À force de se méfier de l’eau qui dort…, un texte de Myriam Ould-Hamouda

Par Chatquilouche @chatquilouche

« À force de se méfier de l’eau qui dort, il y a une flopée de mecs qui vont se réveiller un matin devant un fleuve tari. Et le visage creusé de ridules, la tignasse laiteuse et la barbe de trois éternités au mois, ils se mordront leurs doigts trop maigres de n’avoir pas été prévenus qu’au fond il n’y avait rien du tout, que la rivière n’est jamais sortie de son lit pour leur faire du mal, mais qu’elle a fini par se tirer comme elle s’ennuyait sous leur regard étouffant ; et qu’en plus, la garce, elle a embarqué avec elle la fougue de leur vingt ans. Je n’ai plus tout à fait vingt ans, mais des dents encore assez solides pour croquer la pomme à pleines dents ; le fleuve tari ça fait un bail que je le devine, pourtant je passe mon temps à me méfier de l’eau qui dort. À me raconter tout un tas d’histoires sur la berge, quand j’voudrais y laisser mes fringues et plonger tête la première en me foutant de ce qu’il y a en bas, juste pour réveiller cette eau qui dort ce désir que j’y noie et tous ces mecs autour, qui ronflent si fort que je ne trouve jamais le sommeil, mais qui me grondent parce que je m’agite dans le lit.

À chaque fois que ma mémoire sait oublier le nom des capitales, des théorèmes, des chefs militaires, le visage des gentils, des méchants, de ces mecs que je croise chaque matin dans la rue mais sur lesquels mon regard ne se pose jamais vraiment ; comme il s’échine à te chercher sous leur pas lourd, derrière ces plaques qui portent tous ces noms, tous ces visages qui ne sont jamais les tiens. À force de se méfier des mots, des apparences, y’a une flopée d’histoires que personne n’écrit plus, de corps qui n’exultent jamais mais flétrissent dans un bain brûlant en attendant que la raison remonte à la surface ; et, quand elle flottera enfin, qu’ils l’auront agrippée si fort qu’ils se seront entaillé la paume de la main, ils patienteront en disant même pas mal le temps que la baignoire se vide, en se méfiant de l’eau qui dort, en priant presque pour que le siphon aspire leur crasse et leurs envies avec elle. J’ai pris tellement de bains en espérant y oublier un peu le reflet de tes yeux, que je ne sais même plus ce que pouvait bien sentir cette chair vermeille et bouffie avant d’empester les regrets.

Et à force de me méfier de l’eau qui dort, je n’ai pas vu comme depuis toi le fleuve n’est pas près de tarir. »

Notice biographique

Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.  C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.  Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)