Paul Katrakilis, le narrateur, vit à Miami depuis plusieurs années, depuis qu’il a rompu tout lien avec son père, médecin à Toulouse, dernier membre de sa famille. Il s’est fait une place dans le monde des joueurs professionnels de pelote basque, sa passion et son métier, après avoir abandonné la médecine, cause de son désaccord avec son géniteur. Il vit en Floride une sorte de bonheur, qu’on devine très vite fragile.
Ah ! Ces familles ! Que n’en disent pas les écrivains ! Il faut aussi admettre que chez les Katrakilis, c’est un peu spécial outre le fait que le petit Paul semblait être la cinquième roue du carrosse. Tout le monde vivait dans la grande demeure de Toulouse, le grand-père, le père et la mère de Paul, et le frère de la mère. Le grand-père, Spyridon Katrakilis, un ancien médecin de Staline, se serait enfui d'URSS avec dans ses bagages une lamelle du cerveau du petit père des peuples, ce qui nous vaut un savoureux chapitre sur l’autopsie de Staline ! Il y a aussi l'oncle Jules, et la mère, Anna, qui ont vécu comme mari et femme dans la maison familiale, heu… ? Quant à Adrian Katrakilis, le père, Paul vient d’apprendre son décès et il doit rentrer en France pour s’occuper de la succession. Notons aussi que toutes ces personnes sont décédées par suicide ! Une malédiction familiale ?
Au moins, la couverture du livre ne trompe pas sur son contenu : le titre dit bien de quoi il est question et la photo fait la part belle au jeu de pelote basque. Si vous n’êtes pas familiers de ce sport et de ces « types aux mains d’osier » vous allez pouvoir combler cette lacune, rien ne vous sera caché (épargné ?) de sa pratique à Miami, des people ou des vulgaires qui parient sur les matches, des grandes grèves historiques qui opposèrent les joueurs aux organisateurs… Mais après tout, on n’en sait jamais assez. Je m’attarde sur cet angle du roman, car c’est une composante de l’écriture de Jean-Paul Dubois, il digresse (beaucoup ?), on s’étonne souvent de voir la large place donnée à certains évènements apparemment mineurs au détriment d’autres plus forts en émotions ou développements qui pousseraient à la réflexion ; et pourtant, ces sensations de lecture en cours aboutissent, in fine, à donner du corps (et du cœur) à l’ouvrage. Jean-Paul est de ce bois d’écrivains qui par petites touches discrètes vous tissent des décors crédibles et des personnages ordinaires cachant des aspects peu ordinaires.
Paul aura donc une triste vie, ponctuée de petits moments de bonheur : son copain de pelote à Miami, un chien sauvé des eaux, une Norvégienne beaucoup plus âgée que lui ; par ailleurs, sa découverte dans les papiers de son père, de deux carnets Moleskine, lui fera reconsidérer ce père qu’il avait toujours vu comme « un bloc massif d’indifférence ». Il reprendra même durant plusieurs années, l’activité de médecin en rouvrant le cabinet du père. Mais tout roman a une fin et chez les Katrakilis elle est connue d’avance.
Un joli roman, sans esbroufe dans l’écriture ou les sujets abordés. Il y est beaucoup question de mort, de celle que l’on se choisit, de celle que certains peuvent donner à d’autres pour les soulager de leur souffrance extrême. Jean-Paul Dubois est un élégant, dans l’écriture comme dans les sentiments qui se dégagent de son ouvrage doux amère, ce que les habitués de l’auteur ne seront pas étonnés de retrouver ici.
« Enfant, je grandis donc devant Spyridon qui marinait devant sa tranche de cervelet, un père court vêtu vivant comme un célibataire, et une mère quasiment mariée à son propre frère qui aimait dormir contre sa sœur et devant les litanies de la télévision. Je ne savais pas ce que je faisais parmi ces gens-là et visiblement, eux non plus. (…) Le plus étrange, c’est que la mort traversa à plusieurs reprises notre maison et les survivants s’en aperçurent à peine, la regardant passer comme une vague femme de ménage. »