La Déconfiture – Première partie (Pascal Rabaté – Editions Futuropolis)
Nous sommes en juin 1940, quelque part dans la campagne française. La débâcle est totale. Alors que rien ne semble pouvoir stopper l’armée allemande dans sa course folle vers Paris, l’armée française paraît complètement désorganisée. Perdus au milieu des milliers de civils qui fuient les bombardements en même temps qu’eux, les soldats français sont dépassés et impuissants. En attendant, les avions allemands continuent à bombarder tout le monde, les civils comme les militaires, et la route est jonchée de cadavres. Amédée Videgrain, un soldat du 11ème régiment, est chargé par son supérieur hiérarchique de veiller sur ses camarades soldats morts, en attendant que la Croix-Rouge vienne les récupérer. L’attente dure de longues heures. Au moment de repartir, Videgrain se rend compte qu’une balle a percé le réservoir de sa moto. Impossible donc de rejoindre son régiment… Pour le soldat, qui est enseignant dans le civil et qui rêve de retourner au plus vite auprès de sa chère et tendre Juliette, c’est le début d’un étrange périple à travers un pays en guerre. Une chose est sûre: Videgrain ne semble pas spécialement impatient de retrouver son régiment. D’ailleurs, il commence par s’arrêter pour casser la croûte avec trois soldats du 35ème, transformés en croque-morts malgré eux. Plus le temps de déplacer les cadavres, désormais on les enterre directement. Videgrain est rejoint ensuite par André, un soldat du 65ème qui a lui aussi perdu ses camarades. Les deux compagnons d’infortune décident de faire route ensemble. Au milieu d’une France complètement déboussolée, Amédée et André vont devoir apprendre l’art de la débrouille.
On le sait: Pascal Rabaté a le sens du dialogue et de l’observation. L’auteur des « Petits Ruisseaux » et de « La Marie en plastique » le démontre une nouvelle fois dans « La Déconfiture ». En choisissant de se concentrer sur le cas particulier du soldat Videgrain et des personnes qu’il croise sur son chemin, l’auteur français nous fait vivre de l’intérieur cet épisode historique dramatique qu’est la débâcle française de juin 1940. Du coup, la leçon d’Histoire devient passionnante, car elle s’intéresse véritablement au vécu des hommes et des femmes plutôt que de se limiter à des simples faits et chiffres. Comme l’explique Rabaté lui-même dans une interview sur France Inter, il aime s’intéresser aux destins de ceux qui traversent l’Histoire sur des chemins parallèles. Dans ce cas-ci, son point de départ a été la lecture d’un livre d’Yves Gibaud, dans lequel un soldat un peu similaire à Videgrain s’interroge sur le fait de participer à la guerre ou non. Par la suite, Pascal Rabaté a lu une série d’autres livres pour préparer son scénario. Il a revu aussi des films comme « Le Train » de Pierre Granier-Deferre ou « Jeux interdits » de René Clément. Mais au final, c’est bien sa vision de la débâcle qu’il nous livre. Son style est à la fois sobre et juste, tant au niveau des dialogues, qui vont à l’essentiel, que des dessins en noir et blanc, qui remplacent souvent les mots pour traduire le sentiment de résignation qui habitait alors les soldats et les citoyens français. Sans jamais en faire trop, Rabaté utilise habilement certaines scènes a priori anecdotiques, mais qui lui permettent de dire beaucoup de choses en seulement quelques cases. C’est le cas lorsque Videgrain croise deux bonnes soeurs en godillots de l’armée, par exemple, ou lorsque’Amédée et André, qui se sont déshabillés pour se baigner dans la rivière, font signe à un autre baigneur, avant de se rendre compte qu’en réalité, il s’agit d’un soldat allemand. La première partie de « La Déconfiture », qui en comptera deux au total, est donc une vraie réussite. De quoi donner lieu peut-être à une future adaptation au cinéma, Pascal Rabaté ayant réalisé lui-même le film tiré de sa BD « Les Petits Ruisseaux ».