Des les années 1970, des dizaines, voire des centaines de personnes – surtout des Japonais, mais aussi des Européens – ont été enlevées et amenées à Pyongyang. Les personnes kidnappées devaient enseigner leur langue maternelle et les coutumes de leur pays aux futurs espions nord-coréens. D'autres recevaient un enseignement pour devenir eux-mêmes des espions.
Les faits sont avérés. Éric Faye s'en est emparé pour créer un roman choral où plusieurs destins se croisent et s'entrecroisent. Parmi ces destins, il y a entre autres celui d'un caporal américain, celui d'une collégienne japonaise de treize ans, celui d'un archéologue japonais, celui d'une future infirmière japonaise. Rapidement, les autorités japonaises baissent les bras. Les affaires sont classées et les familles abandonnées à leur sort. On cesse de parler des disparus.
La première partie du roman présente plusieurs cas de disparition survenue dans les années 1970. La deuxième porte plus précisément sur certains de ces cas. Dans la troisième partie, le mystère commence à se dissiper grâce à un fonctionnaire des services de renseignement japonais chargé de visionner des films de propagande nord-coréens. L'apparition, dans un de ces films, d'un Américain qui joue le rôle du méchant Américain soulève des doutes. Une enquête commence. Vingt-cinq ans plus tard, un journaliste ressort l'affaire… Les Japonais enlevés commencent à réapparaître.Sans la générosité d'une de mes bonnes fées, je n'aurais jamais lu ce roman d'Éric Faye et mon ignorance de cet épisode méconnu de l'Histoire aurait été complète. Si les faits racontés dans Éclipses japonaises sont passionnants, leur agencement m'a semblé décousu, tarabiscoté. Le style d'Éric Faye est trop lisse et factuel à mon goût, ce qui empêche l'émotion de passer.Éric Faye s'est bien documenté. Il a brodé, fictionnalisé autour de ces personnes kidnappées. Son roman m'a appris, m'a donné à voir, mais ne m'a jamais donné à comprendre. Il manque de chair autour de l'os... Une fois le roman terminé, tout de même intriguée, j'ai fait une petite recherche et suis tombée sur un article d'Ursula Gauthier publié dans le Nouvel Observateur. Là, j'ai pu comprendre dans le détail le pourquoi du comment!Et plus succinctement, dans
Le Figaro:Lorsqu'en 1953 la Corée a été coupée en deux, au niveau du 38e parallèle, après une guerre meurtrière, aucun armistice n'a été signé. La Corée du Nord est restée en état de guerre virtuelle avec celle du Sud, le Japon et les États-Unis, en cultivant sa singularité sur le terreau d'une hystérie guerrière, en se fossilisant en une gigantesque secte de 23 millions d'habitants. Tous les contacts avec le monde extérieur étaient coupés, l'URSS et la Chine s'étaient érigés en «protecteurs» de ce régime dantesque. En 1976, KimJong-il, le «prince héritier» de Kim Il-sung, décidait de moderniser ses services d'espionnage: il lui fallait des professeurs de langues étrangères, pour que ses espions puissent se fondre dans le paysage qui avait tant changé, en Occident. Les Nord-Coréens enlevèrent donc à tour de bras, au hasard, des femmes, des enfants, des couples, une mère et sa fille revenant de faire leurs courses… François Hauter, «Les captives étrangères de la Corée du Nord», 21 avril 2008.Par ailleurs, peu familière avec de la culture asiatique, je me suis emmêlée les pinceaux à plusieurs reprises avec le nom des personnages. Qui parle? C'est qui lui, déjà? C'était quoi son histoire? Je me suis aussi perdue dans le temps: on est rendu en quelle année, là? Bref, c'était ardu, alors que j'avais vraiment envie que ça ne le soit pas! Éclipses japonaises, Éric Faye, Seuil, 240 pages, 2016.★★★★★© Jérémie Souteyrat