Dans le précédent billet, nous évoquions une révolution fictive se déroulant un mois d'avril. Dans celui-ci, il sera question d'une révolution qui s'est effectivement tenue un mois de mai et qui a dégénéré en guerre civile... Direction l'Ukraine, plus exactement, la région du Donbass, transformée en champ de bataille en quelques semaines pour... Mais pour quoi au juste ? Retour des vieilles lunes idéologiques ou affrontement de nationalismes bien contemporain ? Dans "Anthracite", qui vient de paraître chez Stock, Cédric Gras nous convie à un road-trip déjanté et dramatique à travers le Donbass, à la rencontre des acteurs d'un conflit aux enjeux complexes, ou peut-être totalement absurdes, allez savoir... S'il n'y avait pas une guerre atroce et aveugle comme contexte, on en rirait, de ces affaires de voisinage, mais la folie furieuse pourrait bien avoir le dessus sur la folie douce...
Vladlen, oui, oui, c'est bien son prénom, contraction de Vladimir Lénine, Vladlen, donc, est chef d'orchestre à Donetsk, la capitale de la région ukrainienne du Donbass. Epoux volage et plus concerné par les questions artistiques que les affaires politiques de son pays, les manifestations à Kiev, la destitution du président Ianoukovytch et les troubles divers qui en ont découlé...
En ce mois de mai, le Donbass, province à majorité russophone, limitrophe du grand voisin mais surtout une région minière où l'on continue à exploiter le charbon, et particulièrement l'anthracite, cette variété de minerai qui se consume lentement, est en effervescence. Dans quelques jours, se tiendront des référendums d'autodétermination.
Le choix est simple : le Donbass votera-t-il pour l'indépendance, le rattachement à la Russie, qui a déjà annexé la Crimée peu de temps auparavant ou pour le maintien dans l'Ukraine indépendante ? Cette dernière solution est plus qu'hypothétique et les tensions montent entre pro-Ukraine et pro-Russie.
C'est alors que, sur un coup de folie, Vladlen, pourtant si peu concerné par ces affaires, dirige l'hymne ukrainien alors que son orchestre joue devant un parterre pro-Russe, lors d'une cérémonie, à deux jours du vote... La réaction n'attend pas et elle est violente : les musiciens sont rudement pris à partie et Vladlen réussit à fuir in extremis.
Plus question de rester à Donetsk, mais où aller ? Difficile de quitter le Donbass, pourtant, car, s'il va vers Kiev, il risque de ne pas être très bien accueilli et il n'a aucune envie de finir en Russie... Alors, il décide de renouer contact avec son ami d'enfance, Emile, oui, écrit à la française, hommage à Zola, l'auteur de "Germinal", qui gère justement une mine...
Voilà une vingtaine d'années qu'ils ne se fréquentent plus que très occasionnellement, mais l'heure est grave. Seul Emile peut aider Vladlen et, pourquoi pas, l'aider à se sortir du pétrin dans lequel il s'est mis tout seul, par son attitude aussi bravache qu'inconsidérée... Les retrouvailles sont chaleureuses, même si les deux hommes ont bien changé. Ils sont surtout très différents...
Vladlen est marié depuis longtemps mais trompe sa femme sans arrêt. Sa dernière conquête est son premier violon, Essénia, avec qui il se trouvait justement avant d'aller diriger son orchestre pour la dernière fois... Emile, au contraire, ne s'est jamais remis du départ de sa femme, parti avec un beau Portugais des années plus tôt. Il ne vit que dans l'espoir de la reconquérir.
De même, Vladlen est un artiste et l'a toujours été. A la fin des années 1980, alors qu'il arrivait à l'âge adulte, il a été recalé pour le service militaire. Emile, en revanche, a toujours affiché une prédilection pour les métiers très terre-à-terre, la gestion... Et, lui, a eu droit à un sympathique séjour organisé en Afghanistan en guise de service national, dans les derniers mois de l'invasion soviétique...
Enfin, si Vladlen n'est pas à proprement parler un patriote, s'il n'a pas choisi un camp quoi qu'on en pense après sa bévue aux allures de lapsus, Emile ne cache pas son peu d'affinités avec l'Ukraine et penche plutôt vers la Russie, où d'ailleurs, il se verrait bien aller si les choses commençaient à se détériorer.
Ensemble, à bord d'une Volga, une de ces massives automobiles, fleuron de l'industrie automobile soviétique, ils vont entamer une improbable odyssée à travers un Donbass qui va s'embraser brusquement. Ballotté entre les belligérants, au gré des changements d'une ligne de front très, très fluctuantes, des percées des uns et des autres, des bombardements, venus du sol ou des airs...
Vladlen et Emile tiennent autant d'Ulysse, chef de guerre impatient de retrouver son royaume et sa famille, et de Don Quichotte, chevalier errant à l'idéal décalé par rapport au monde qui l'entoure et souhaitant retrouver leurs Dulcinées, même si celles-ci ne les attendent pas forcément quelque part... Ils vont se retrouver au coeur du conflit, une guerre aussi violente qu'elle se révèle absurde...
Si j'osais, je dirai que cette guerre d'Ukraine a quelque chose d'ubuesque. Mais comme Ubu fut Roi de Pologne, et au vu des relations compliquées entre les deux pays tout au long de leur histoire, le qualificatif n'est peut-être pas le meilleur qu'on puisse trouver... Qu'à cela ne tienne, c'est pourtant bien cela : ubuesque. Une guerre entre frères ennemis slaves...
On sait combien les découpages de territoires et la définition de frontières ont eu de bien terribles conséquences, en Europe et sur d'autres continents. En voilà encore un exemple frappant : une partie de l'Ukraine ne se sent pas ukrainienne, mais russe, parle russe, pense russe, vit russe... On dit que le président Ianoukovytch, dont le renversement a été un déclencheur, parlait à peine la langue du pays qu'il devait diriger...
Plus encore, le Donbass semble être toujours ancré dans le passé soviétique : des statues de Lénine et d'autres dignitaire de l'URSS un peu partout, des noms de ville issus de cette culture, une nostalgie qui s'affiche volontiers... Les mines du Donbass furent un des moteurs de l'industrie soviétique, c'est là que Stakhanov réussit les exploits qui lui ont valu de voir son nom propre devenir un nom commun...
En face, l'Ukraine de Kiev lorgne clairement plus vers l'Europe occidentale. On parle de rapprochement avec l'Union Européenne et même avec l'OTAN, les ennemis damnés d'hier ! Les révolutionnaires qui ont pris le pouvoir à Kiev entendent remettre de l'ordre, dérussifier, désoviétiser le pays, rebaptiser les villes de noms ukrainiens, imposer la langue nationale à tous...
Les Ukrainiens sont donc des traîtres, des fascistes, même, aux yeux des populations russophones, russophiles. Les références à la Grande Guerre Patriotique refleurissent, car les fascistes sont à nouveau aux portes de la Russie et le Donbass se voit en nouveau Stalingrad, résistant jusqu'à la mort pour sauver la Mère Patrie...
Mais, ce n'est pas tout : parmi les défenseurs d'un Donbass indépendant devenu satellite, sans doute bientôt digéré par le voisin russe, on trouve aussi d'autres nostalgiques, d'un temps plus ancien encore : celui des tsars... L'Ukraine, pays capable de réconcilier ceux qui, lors de la Révolution de 1917, se massacrèrent allègrement !
Les voilà tous serviteurs d'une seule et même cause : la Nouvelle Russie. Nation aux frontières notablement élargies, évidemment... Ennemis d'hier se donnant la main pour redonner du lustre à un pays qui ne s'est jamais remis des changements survenus après la chute du mur de Berlin... Difficile de concilier ces vues avec celles des manifestants de Kiev, qui se rassemblèrent place Maïdan, autrement dit, place de l'Indépendance...
Enfin, dernier point, et il n'est pas des moindres, cette opposition entre Kiev et le Donbass, c'est celle des koulaks d'antan contre les mineurs. La blé contre charbon. Le blé qui, pour certains, apparaît sur le drapeau national, la bande jaune du bas, complétant la bande bleu du ciel... Mais, au Donbass, la terre est noire, gris anthracite, cela n'a rien à voir...
Au fil du livre, ce qu'on voit apparaître, ce sont deux nationalismes qui se font face. Ce mal insidieux qui gangrène de nouveau l'Europe, de l'Atlantique à l'Our... euh, au Donbass, restons à notre sujet. Deux nationalismes prêts à tout, y compris à la plus extrême des violences pour parvenir à leurs fins et s'imposer à l'adversaire...
Voilà la situation complexe dans laquelle déambulent nos deux protagonistes, croisant des partisans de chaque bord, mais aussi des habitants qui ne veulent ni sécession, ni révolution, juste une vie tranquille, sereine et, si possible, un peu meilleure sur le plan matériel... Mais, comme les autres, eux aussi vont devoir supporter les blindés, les bombardements, les exécutions sommaires, les batailles sans merci...
Le tableau est sombre, la guerre est très présente dans le roman, sous ses aspects les plus sordides. Et pourtant, la grande vadrouille de nos deux antihéros, Vladlen et Emile, prend régulièrement des allures assez comiques, de part l'absurdité de certaines situations, mais aussi parce qu'on les sent complètement largués par cette guerre à laquelle ils ne comprennent rien.
Cédric Gras s'amuse de ces deux pauvres hères qui multiplient les gaffes, les paroles malheureuses ou se retrouvent embarqués dans des situations inextricables. Qui tournent et tournent dans le Donbass en flamme, sous les bombes, sans parvenir à trouver une sortie, devenant tour à tour ennemis ou alliés, proies ou complices, victimes ou combattants...
Une triste comédie humaine qui, hélas, fait des morts qui ne se relèvent pas à la fin. Mais un périple qui permet de passer en revue toutes les factions, tous les enjeux, toutes les contradictions parfois, qui expliquent la violence du conflit et cet embrasement brutal. Aujourd'hui, rien n'est résolu dans cette région, les questions de territoires demeurent, les tensions aussi et ça reste une belle bouteille à l'encre...
Un dernier mot sur Cédric Gras, l'auteur du roman. On le connaît comme un grand voyageur, la plupart de ses livres y ont d'ailleurs trait. Mais c'est aussi quelqu'un qui sait de quoi il parle, puisqu'il a longtemps travaillé en Russie orientale avant de fonder l'Alliance Française à Donetsk, qu'il a dirigée jusqu'à ce que les événements entraînent sa fermeture.
Cette visite d'un Donbass en guerre n'est donc pas simplement une errance et la dénonciation d'une guerre ubuesque, je reprends le mot, mais aussi l'occasion sans doute pour nombre de lecteurs qui, comme moi, je le concède, avaient surtout entendu parler de Donetsk par son club de foot, le Shakhtar, dirigé par un richissime oligarque, dont le nom fait référence à la mine, évidemment...
Cette connaissance intime de la région explique peut-être que, malgré le ton qui se veut léger, parfois comique, le roman en lui-même est sombre et s'achève sur une note qui est loin, très loin, de donner de l'espoir. On ressent une inquiétude sur l'avenir, dans une région qui, désormais, a tout d'une poudrière, avec des enjeux multiples et des haines désormais très bien installées...
Vladlen, oui, oui, c'est bien son prénom, contraction de Vladimir Lénine, Vladlen, donc, est chef d'orchestre à Donetsk, la capitale de la région ukrainienne du Donbass. Epoux volage et plus concerné par les questions artistiques que les affaires politiques de son pays, les manifestations à Kiev, la destitution du président Ianoukovytch et les troubles divers qui en ont découlé...
En ce mois de mai, le Donbass, province à majorité russophone, limitrophe du grand voisin mais surtout une région minière où l'on continue à exploiter le charbon, et particulièrement l'anthracite, cette variété de minerai qui se consume lentement, est en effervescence. Dans quelques jours, se tiendront des référendums d'autodétermination.
Le choix est simple : le Donbass votera-t-il pour l'indépendance, le rattachement à la Russie, qui a déjà annexé la Crimée peu de temps auparavant ou pour le maintien dans l'Ukraine indépendante ? Cette dernière solution est plus qu'hypothétique et les tensions montent entre pro-Ukraine et pro-Russie.
C'est alors que, sur un coup de folie, Vladlen, pourtant si peu concerné par ces affaires, dirige l'hymne ukrainien alors que son orchestre joue devant un parterre pro-Russe, lors d'une cérémonie, à deux jours du vote... La réaction n'attend pas et elle est violente : les musiciens sont rudement pris à partie et Vladlen réussit à fuir in extremis.
Plus question de rester à Donetsk, mais où aller ? Difficile de quitter le Donbass, pourtant, car, s'il va vers Kiev, il risque de ne pas être très bien accueilli et il n'a aucune envie de finir en Russie... Alors, il décide de renouer contact avec son ami d'enfance, Emile, oui, écrit à la française, hommage à Zola, l'auteur de "Germinal", qui gère justement une mine...
Voilà une vingtaine d'années qu'ils ne se fréquentent plus que très occasionnellement, mais l'heure est grave. Seul Emile peut aider Vladlen et, pourquoi pas, l'aider à se sortir du pétrin dans lequel il s'est mis tout seul, par son attitude aussi bravache qu'inconsidérée... Les retrouvailles sont chaleureuses, même si les deux hommes ont bien changé. Ils sont surtout très différents...
Vladlen est marié depuis longtemps mais trompe sa femme sans arrêt. Sa dernière conquête est son premier violon, Essénia, avec qui il se trouvait justement avant d'aller diriger son orchestre pour la dernière fois... Emile, au contraire, ne s'est jamais remis du départ de sa femme, parti avec un beau Portugais des années plus tôt. Il ne vit que dans l'espoir de la reconquérir.
De même, Vladlen est un artiste et l'a toujours été. A la fin des années 1980, alors qu'il arrivait à l'âge adulte, il a été recalé pour le service militaire. Emile, en revanche, a toujours affiché une prédilection pour les métiers très terre-à-terre, la gestion... Et, lui, a eu droit à un sympathique séjour organisé en Afghanistan en guise de service national, dans les derniers mois de l'invasion soviétique...
Enfin, si Vladlen n'est pas à proprement parler un patriote, s'il n'a pas choisi un camp quoi qu'on en pense après sa bévue aux allures de lapsus, Emile ne cache pas son peu d'affinités avec l'Ukraine et penche plutôt vers la Russie, où d'ailleurs, il se verrait bien aller si les choses commençaient à se détériorer.
Ensemble, à bord d'une Volga, une de ces massives automobiles, fleuron de l'industrie automobile soviétique, ils vont entamer une improbable odyssée à travers un Donbass qui va s'embraser brusquement. Ballotté entre les belligérants, au gré des changements d'une ligne de front très, très fluctuantes, des percées des uns et des autres, des bombardements, venus du sol ou des airs...
Vladlen et Emile tiennent autant d'Ulysse, chef de guerre impatient de retrouver son royaume et sa famille, et de Don Quichotte, chevalier errant à l'idéal décalé par rapport au monde qui l'entoure et souhaitant retrouver leurs Dulcinées, même si celles-ci ne les attendent pas forcément quelque part... Ils vont se retrouver au coeur du conflit, une guerre aussi violente qu'elle se révèle absurde...
Si j'osais, je dirai que cette guerre d'Ukraine a quelque chose d'ubuesque. Mais comme Ubu fut Roi de Pologne, et au vu des relations compliquées entre les deux pays tout au long de leur histoire, le qualificatif n'est peut-être pas le meilleur qu'on puisse trouver... Qu'à cela ne tienne, c'est pourtant bien cela : ubuesque. Une guerre entre frères ennemis slaves...
On sait combien les découpages de territoires et la définition de frontières ont eu de bien terribles conséquences, en Europe et sur d'autres continents. En voilà encore un exemple frappant : une partie de l'Ukraine ne se sent pas ukrainienne, mais russe, parle russe, pense russe, vit russe... On dit que le président Ianoukovytch, dont le renversement a été un déclencheur, parlait à peine la langue du pays qu'il devait diriger...
Plus encore, le Donbass semble être toujours ancré dans le passé soviétique : des statues de Lénine et d'autres dignitaire de l'URSS un peu partout, des noms de ville issus de cette culture, une nostalgie qui s'affiche volontiers... Les mines du Donbass furent un des moteurs de l'industrie soviétique, c'est là que Stakhanov réussit les exploits qui lui ont valu de voir son nom propre devenir un nom commun...
En face, l'Ukraine de Kiev lorgne clairement plus vers l'Europe occidentale. On parle de rapprochement avec l'Union Européenne et même avec l'OTAN, les ennemis damnés d'hier ! Les révolutionnaires qui ont pris le pouvoir à Kiev entendent remettre de l'ordre, dérussifier, désoviétiser le pays, rebaptiser les villes de noms ukrainiens, imposer la langue nationale à tous...
Les Ukrainiens sont donc des traîtres, des fascistes, même, aux yeux des populations russophones, russophiles. Les références à la Grande Guerre Patriotique refleurissent, car les fascistes sont à nouveau aux portes de la Russie et le Donbass se voit en nouveau Stalingrad, résistant jusqu'à la mort pour sauver la Mère Patrie...
Mais, ce n'est pas tout : parmi les défenseurs d'un Donbass indépendant devenu satellite, sans doute bientôt digéré par le voisin russe, on trouve aussi d'autres nostalgiques, d'un temps plus ancien encore : celui des tsars... L'Ukraine, pays capable de réconcilier ceux qui, lors de la Révolution de 1917, se massacrèrent allègrement !
Les voilà tous serviteurs d'une seule et même cause : la Nouvelle Russie. Nation aux frontières notablement élargies, évidemment... Ennemis d'hier se donnant la main pour redonner du lustre à un pays qui ne s'est jamais remis des changements survenus après la chute du mur de Berlin... Difficile de concilier ces vues avec celles des manifestants de Kiev, qui se rassemblèrent place Maïdan, autrement dit, place de l'Indépendance...
Enfin, dernier point, et il n'est pas des moindres, cette opposition entre Kiev et le Donbass, c'est celle des koulaks d'antan contre les mineurs. La blé contre charbon. Le blé qui, pour certains, apparaît sur le drapeau national, la bande jaune du bas, complétant la bande bleu du ciel... Mais, au Donbass, la terre est noire, gris anthracite, cela n'a rien à voir...
Au fil du livre, ce qu'on voit apparaître, ce sont deux nationalismes qui se font face. Ce mal insidieux qui gangrène de nouveau l'Europe, de l'Atlantique à l'Our... euh, au Donbass, restons à notre sujet. Deux nationalismes prêts à tout, y compris à la plus extrême des violences pour parvenir à leurs fins et s'imposer à l'adversaire...
Voilà la situation complexe dans laquelle déambulent nos deux protagonistes, croisant des partisans de chaque bord, mais aussi des habitants qui ne veulent ni sécession, ni révolution, juste une vie tranquille, sereine et, si possible, un peu meilleure sur le plan matériel... Mais, comme les autres, eux aussi vont devoir supporter les blindés, les bombardements, les exécutions sommaires, les batailles sans merci...
Le tableau est sombre, la guerre est très présente dans le roman, sous ses aspects les plus sordides. Et pourtant, la grande vadrouille de nos deux antihéros, Vladlen et Emile, prend régulièrement des allures assez comiques, de part l'absurdité de certaines situations, mais aussi parce qu'on les sent complètement largués par cette guerre à laquelle ils ne comprennent rien.
Cédric Gras s'amuse de ces deux pauvres hères qui multiplient les gaffes, les paroles malheureuses ou se retrouvent embarqués dans des situations inextricables. Qui tournent et tournent dans le Donbass en flamme, sous les bombes, sans parvenir à trouver une sortie, devenant tour à tour ennemis ou alliés, proies ou complices, victimes ou combattants...
Une triste comédie humaine qui, hélas, fait des morts qui ne se relèvent pas à la fin. Mais un périple qui permet de passer en revue toutes les factions, tous les enjeux, toutes les contradictions parfois, qui expliquent la violence du conflit et cet embrasement brutal. Aujourd'hui, rien n'est résolu dans cette région, les questions de territoires demeurent, les tensions aussi et ça reste une belle bouteille à l'encre...
Un dernier mot sur Cédric Gras, l'auteur du roman. On le connaît comme un grand voyageur, la plupart de ses livres y ont d'ailleurs trait. Mais c'est aussi quelqu'un qui sait de quoi il parle, puisqu'il a longtemps travaillé en Russie orientale avant de fonder l'Alliance Française à Donetsk, qu'il a dirigée jusqu'à ce que les événements entraînent sa fermeture.
Cette visite d'un Donbass en guerre n'est donc pas simplement une errance et la dénonciation d'une guerre ubuesque, je reprends le mot, mais aussi l'occasion sans doute pour nombre de lecteurs qui, comme moi, je le concède, avaient surtout entendu parler de Donetsk par son club de foot, le Shakhtar, dirigé par un richissime oligarque, dont le nom fait référence à la mine, évidemment...
Cette connaissance intime de la région explique peut-être que, malgré le ton qui se veut léger, parfois comique, le roman en lui-même est sombre et s'achève sur une note qui est loin, très loin, de donner de l'espoir. On ressent une inquiétude sur l'avenir, dans une région qui, désormais, a tout d'une poudrière, avec des enjeux multiples et des haines désormais très bien installées...