Il y a quelques jours, j'évoquais un tueur en série, connu sous le surnom de "Fils de Sam", à travers un roman que lui a consacré Michaël Mention. Ce soir, on reste dans le même genre littéraire, celui du roman du réel, pour reprendre l'expression qui ouvre et clôt notre roman du soir, mais avec un autre univers, d'autres personnages et surtout, une histoire qui nous touche de plus près : l'affaire Fourniret. Dans "la mésange et l'ogresse" (qui vient de paraître chez Plon), Harold Cobert revient sur ce fait divers qui a tenu la France mais aussi la Belgique en haleine. Mais, il choisit de laisser un peu de côté le prédateur, Michel Fourniret, pour s'intéresser à celle qui a partagé sa vie, mais aussi son odyssée criminelle, Monique Olivier. Dans ce roman, qui s'appuie sur les éléments contenus dans le dossier de cette affaire, qui n'a sans doute pas encore livré tous ses secrets, Harold Cobert s'intéresse au mystère qui entoure cette femme à l'allure insignifiante, mais qui a peut-être été bien plus qu'une complice occasionnelle...
Le 26 juin 2003, à Cirey, en Belgique, un homme, la soixantaine, barbe bien taillée, cheveux courts et grisonnants, enlève une collégienne de 13 ans et la ligote dans sa camionnette blanche. Mais, sans doute par précipitation, de peur d'être repéré, l'homme n'a pas suffisamment serré les liens et, profitant d'un arrêt, la jeune fille parvient à sauter de l'utilitaire et à s'enfuir.
Le même jour, le même homme abordera une autre jeune fille dans le même coin, sans essayer de la brutaliser ou de l'enlever. Comme s'il prenait contact... Il n'aura pas le temps de revenir la voir, et heureusement pour cette autre demoiselle. Dénoncé par sa première proie, l'homme est arrêté par la police belge. Il s'appelle Michel Fourniret.
Jacques Debiesme, en poste à Dinant depuis peu après avoir fait l'essentiel de sa carrière à Charleroi, s'apprête à partir en vacances. Un repos bien mérité, car son corps de presque quinquagénaire commence à crier grâce : trop de tabac et d'alcool, de bonne bouffe bien grasse, aussi, sans oublier un dos en compote.
Ces vacances vont aussi lui permettre de se retrouver en famille, avec son épouse, ses enfants, ses petits-enfants... Une famille trop souvent négligée au profit d'un travail qui l'accapare. Lorsqu'il est sur une affaire, difficile pour lui de s'en défaire, même lorsqu'il a quitté le bureau pour retrouver son domicile...
Et puis, voilà qu'on arrête Michel Fourniret... C'est à lui que revient de prendre en charge ce dossier épineux. Il l'aurait été en toutes circonstance, mais, la Belgique attend le procès Dutroux dans quelques mois, et cette histoire de tentative d'enlèvement tombe on ne peut plus mal, pour les flics, mais aussi les magistrats et les politiques qui savent qu'ils n'ont plus aucun droit à l'erreur.
Commence l'enquête d'une vie, pour le commissaire Debiesme et ses adjoints, Ben et Chris, qui vont se retrouver avec en main l'extrémité d'une pelote qu'ils vont essayer de démêler pendant toute une année. Douze mois d'enquête dont ils vont sortir différents, après avoir côtoyé l'horreur et la monstruosité, mais aussi le mépris d'un homme, d'un assassin.
A partir des événements de Cirey, ils vont mettre au jour un incroyable faisceau de présomptions à l'encontre de Fourniret, qui va les emmener de la Belgique à Nantes, en passant par la région parisienne et les Ardennes... Mais ce sont surtout deux meurtres de jeunes filles dont les corps ont été retrouvés quelques années plus tôt de leur côté de la frontière franco-belge.
A chaque nouvel élément, la tension monte chez les flics, conscient de travailler sur une affaire hors norme, mais aussi, de ne pas disposer de preuves matérielles suffisantes pour confondre ce qu'il faut bien appeler un tueur en série. Et comme Michel Fourniret nie tout en bloc, le risque est de devoir le remettre en liberté si le dossier est trop mince...
Mais, dans ce résumé, il manque une protagoniste. En apparence, elle n'a l'air de rien, une femme discrète jusqu'à la transparence, insignifiante et timide : Monique Fourniret, l'épouse du tueur présumé. Debiesme et ses hommes espèrent obtenir par son biais certains éléments leur permettant de trouver ces fameuses preuves ou au moins des pistes viables.
Le hic, c'est que, en face deux, la femme qui vient au commissariat peine à s'exprimer, recroquevillée sur son siège, cachée derrière ses longs cheveux, bafouillant à chaque phrase, affirmant ne rien savoir et disant ne pas comprendre ce qu'on reproche à son mari. Un personnage soumis qui ne leur apprend rien sur leur principal suspect.
Et pourtant, dès les premières auditions, quelque chose titille l'esprit de Jacques Debiesme. Vulgairement parlant, on pourrait dire qu'il ne la sent pas, cette femme. Il a du mal à croire à la faible femme soumise, ignorante, stupide et possédant une mémoire de poisson rouge qui se présente à lui. Et ce doute ne va cesser de croître au fil des jours.
Alors que Michel Fourniret continue à les prendre de haut, à se moquer d'eux, même, les policiers, qui continue d'esquisser le parcours criminel extraordinaire de Michel Fourniret, sans être sûrs d'avoir découvert tous les éléments et sans parvenir à mettre en évidence des indices incontestables l'impliquant dans ces différents faits, Debiesme décide d'accentuer la pression sur Monique...
"La mésange et l'ogresse" relate ce travail de longue haleine, cette année d'investigation tous azimuts qui va prendre tout leur temps au commissaire Debiesme et à ses hommes. Leurs découvertes, leur plongée dans l'abomination, leur découragement, leur crainte de voir un tueur en série finir par leur échapper et leur colère croissante.
Mais, surtout, au coeur du livre, il y a le personnage de Monique Fourniret, qui ne se dévoilera jamais complètement à eux mais qu'ils vont tenter de cerner. Ils en sont sûrs, de Fourniret, ils n'obtiendront rien, il prend trop son pied à les faire tourner en bourrique. En revanche, s'ils réussissent à cerner le véritable caractère de sa femme, s'ils appuient sur les bons leviers, là, ils peuvent espérer...
Là encore, l'analogie avec les Dutroux est frappante : un couple de criminels qui agit de concert. Et pourtant, là encore, les deux affaires vont prendre des caps différents, le rôle de Monique Fourniret apparaissant de plus en plus comme essentiel et non accessoire. Le titre de ce billet parle de lui-même : se pourrait-il qu'elle soit la pire des deux membres de ce couple infernal ?
Derrière l'allure falote de Monique Fourniret, sa carrure frêle et ses balbutiements, que se cache-t-il ? Debiesme et ses hommes ne disposent pas des expertises psy qui, par la suite, montreront qu'elle est celle qui a le plus haut QI des deux, alors qu'il se présente volontiers comme un intello, amoureux de littérature, écrivain lui-même, tandis qu'elle se rabaisse, se dénigre sans cesse.
Et pourtant, une autre chose frappe chez cette femme : son absence totale de sentiments. Y compris pour ses propres enfants. Cette femme, c'est un bloc de glace qui, parfois, se révèle, avant de reprendre son rôle de faible femme, impressionnable et tremblante, manquant complètement de confiance en elle...
Encore aujourd'hui, une douzaine d'années après ces faits, Monique Fourniret reste un mystère aux yeux de ceux qui ont eu à la côtoyer. Et je pense que c'est aussi le cas pour Harold Cobert lui-même. Quant au lecteur, qu'il connaisse l'affaire en détails ou qu'il la découvre (mais où vivait-il ?), il refermera certainement lui aussi ce livre avec mille questions en tête.
La mésange et l'ogresse, dit le titre... La mésange, c'est le petit nom qu'elle se donne, par opposition à son fauve, son "Sherkan", comme elle surnomme Fourniret. C'est un passereau, la mésange, comme la linotte, cet oiseau à qui on associe l'étourderie, la superficialité, des traits qui pourraient aussi coller à la Monique Fourniret que l'on voit lors de ses auditions.
Et puis, il y a l'ogresse... C'est après elle que courent les hommes de Debiesme, cette part sombre qu'ils entrevoient, qu'ils suspectent, mais sans doute pas au point d'imaginer ce qu'ils vont mettre à jour. Et l'ogresse, le lecteur, lui, la voit, parfaitement. Monique Fourniret s'adresse à lui, dans des chapitres, souvent assez courts.
Le procédé est classique, mais l'exercice est toujours intéressant : entrer dans la tête du monstre. Harold Cobert, comme Michaël Mention, déjà cité, d'ailleurs, utilise ces chapitres à la première personne pour faire avancer le récit et révéler les crimes du couple, mais aussi leurs relations, tellement complexes, tellement variables, et ce qu'ils appellent leur pacte...
Deux facettes si différentes, d'un côté, une femme fragile, soumise, apeurée, même, de l'autre, une parfaite maîtrise, une froideur qui glace, une gestion de la crise, si je puis dire, sans fausse note. Elle sait, elle sait tout, mais elle ne dira rien. Ou si peu. Ou ce qui lui semble le plus propice à égarer des enquêteurs à la peine.
Elle va subir plus d'une centaine d'auditions, on lui fera essayer l'hypnose, on lui proposera le détecteur de mensonges, on choisira de la convoquer de manière à l'empêcher de s'entretenir avec Fourniret avant, on va tout mettre en oeuvre pour fragiliser ses positions, essayer de la faire craquer... Et elle va résister si longtemps... Aux antipodes de la femme que Debiesme a rencontré la première fois.
Ce bras de fer m'a refait penser au duel impitoyable que se livrent Lino Ventura et Michel Serrault dans "Garde à vue". Pourtant, le contexte est très différent : le film de Claude Miller est un huis clos qui ne dure que le temps d'une nuit, quand le travail autour de Monique Fourniret va durer un an, avec ces auditions à répétition...
De la même manière, le personnage incarné par Serrault rappelle plus Fourniret lui-même que Monique : arrogant, sûr de lui, méprisant, se moquant des flics ou répondant avec une certaine violence aux accusations... Entre Debiesme et Monique Fourniret, c'est un combat à fleurets pas tout à fait mouchetés, une espèce de partie d'échecs où il faut amener l'adversaire à découvrir son roi.
Bien sûr, le parcours criminel du couple Fourniret est tout à fait exceptionnel. Et effrayant. On se demande comment ils ont pu aussi longtemps passer à travers les mailles du filet, comment ils ont pu laisser aussi peu de traces. Mais, Harold Cobert rappelle à juste titre à quel point les crimes du couple de Sart-Custinne vient s'inscrire dans le paysage criminel de son époque.
Bien sûr, avec l'arrestation en Belgique, on pense aussitôt aux Dutroux et à ce procès imminent qui met tout un pays dans un état de tension extrême. Mais, on croise aussi d'autres criminels emblématiques comme Emile Louis, Francis Heaulme et même l'adjudant Chanal. On évoque la disparition d'Estelle Mouzin, toujours irrésolue...
Le mode opératoire qui sera mis en évidence ne concerne pas l'acte criminel en soi, le rituel de Michel Fourniret est ailleurs et il tue de différentes façons, rendant les recoupements difficiles. Il a la bougeotte, choisit des cibles dont on ne repère pas immédiatement la disparition... On redoute même un bilan bien plus lourd, avec des victimes jamais déclarées, jamais retrouvées...
Et puis, parce que cette histoire n'a décidément rien à voir avec d'autres faits divers marquants, on croise aussi le Gang des Postiches (remplacé par Action Directe dans le roman de Harold Cobert), Christian Ranucci, l'un des derniers condamnés à mort français à la culpabilité toujours incertaine 40 ans après, et même e ministre Boulin, dont le suicide par noyade reste un des grands mystères de la Ve République...
Fourniret est un tueur habile, peut-être pas un génie du crime machiavélique à souhait, comme on peut en croiser dans la fiction. C'est même un véritable lâche sous ses airs bravache et sa morgue. Son histoire est bien plus grande que lui, d'une certaine manière. Et, ce qui renforce le choix de se focaliser sur Monique Olivier est qu'elle est plus que son acolyte...
Et si elle avait façonné Fourniret, faisant d'un pervers sexuel ayant fait pas mal de victimes, il est vrai, mais sans passer à l'homicide, un véritable tueur ? Et si elle avait tué, elle aussi ? Et si la fragile mésange était un Pygmalion dans l'âme et qu'elle avait trouvé en Fourniret le parfait complément à sa sociopathie ?
Ces questionnements, ils sont tous dans le livre de Harold Cobert. Avec cet avantage qu'a le romancier sur le flic ou le juge, c'est qu'il peut franchir le pas infranchissable dans la réalité et donner son avis. Sans dépasser le cadre qu'il s'est fixé : la fiction, ici, s'empare de la forme, pas du fond qui reste concentré sur les éléments à disposition. A vous de vous faire une opinion...
A travers ce roman-là, Harold Cobert pose également deux questions très fortes : pourquoi sommes-nous fascinés par le mal et pourquoi les figures qui incarnent ce mal ont-elles pris une telle place dans l'imaginaire collectif ? Des questions qu'on retrouve chez des auteurs de thrillers, comme Maxime Chattam, ou chez des écrivains comme Jérémy Fel, qui réfléchissait sur la figure du croquemitaine, dans "les loups à leur porte".
On peut toujours considérer comme indécent l'importance des faits divers dans notre société, le fait qu'on dresse des piédestaux aux criminels en oubliant bien souvent leurs victimes (dont Harold Cobert a d'ailleurs choisi de modifier les noms, pour ce livre). Et pourtant, ces histoires posent bien des questions sur nos sociétés et sur l'humain, quand il se défait justement de son humanité...
La force de Cobert, c'est à la fois de proposer un personnage d'ogresse très convaincant, à la fois par son ambivalence mais aussi par son côté glacial que l'on ressent et qui fait monter le malaise d'un bout à l'autre, mais aussi de proposer un flic au bout du rouleau, Simenonien, par certains côtés, mais aussi usé jusqu'à la corde et mettant sa vie en jeu pour mettre hors d'état de nuire deux criminels.
La scène la plus forte, c'est le décryptage de la correspondance du couple Fourniret par Chris, femme flic qui devait penser qu'elle n'avait pas froid aux yeux. Jusque-là. Face à l'absence d'émotion des Fourniret, cette réunion de policiers, craquant les uns après les autres et tombant leur masque de gros durs pour laisser libre cours à leurs larmes et leur horreur, est un choc et une bouffée d'humanité aussi, dans une histoire où elle se fait bien rare...
Le 26 juin 2003, à Cirey, en Belgique, un homme, la soixantaine, barbe bien taillée, cheveux courts et grisonnants, enlève une collégienne de 13 ans et la ligote dans sa camionnette blanche. Mais, sans doute par précipitation, de peur d'être repéré, l'homme n'a pas suffisamment serré les liens et, profitant d'un arrêt, la jeune fille parvient à sauter de l'utilitaire et à s'enfuir.
Le même jour, le même homme abordera une autre jeune fille dans le même coin, sans essayer de la brutaliser ou de l'enlever. Comme s'il prenait contact... Il n'aura pas le temps de revenir la voir, et heureusement pour cette autre demoiselle. Dénoncé par sa première proie, l'homme est arrêté par la police belge. Il s'appelle Michel Fourniret.
Jacques Debiesme, en poste à Dinant depuis peu après avoir fait l'essentiel de sa carrière à Charleroi, s'apprête à partir en vacances. Un repos bien mérité, car son corps de presque quinquagénaire commence à crier grâce : trop de tabac et d'alcool, de bonne bouffe bien grasse, aussi, sans oublier un dos en compote.
Ces vacances vont aussi lui permettre de se retrouver en famille, avec son épouse, ses enfants, ses petits-enfants... Une famille trop souvent négligée au profit d'un travail qui l'accapare. Lorsqu'il est sur une affaire, difficile pour lui de s'en défaire, même lorsqu'il a quitté le bureau pour retrouver son domicile...
Et puis, voilà qu'on arrête Michel Fourniret... C'est à lui que revient de prendre en charge ce dossier épineux. Il l'aurait été en toutes circonstance, mais, la Belgique attend le procès Dutroux dans quelques mois, et cette histoire de tentative d'enlèvement tombe on ne peut plus mal, pour les flics, mais aussi les magistrats et les politiques qui savent qu'ils n'ont plus aucun droit à l'erreur.
Commence l'enquête d'une vie, pour le commissaire Debiesme et ses adjoints, Ben et Chris, qui vont se retrouver avec en main l'extrémité d'une pelote qu'ils vont essayer de démêler pendant toute une année. Douze mois d'enquête dont ils vont sortir différents, après avoir côtoyé l'horreur et la monstruosité, mais aussi le mépris d'un homme, d'un assassin.
A partir des événements de Cirey, ils vont mettre au jour un incroyable faisceau de présomptions à l'encontre de Fourniret, qui va les emmener de la Belgique à Nantes, en passant par la région parisienne et les Ardennes... Mais ce sont surtout deux meurtres de jeunes filles dont les corps ont été retrouvés quelques années plus tôt de leur côté de la frontière franco-belge.
A chaque nouvel élément, la tension monte chez les flics, conscient de travailler sur une affaire hors norme, mais aussi, de ne pas disposer de preuves matérielles suffisantes pour confondre ce qu'il faut bien appeler un tueur en série. Et comme Michel Fourniret nie tout en bloc, le risque est de devoir le remettre en liberté si le dossier est trop mince...
Mais, dans ce résumé, il manque une protagoniste. En apparence, elle n'a l'air de rien, une femme discrète jusqu'à la transparence, insignifiante et timide : Monique Fourniret, l'épouse du tueur présumé. Debiesme et ses hommes espèrent obtenir par son biais certains éléments leur permettant de trouver ces fameuses preuves ou au moins des pistes viables.
Le hic, c'est que, en face deux, la femme qui vient au commissariat peine à s'exprimer, recroquevillée sur son siège, cachée derrière ses longs cheveux, bafouillant à chaque phrase, affirmant ne rien savoir et disant ne pas comprendre ce qu'on reproche à son mari. Un personnage soumis qui ne leur apprend rien sur leur principal suspect.
Et pourtant, dès les premières auditions, quelque chose titille l'esprit de Jacques Debiesme. Vulgairement parlant, on pourrait dire qu'il ne la sent pas, cette femme. Il a du mal à croire à la faible femme soumise, ignorante, stupide et possédant une mémoire de poisson rouge qui se présente à lui. Et ce doute ne va cesser de croître au fil des jours.
Alors que Michel Fourniret continue à les prendre de haut, à se moquer d'eux, même, les policiers, qui continue d'esquisser le parcours criminel extraordinaire de Michel Fourniret, sans être sûrs d'avoir découvert tous les éléments et sans parvenir à mettre en évidence des indices incontestables l'impliquant dans ces différents faits, Debiesme décide d'accentuer la pression sur Monique...
"La mésange et l'ogresse" relate ce travail de longue haleine, cette année d'investigation tous azimuts qui va prendre tout leur temps au commissaire Debiesme et à ses hommes. Leurs découvertes, leur plongée dans l'abomination, leur découragement, leur crainte de voir un tueur en série finir par leur échapper et leur colère croissante.
Mais, surtout, au coeur du livre, il y a le personnage de Monique Fourniret, qui ne se dévoilera jamais complètement à eux mais qu'ils vont tenter de cerner. Ils en sont sûrs, de Fourniret, ils n'obtiendront rien, il prend trop son pied à les faire tourner en bourrique. En revanche, s'ils réussissent à cerner le véritable caractère de sa femme, s'ils appuient sur les bons leviers, là, ils peuvent espérer...
Là encore, l'analogie avec les Dutroux est frappante : un couple de criminels qui agit de concert. Et pourtant, là encore, les deux affaires vont prendre des caps différents, le rôle de Monique Fourniret apparaissant de plus en plus comme essentiel et non accessoire. Le titre de ce billet parle de lui-même : se pourrait-il qu'elle soit la pire des deux membres de ce couple infernal ?
Derrière l'allure falote de Monique Fourniret, sa carrure frêle et ses balbutiements, que se cache-t-il ? Debiesme et ses hommes ne disposent pas des expertises psy qui, par la suite, montreront qu'elle est celle qui a le plus haut QI des deux, alors qu'il se présente volontiers comme un intello, amoureux de littérature, écrivain lui-même, tandis qu'elle se rabaisse, se dénigre sans cesse.
Et pourtant, une autre chose frappe chez cette femme : son absence totale de sentiments. Y compris pour ses propres enfants. Cette femme, c'est un bloc de glace qui, parfois, se révèle, avant de reprendre son rôle de faible femme, impressionnable et tremblante, manquant complètement de confiance en elle...
Encore aujourd'hui, une douzaine d'années après ces faits, Monique Fourniret reste un mystère aux yeux de ceux qui ont eu à la côtoyer. Et je pense que c'est aussi le cas pour Harold Cobert lui-même. Quant au lecteur, qu'il connaisse l'affaire en détails ou qu'il la découvre (mais où vivait-il ?), il refermera certainement lui aussi ce livre avec mille questions en tête.
La mésange et l'ogresse, dit le titre... La mésange, c'est le petit nom qu'elle se donne, par opposition à son fauve, son "Sherkan", comme elle surnomme Fourniret. C'est un passereau, la mésange, comme la linotte, cet oiseau à qui on associe l'étourderie, la superficialité, des traits qui pourraient aussi coller à la Monique Fourniret que l'on voit lors de ses auditions.
Et puis, il y a l'ogresse... C'est après elle que courent les hommes de Debiesme, cette part sombre qu'ils entrevoient, qu'ils suspectent, mais sans doute pas au point d'imaginer ce qu'ils vont mettre à jour. Et l'ogresse, le lecteur, lui, la voit, parfaitement. Monique Fourniret s'adresse à lui, dans des chapitres, souvent assez courts.
Le procédé est classique, mais l'exercice est toujours intéressant : entrer dans la tête du monstre. Harold Cobert, comme Michaël Mention, déjà cité, d'ailleurs, utilise ces chapitres à la première personne pour faire avancer le récit et révéler les crimes du couple, mais aussi leurs relations, tellement complexes, tellement variables, et ce qu'ils appellent leur pacte...
Deux facettes si différentes, d'un côté, une femme fragile, soumise, apeurée, même, de l'autre, une parfaite maîtrise, une froideur qui glace, une gestion de la crise, si je puis dire, sans fausse note. Elle sait, elle sait tout, mais elle ne dira rien. Ou si peu. Ou ce qui lui semble le plus propice à égarer des enquêteurs à la peine.
Elle va subir plus d'une centaine d'auditions, on lui fera essayer l'hypnose, on lui proposera le détecteur de mensonges, on choisira de la convoquer de manière à l'empêcher de s'entretenir avec Fourniret avant, on va tout mettre en oeuvre pour fragiliser ses positions, essayer de la faire craquer... Et elle va résister si longtemps... Aux antipodes de la femme que Debiesme a rencontré la première fois.
Ce bras de fer m'a refait penser au duel impitoyable que se livrent Lino Ventura et Michel Serrault dans "Garde à vue". Pourtant, le contexte est très différent : le film de Claude Miller est un huis clos qui ne dure que le temps d'une nuit, quand le travail autour de Monique Fourniret va durer un an, avec ces auditions à répétition...
De la même manière, le personnage incarné par Serrault rappelle plus Fourniret lui-même que Monique : arrogant, sûr de lui, méprisant, se moquant des flics ou répondant avec une certaine violence aux accusations... Entre Debiesme et Monique Fourniret, c'est un combat à fleurets pas tout à fait mouchetés, une espèce de partie d'échecs où il faut amener l'adversaire à découvrir son roi.
Bien sûr, le parcours criminel du couple Fourniret est tout à fait exceptionnel. Et effrayant. On se demande comment ils ont pu aussi longtemps passer à travers les mailles du filet, comment ils ont pu laisser aussi peu de traces. Mais, Harold Cobert rappelle à juste titre à quel point les crimes du couple de Sart-Custinne vient s'inscrire dans le paysage criminel de son époque.
Bien sûr, avec l'arrestation en Belgique, on pense aussitôt aux Dutroux et à ce procès imminent qui met tout un pays dans un état de tension extrême. Mais, on croise aussi d'autres criminels emblématiques comme Emile Louis, Francis Heaulme et même l'adjudant Chanal. On évoque la disparition d'Estelle Mouzin, toujours irrésolue...
Le mode opératoire qui sera mis en évidence ne concerne pas l'acte criminel en soi, le rituel de Michel Fourniret est ailleurs et il tue de différentes façons, rendant les recoupements difficiles. Il a la bougeotte, choisit des cibles dont on ne repère pas immédiatement la disparition... On redoute même un bilan bien plus lourd, avec des victimes jamais déclarées, jamais retrouvées...
Et puis, parce que cette histoire n'a décidément rien à voir avec d'autres faits divers marquants, on croise aussi le Gang des Postiches (remplacé par Action Directe dans le roman de Harold Cobert), Christian Ranucci, l'un des derniers condamnés à mort français à la culpabilité toujours incertaine 40 ans après, et même e ministre Boulin, dont le suicide par noyade reste un des grands mystères de la Ve République...
Fourniret est un tueur habile, peut-être pas un génie du crime machiavélique à souhait, comme on peut en croiser dans la fiction. C'est même un véritable lâche sous ses airs bravache et sa morgue. Son histoire est bien plus grande que lui, d'une certaine manière. Et, ce qui renforce le choix de se focaliser sur Monique Olivier est qu'elle est plus que son acolyte...
Et si elle avait façonné Fourniret, faisant d'un pervers sexuel ayant fait pas mal de victimes, il est vrai, mais sans passer à l'homicide, un véritable tueur ? Et si elle avait tué, elle aussi ? Et si la fragile mésange était un Pygmalion dans l'âme et qu'elle avait trouvé en Fourniret le parfait complément à sa sociopathie ?
Ces questionnements, ils sont tous dans le livre de Harold Cobert. Avec cet avantage qu'a le romancier sur le flic ou le juge, c'est qu'il peut franchir le pas infranchissable dans la réalité et donner son avis. Sans dépasser le cadre qu'il s'est fixé : la fiction, ici, s'empare de la forme, pas du fond qui reste concentré sur les éléments à disposition. A vous de vous faire une opinion...
A travers ce roman-là, Harold Cobert pose également deux questions très fortes : pourquoi sommes-nous fascinés par le mal et pourquoi les figures qui incarnent ce mal ont-elles pris une telle place dans l'imaginaire collectif ? Des questions qu'on retrouve chez des auteurs de thrillers, comme Maxime Chattam, ou chez des écrivains comme Jérémy Fel, qui réfléchissait sur la figure du croquemitaine, dans "les loups à leur porte".
On peut toujours considérer comme indécent l'importance des faits divers dans notre société, le fait qu'on dresse des piédestaux aux criminels en oubliant bien souvent leurs victimes (dont Harold Cobert a d'ailleurs choisi de modifier les noms, pour ce livre). Et pourtant, ces histoires posent bien des questions sur nos sociétés et sur l'humain, quand il se défait justement de son humanité...
La force de Cobert, c'est à la fois de proposer un personnage d'ogresse très convaincant, à la fois par son ambivalence mais aussi par son côté glacial que l'on ressent et qui fait monter le malaise d'un bout à l'autre, mais aussi de proposer un flic au bout du rouleau, Simenonien, par certains côtés, mais aussi usé jusqu'à la corde et mettant sa vie en jeu pour mettre hors d'état de nuire deux criminels.
La scène la plus forte, c'est le décryptage de la correspondance du couple Fourniret par Chris, femme flic qui devait penser qu'elle n'avait pas froid aux yeux. Jusque-là. Face à l'absence d'émotion des Fourniret, cette réunion de policiers, craquant les uns après les autres et tombant leur masque de gros durs pour laisser libre cours à leurs larmes et leur horreur, est un choc et une bouffée d'humanité aussi, dans une histoire où elle se fait bien rare...