En effet, cet emploi, c'est celui de caissière, au cinéma que possède Louis, le Venice. Autrement dit, passer ses journées dans cette petite cage en verre qui se trouve à l'entrée du cinéma, accueillant les clients, encaissant le prix des places, faisant les comptes et autres tâches qui s'opposent à la soif de liberté de la jeune femme.
Pourtant, elle accepte, ignorant que ce réduit aux parois transparentes va devenir le lieu qu'elle fréquentera le plus au long de sa vie, le trône de celle qui va devenir, dans les années suivantes, "la Reine du Bowery", connue de tous pour sa gentillesse, son dévouement, mais aussi parce qu'elle va nouer avec les plus pauvres une relation très particulière, généreuse et désintéressée.
Un statut qu'elle va forger au fil des nuits passées dans le quartier, souvent à boire, même pendant la Prohibition, mais aussi en refilant quelques cents par-ci, par-là, ou des friandises, et même des savonnettes, objet qu'elle emmenait toujours avec elle dans ses promenades. Et, lorsque la crise de 1929 va frapper très durement le pays et la ville de New York, cette activité philanthropique si spéciale va se renforcer encore.
"Mazie, sainte patronne des fauchés et des assoiffés", c'est le récit de cette existence très particulière. Pas dans son ensemble, mais sur une grosse vingtaine d'années, de 1907 à 1939, avec les années 20 comme coeur de ce roman sur lequel il y a énormément de choses à dire. Sur le fond comme sur la forme, sur le personnage et les émotions qu'il suscite.
Commençons par un élément fort : Mazie n'est pas une invention de Jami Attenberg, déjà remarquée pour son précédent roman, "la famille Middlestein". Non, Mazie a véritablement existé et son souvenir hante encore les rues du Lower East Side, quartier qu'elle ne quittera jamais de toute sa vie ou presque, sauf lorsque la famille s'installera de l'autre côté du fleuve, à Coney Island.
Elle a existé, mais n'a quasiment pas laissé de trace. Pendant ma lecture, comme je le fais souvent, je suis allé sur internet glaner des informations sur le livre et son auteure, histoire de nourrir ma réflexion et peut-être également ce billet. Et, force est de constater qu'on ne trouve pas grand-chose sur Mazie Gordon-Phillips. Ni en texte, ni en image. Pas même une page Wikipédia, imaginez !
En fait, mes recherches n'ont donné qu'un résultat médiocre : une nécrologie dans le New York Times, tout de même, et une seule photo, datant de 1946. Une photo qui, en plus, illustre un article du Guardian, dans lequel c'est Jami Attenberg elle-même qui parle de Mazie, dans le cadre d'une chronique consacrée aux héros de personnalités.
Si j'évoque ce maigre butin, ce n'est pas par hasard. La nécrologie et la photo datent d'après la période couverte par le roman. Et pour cause : pour cette période-là, il n'y a rien, ou presque... Alors, c'est là que la romancière entre en action, et remplit les vides. Elle va le faire de façon original puisque son livre ne se présente pas comme une biographie romanesque, mais comme un véritable documentaire.
Il y a, au coeur de ce livre, le journal intime de Mazie, qui lui, couvre la période du roman. Il en est le fil conducteur. Et puis, on comprend que ce cahier a été redécouvert par hasard, à la fin des années 1990 et qu'une jeune femme s'est passionné pour celle qui a écrit ces lignes, si vivantes, si insouciantes, dans sa première partie, avant de devenir bien plus sombres.
Autour de ce journal, on découvre aussi des entretiens réalisés par la mystérieuse jeune femme qui mène l'enquête, auprès de témoins directs, rares, forcément, le temps passe, ou indirects, comme les descendants des amis de Mazie. Sans oublier un universitaire, chargé d'évoquer le New York des années 1920 et même un embryon d'autobiographie de Mazie, qui n'a jamais vu le jour.
C'est riche, c'est surtout une construction très intéressante, même si elle peut dérouter au départ. La chronologie du journal intime est parfaitement respectée, simplement interrompue par les récits complémentaires, qui apportent un autre regard sur le personnage central de ce roman. On digresse, on découvre même certains éléments surprenants qui peuvent sembler hors sujet, mais qui sont aussi le résultat de l'influence de "Saint Mazie" (titre original, on y reviendra).
Mazie se raconte, se confie à ce journal intime, dont on comprend qu'il n'était absolument pas destiné à être lu un jour, encore moins par des inconnus. On y découvre sa vie personnelle, celle de sa famille, celle de son quartier, aussi. On y découvre son incroyable caractère, pétri d'un optimisme à toute épreuve, malgré les aléas de l'existence.
Elle est fascinante, Mazie, une jeune femme libre et entière, qui n'a pas froid aux yeux : "j'en ai vraiment rien à fiche de ce que pense les gens", écrit-elle dans une des premières entrées de ce journal, ouvert le jour de ses 10 ans. Et cette formule, même si elle ne la reprend pas formellement, c'est un peu sa devise.
Elle se fout surtout de toutes les conventions, une vraie Madame Sans-Gêne, en plein Big Apple. Et pourtant, la vie ne va pas lui faire de cadeaux. Ni ses soeurs, dont la vie est bien plus mouvementée, d'une certaine manière que celle de Mazie, ou du moins, plus chaotique. Elle est faite de drames, souvent, qui en aurait abattu plus d'un, mais dont elle va toujours se relever.
Ces drames, je vous les laisse découvrir, mais cela nous permet de parler des personnages secondaires de ce roman qui sont aussi très importants. Les soeurs de Mazie, au premier chef, tellement différentes, Rosie, l'aînée devenue mère de ses frangines, à défaut de pouvoir le devenir véritablement, et Jeanie, si sage en apparence et pourtant, l'électron libre de la famille.
Dans ces personnages secondaires, je pense aussi à Soeur Ti, cette nonne qui va devenir la meilleure amie de Mazie, malgré leurs différences sociales, mais aussi parce que Ti est catholique et Mazie juive. Mais, toutes les deux vont s'allier pour aider les plus faibles, les plus défavoriser, inlassablement... Et le rôle de Soeur Ti dans la vocation de Mazie est indéniable.
Il y a aussi le Capitaine, ce marin de passage, c'en est presque trop romanesque, dont Mazie va tomber amoureuse, éperdument. Il aurait pu être l'homme de sa vie, mais elle a bien senti qu'il était et serait toujours un homme à femmes... Reste ce sentiment profond et ce désir inextinguible qu'elle ressentira pour lui, réveillés à chacune de ses visites.
Et puis, il y a Louis... Ah... Mine de rien, pour moi, il est le personnage le plus important du roman après Mazie. Parce que c'est de lui, indirectement, que va venir la vocation de Mazie. C'est lui qui va faire naître en Mazie cette culpabilité qu'elle va chercher à combattre en se consacrant aux plus pauvres et en donnant son compter du temps, de l'argent, des efforts.
Louis, c'est l'autre grand mystère du livre. Tout simplement parce qu'on ne sait pas d'où vient sa fortune... Que fait-il exactement ? Personne ne le sait. D'où vient l'argent qu'il investit au Venice, mais aussi dans une confiserie, un hippodrome et d'autres endroits dédiés aux loisirs ? Impossible de le dire... De quoi faire naître les rumeurs les plus folles.
Et si l'argent de Louis n'avait pas été gagné honnêtement ? Cette question plane sur l'existence de Mazie, qui semble avoir trouvé la solution, en jouant les philanthropes de quartier, au contact des bénéficiaires de cet argent, contrairement à tant de riches personnalités qui ont fait beaucoup, sans jamais rencontrer ceux qu'ils ont aidé.
J'extrapole un peu. C'est ma lecture du livre de Jami Attenberg. Pour moi, Mazie agit, sans doute inconsciemment, pour effacer ce doute, réparer les éventuelles erreurs de Louis. En tout cas, c'est un point de départ. Car, ensuite, c'est vraiment son bon coeur qui va parler, au point de se consacrer pleinement à ces pauvres hères et de devenir une Reine et même, une sainte.
Voici un roman qui peut paraître, par moments, un peu mélodramatique. Pour moi, il évite cet écueil et offre une palette d'émotions très large. Parce que Mazie est très drôle, parce qu'elle se met dans des situations parfois presque burlesque, parce que, autour d'elle, il se passe des choses qui font voir la vie du bon côté, dans le sillage de cette femme volontaire.
Mais, dans le même temps, je le redis, la vie ne fait aucun cadeau à Mazie, dont la vie privée est marquée par une solitude très douloureuse, des disparitions qui vont laisser des vides impossibles à combler et une vie familiale bien plus agitée qu'elle ne l'escomptait. Qui pourrait croire, en voyant cette gamine délurée des premiers chapitres, qu'elle serait l'élément stabilisateur de sa famille ?
Et puis, il y a ce drame éternel de la pauvreté, qu'elle découvre presque par hasard, sa position de caissière lui offrant un point de vue qu'elle n'avait jamais envisagé jusque-là, malgré ses déambulations dans tout le Lower East Side. Son empathie est extraordinaire, mais on sent aussi qu'elle la bouffe, qu'elle l'épuise. L'alcool sera une manière de s'étourdir, tout en en connaissant les limites et les conséquences...
Je crois avoir fait à peu près le tour de ce que j'avais envie de dire sur ce livre. Il me reste un dernier point avec lequel je voulais conclure. La mode, en France, est, depuis quelques années, aux titres à rallonge. En voilà un nouvel exemple, avec ce roman sobrement intitulé "Saint Mazie", en anglais, qui devient "Mazie, sainte patronne des fauchés et des assoiffés". Long, mais efficace, aussi.
Ce choix, qui doit appartenir conjointement à l'éditeur et à la traductrice, Karine Reignier-Guerre, s'accompagne aussi d'un choix de couverture qui me plaît bien, avec New York, personnage du roman, également, en fond, le cinéma et Mazie, au centre, dans sa cage, auréolée d'une sainte lumière, embrasant jusqu'à la marquise.
Cette couverture française reprend, à quelques détails près, la couverture de l'édition britannique du livre. Mais, je ne voulais pas finir sans mettre dans ce billet la couverture américaine, qui reprend tout un tas de détails issus du roman et possède un cachet très particulier. Et Mazie, dans cette cage, ce guichet dont elle ne s'évade que pour essayer de faire le bien autour d'elle...
J'en termine en vous disant que ce roman est un exercice que le lecteur que je suis apprécie particulièrement : prendre de la matière première tirée du réel, c'est vrai, mais pleine de zone d'ombre, d'éléments inconnus. Une romancière s'en empare et reconstruit tout. A sa sauce, évidemment, mais avec aussi la volonté de sortir ce personnage de l'oubli. Une rencontre entre réalité et imaginaire qui me plaît beaucoup...
Mazie Phillips est née le 1er novembre 1897 dans une famille juive de Boston. Elle a une soeur aînée, Rosie et une soeur plus jeune, Jeanie. Mais surtout, un père violent, qui bat leur mère comme plâtre, et elles aussi, quand l'occasion se présente. Un homme qui, jusqu'à sa mort, symbolisera la méchanceté aux yeux de Mazie.
La première à fuir cette situation, c'est Rosie, qui part s'installer à New York, chez Louis Gordon. Homme d'affaires aisé, il vit seul dans un grand deux-pièces d'un immeuble du Lower East Side, quand, autour de lui, des familles s'entassent dans des logements plus petits. Louis va, à sa façon, sauver les trois soeurs.
En effet, après avoir épousé Rosie, il va faire venir auprès de lui Mazie et Jeanie, devenant plus qu'un beau-frère, un véritable père de substitution. En plus de la sécurité, il leur assure un train de vie confortable dans un quartier qui est plutôt pauvre. Et, lorsque Mazie sera en âge de travailler, il lui proposera un emploi.
Une proposition qui n'emballe pas Mazie : depuis qu'elle a mis les pieds à New York, elle a la bougeotte et passe son temps dans le quartier, rentrant à des heures pas possibles, découvrant l'alcool, le tabac... et les garçons. Mazie est une rebelle dans l'âme, un peu garçon manqué, et le boulot que lui propose Louis ne correspond pas à son mode de vie.
En effet, cet emploi, c'est celui de caissière, au cinéma que possède Louis, le Venice. Autrement dit, passer ses journées dans cette petite cage en verre qui se trouve à l'entrée du cinéma, accueillant les clients, encaissant le prix des places, faisant les comptes et autres tâches qui s'opposent à la soif de liberté de la jeune femme.
Pourtant, elle accepte, ignorant que ce réduit aux parois transparentes va devenir le lieu qu'elle fréquentera le plus au long de sa vie, le trône de celle qui va devenir, dans les années suivantes, "la Reine du Bowery", connue de tous pour sa gentillesse, son dévouement, mais aussi parce qu'elle va nouer avec les plus pauvres une relation très particulière, généreuse et désintéressée.
Un statut qu'elle va forger au fil des nuits passées dans le quartier, souvent à boire, même pendant la Prohibition, mais aussi en refilant quelques cents par-ci, par-là, ou des friandises, et même des savonnettes, objet qu'elle emmenait toujours avec elle dans ses promenades. Et, lorsque la crise de 1929 va frapper très durement le pays et la ville de New York, cette activité philanthropique si spéciale va se renforcer encore.
"Mazie, sainte patronne des fauchés et des assoiffés", c'est le récit de cette existence très particulière. Pas dans son ensemble, mais sur une grosse vingtaine d'années, de 1907 à 1939, avec les années 20 comme coeur de ce roman sur lequel il y a énormément de choses à dire. Sur le fond comme sur la forme, sur le personnage et les émotions qu'il suscite.
Commençons par un élément fort : Mazie n'est pas une invention de Jami Attenberg, déjà remarquée pour son précédent roman, "la famille Middlestein". Non, Mazie a véritablement existé et son souvenir hante encore les rues du Lower East Side, quartier qu'elle ne quittera jamais de toute sa vie ou presque, sauf lorsque la famille s'installera de l'autre côté du fleuve, à Coney Island.
Elle a existé, mais n'a quasiment pas laissé de trace. Pendant ma lecture, comme je le fais souvent, je suis allé sur internet glaner des informations sur le livre et son auteure, histoire de nourrir ma réflexion et peut-être également ce billet. Et, force est de constater qu'on ne trouve pas grand-chose sur Mazie Gordon-Phillips. Ni en texte, ni en image. Pas même une page Wikipédia, imaginez !
En fait, mes recherches n'ont donné qu'un résultat médiocre : une nécrologie dans le New York Times, tout de même, et une seule photo, datant de 1946. Une photo qui, en plus, illustre un article du Guardian, dans lequel c'est Jami Attenberg elle-même qui parle de Mazie, dans le cadre d'une chronique consacrée aux héros de personnalités.
Si j'évoque ce maigre butin, ce n'est pas par hasard. La nécrologie et la photo datent d'après la période couverte par le roman. Et pour cause : pour cette période-là, il n'y a rien, ou presque... Alors, c'est là que la romancière entre en action, et remplit les vides. Elle va le faire de façon original puisque son livre ne se présente pas comme une biographie romanesque, mais comme un véritable documentaire.
Il y a, au coeur de ce livre, le journal intime de Mazie, qui lui, couvre la période du roman. Il en est le fil conducteur. Et puis, on comprend que ce cahier a été redécouvert par hasard, à la fin des années 1990 et qu'une jeune femme s'est passionné pour celle qui a écrit ces lignes, si vivantes, si insouciantes, dans sa première partie, avant de devenir bien plus sombres.
Autour de ce journal, on découvre aussi des entretiens réalisés par la mystérieuse jeune femme qui mène l'enquête, auprès de témoins directs, rares, forcément, le temps passe, ou indirects, comme les descendants des amis de Mazie. Sans oublier un universitaire, chargé d'évoquer le New York des années 1920 et même un embryon d'autobiographie de Mazie, qui n'a jamais vu le jour.
C'est riche, c'est surtout une construction très intéressante, même si elle peut dérouter au départ. La chronologie du journal intime est parfaitement respectée, simplement interrompue par les récits complémentaires, qui apportent un autre regard sur le personnage central de ce roman. On digresse, on découvre même certains éléments surprenants qui peuvent sembler hors sujet, mais qui sont aussi le résultat de l'influence de "Saint Mazie" (titre original, on y reviendra).
Mazie se raconte, se confie à ce journal intime, dont on comprend qu'il n'était absolument pas destiné à être lu un jour, encore moins par des inconnus. On y découvre sa vie personnelle, celle de sa famille, celle de son quartier, aussi. On y découvre son incroyable caractère, pétri d'un optimisme à toute épreuve, malgré les aléas de l'existence.
Elle est fascinante, Mazie, une jeune femme libre et entière, qui n'a pas froid aux yeux : "j'en ai vraiment rien à fiche de ce que pense les gens", écrit-elle dans une des premières entrées de ce journal, ouvert le jour de ses 10 ans. Et cette formule, même si elle ne la reprend pas formellement, c'est un peu sa devise.
Elle se fout surtout de toutes les conventions, une vraie Madame Sans-Gêne, en plein Big Apple. Et pourtant, la vie ne va pas lui faire de cadeaux. Ni ses soeurs, dont la vie est bien plus mouvementée, d'une certaine manière que celle de Mazie, ou du moins, plus chaotique. Elle est faite de drames, souvent, qui en aurait abattu plus d'un, mais dont elle va toujours se relever.
Ces drames, je vous les laisse découvrir, mais cela nous permet de parler des personnages secondaires de ce roman qui sont aussi très importants. Les soeurs de Mazie, au premier chef, tellement différentes, Rosie, l'aînée devenue mère de ses frangines, à défaut de pouvoir le devenir véritablement, et Jeanie, si sage en apparence et pourtant, l'électron libre de la famille.
Dans ces personnages secondaires, je pense aussi à Soeur Ti, cette nonne qui va devenir la meilleure amie de Mazie, malgré leurs différences sociales, mais aussi parce que Ti est catholique et Mazie juive. Mais, toutes les deux vont s'allier pour aider les plus faibles, les plus défavoriser, inlassablement... Et le rôle de Soeur Ti dans la vocation de Mazie est indéniable.
Il y a aussi le Capitaine, ce marin de passage, c'en est presque trop romanesque, dont Mazie va tomber amoureuse, éperdument. Il aurait pu être l'homme de sa vie, mais elle a bien senti qu'il était et serait toujours un homme à femmes... Reste ce sentiment profond et ce désir inextinguible qu'elle ressentira pour lui, réveillés à chacune de ses visites.
Et puis, il y a Louis... Ah... Mine de rien, pour moi, il est le personnage le plus important du roman après Mazie. Parce que c'est de lui, indirectement, que va venir la vocation de Mazie. C'est lui qui va faire naître en Mazie cette culpabilité qu'elle va chercher à combattre en se consacrant aux plus pauvres et en donnant son compter du temps, de l'argent, des efforts.
Louis, c'est l'autre grand mystère du livre. Tout simplement parce qu'on ne sait pas d'où vient sa fortune... Que fait-il exactement ? Personne ne le sait. D'où vient l'argent qu'il investit au Venice, mais aussi dans une confiserie, un hippodrome et d'autres endroits dédiés aux loisirs ? Impossible de le dire... De quoi faire naître les rumeurs les plus folles.
Et si l'argent de Louis n'avait pas été gagné honnêtement ? Cette question plane sur l'existence de Mazie, qui semble avoir trouvé la solution, en jouant les philanthropes de quartier, au contact des bénéficiaires de cet argent, contrairement à tant de riches personnalités qui ont fait beaucoup, sans jamais rencontrer ceux qu'ils ont aidé.
J'extrapole un peu. C'est ma lecture du livre de Jami Attenberg. Pour moi, Mazie agit, sans doute inconsciemment, pour effacer ce doute, réparer les éventuelles erreurs de Louis. En tout cas, c'est un point de départ. Car, ensuite, c'est vraiment son bon coeur qui va parler, au point de se consacrer pleinement à ces pauvres hères et de devenir une Reine et même, une sainte.
Voici un roman qui peut paraître, par moments, un peu mélodramatique. Pour moi, il évite cet écueil et offre une palette d'émotions très large. Parce que Mazie est très drôle, parce qu'elle se met dans des situations parfois presque burlesque, parce que, autour d'elle, il se passe des choses qui font voir la vie du bon côté, dans le sillage de cette femme volontaire.
Mais, dans le même temps, je le redis, la vie ne fait aucun cadeau à Mazie, dont la vie privée est marquée par une solitude très douloureuse, des disparitions qui vont laisser des vides impossibles à combler et une vie familiale bien plus agitée qu'elle ne l'escomptait. Qui pourrait croire, en voyant cette gamine délurée des premiers chapitres, qu'elle serait l'élément stabilisateur de sa famille ?
Et puis, il y a ce drame éternel de la pauvreté, qu'elle découvre presque par hasard, sa position de caissière lui offrant un point de vue qu'elle n'avait jamais envisagé jusque-là, malgré ses déambulations dans tout le Lower East Side. Son empathie est extraordinaire, mais on sent aussi qu'elle la bouffe, qu'elle l'épuise. L'alcool sera une manière de s'étourdir, tout en en connaissant les limites et les conséquences...
Je crois avoir fait à peu près le tour de ce que j'avais envie de dire sur ce livre. Il me reste un dernier point avec lequel je voulais conclure. La mode, en France, est, depuis quelques années, aux titres à rallonge. En voilà un nouvel exemple, avec ce roman sobrement intitulé "Saint Mazie", en anglais, qui devient "Mazie, sainte patronne des fauchés et des assoiffés". Long, mais efficace, aussi.
Ce choix, qui doit appartenir conjointement à l'éditeur et à la traductrice, Karine Reignier-Guerre, s'accompagne aussi d'un choix de couverture qui me plaît bien, avec New York, personnage du roman, également, en fond, le cinéma et Mazie, au centre, dans sa cage, auréolée d'une sainte lumière, embrasant jusqu'à la marquise.
Cette couverture française reprend, à quelques détails près, la couverture de l'édition britannique du livre. Mais, je ne voulais pas finir sans mettre dans ce billet la couverture américaine, qui reprend tout un tas de détails issus du roman et possède un cachet très particulier. Et Mazie, dans cette cage, ce guichet dont elle ne s'évade que pour essayer de faire le bien autour d'elle...
J'en termine en vous disant que ce roman est un exercice que le lecteur que je suis apprécie particulièrement : prendre de la matière première tirée du réel, c'est vrai, mais pleine de zone d'ombre, d'éléments inconnus. Une romancière s'en empare et reconstruit tout. A sa sauce, évidemment, mais avec aussi la volonté de sortir ce personnage de l'oubli. Une rencontre entre réalité et imaginaire qui me plaît beaucoup...