Résumé :
« Bruno Labastide est venu s’installer à Venise, dans le quartier de Dorsoduro, au terme d’une vie bien remplie durant laquelle il n’a cessé de parcourir le monde. Cela fait bien un an qu’il y réside, lorsqu’un jour, il voit une jeune Japonaise d’une beauté stupéfiante passer devant le café où il a ses habitudes. C’est le coup de foudre. Mais cette dernière, Keiko, ne lui concédera une nuit d’amour que s’il parvient à l’émouvoir avec un poème ou une histoire… Mais par laquelle commencer ? »
Mon avis :
Je tiens tout d’abord à remercier Babelio et les éditions Presses de la Cité qui m’ont envoyé ce livre dans le cadre d’une masse critique privilégiée. Je ne sais pas si j’aurai acheté ce livre, en tombant dessus par hasard dans une librairie. La couverture ne donne aucun indice sur ce que l’on va trouver à l’intérieur. De plus, je n’ai pas l’habitude de lire des œuvres d’auteurs hispaniques. Sans cette masse critique, je serais sûrement passée à côté de ce magnifique chef d’oeuvre.
Ce livre n’est pas banal. Il ne raconte pas une mais plusieurs histoires. Ces récits sont en fait rédigés par Bruno Labastide dans le but de charmer Keiko, une jeune japonaise aux yeux couleur miel. Cette jeune femme s’offre toutes les nuits à une personne différente, celle qui aura su la séduire par les mots. Elle reçoit de nombreuses lettres chaque jour et en choisit une. Le rêve de Bruno est d’écrire l’histoire parfaite, celle qui fera chavirer le coeur de la jolie Keiko. Ce livre regroupe donc ses diverses tentatives. Les récits sont variés, ils se déroulent en Argentine, en Suisse, ont pour protagoniste un commentateur sportif, un serveur, un prescripteur de livres ou un chasseur de rêve. Mais il existe bien un point commun entre toutes ces histoires : elles sont très touchantes. Bruno tente de toucher la corde sensible de la jeune femme et ses tentatives ne resteront peut-être pas vaines, qui sait ?
Vient le moment où la solitude est si profonde qu’elle t’imbibe les os et te pénètre comme l’humidité des ruelles de la Sérénissime dans la rosée d’un petit matin de janvier, un froid atroce qui te dévore les entrailles, paralyse ta parole et t’engourdit les doigts. Un froid misérable qui t’empêche de respirer et transforme ton visage celui d’un clown pathétique qui pleure sans cesse, des larmes qui deviennent glace, des cils qui ne sont plus que givre. Et l’âme qui grince, comme la membrure d’un galion qui coule dans la tempête. Et l’angoisse qui t’étouffe.
J’ai été époustouflée par ce livre. Dès la première phrase. L’auteur a vraiment une plume unique qui, bien que légère et fluide, nous fait passer par des tas d’émotions intenses. J’ai ri, j’ai pleuré, j’ai angoissé. Bref, j’ai ressenti des émotions qui semblaient tellement réelles que seul le fait de tourner les pages pouvait me rappeler que je lisais et que la scène ne se déroulait pas sous mes yeux. Quand on se dit que c’est seulement le premier roman de cet auteur, on ne peut qu’affirmer que Natalio Grueso est un prodige de la littérature. Il y a tellement de citations que j’aurai voulu partager avec vous, mais cela vous aurait dévoilé la nature de toutes ces histoires!
Sa foi en l’homme, une foi qu’à vrai dire il n’avait jamais éprouvée, se dissolvait comme un morceau de sucre dans du café.
D’ailleurs, parlons en de ces histoires. Si après avoir refermé ce livre je peux dire haut et fort que je les ai trouvé magnifique, j’avoue qu’au début j’étais un peu déconcertée. Nous venions de faire la connaissance de Bruno et de Keiko et soudainement, nous étions parti à la découverte du « Prescripteur » en Argentine. Je me suis dit qu’après ce récit, nous aurions les impressions de Keiko. Mais non, nous étions reparti pour un second récit. Puis un troisième. Puis encore un autre, etc etc. Au début je ne comprenais pas trop où cela allait nous mener, je me demandais même si nous allions revoir Keiko et Bruno! Mais j’ai ensuite compris que les récits montaient en intensité. Chacun était plus touchant ou plus intéressant que le précédent. On assiste en fait au développement de la plume de Bruno et on attend uniquement qu’il écrive LE recit qui séduira Keiko bien que nous, lecteurs, avons été séduits il y a déjà bon nombre de pages! Je pensais que ce livre était décousu mais je me suis trompée et j’ai vite regretté mes appréhensions du début!
Je ne saurais pas dire quelle histoire j’ai préférée. Les deux dernières m’ont particulièrement touchée pourtant elles ne se ressemblent pas du tout. L’avant-dernière essaie de nous montrer tout ce qu’il y a de bon en ce monde et j’avoue que le coup de l’étui à cigarette m’a fait verser ma petite larme! Quant à la dernière, elle résonne particulièrement avec l’actualité et je me demande qui ne pourrait pas être touché par cette histoire, qui n’aurait pas envie de pleurer en la lisant.
Ces deux histoires m’ont obligé à sortir mes mouchoirs et sont donc sûrement celles qui m’ont fait ressentir les plus vives émotions. Mais les autres histoires ne sont pas moins bien pour autant. Elles sont différentes, sûrement un peu plus joyeuse (quoique). Celle du prescripteur m’a vraiment intéressée car le personnage principal, Horatio, est vraiment intrigant. Oh, et pendant que je vous écris cette chronique, l’histoire de Ricardo me revient en tête. Celle-ci aussi est particulièrement émouvante (de toute façon, dès qu’on aborde le sujet des grands-parents, je deviens ultra-sensible!). Vous voyez donc à quel point c’est dur de choisir le plus beau récit de Bruno. Ils ont tous un petit quelque chose.
La simple idée d’un personnage mystérieux qui va de village en village et arpente la montagne pour faire le bien, en cherchant des personnes tristes ou fatiguées et des pauvres maltraités par la vie afin de réaliser l’un de leurs rêves, même un seul, me semblait receler une merveilleuse justice poétique. Et si un tel personnage existait, je voulais le rencontrer.
Quant à la fin de ce livre, elle est très prévisible. En même temps, si ce livre s’était terminé d’une autre façon je pense que j’aurai été vraiment très déçue!
En fait ce livre est assez étrange en lui-même puisque nous avons deux personnages principaux, Bruno et Keiko, et nous ne savons à peu près rien d’eux (on ne connaît pas le vrai du faux dans les histoires de Bruno). Cependant ce n’est absolument pas dérangeant. J’ai trouvé ça un peu déroutant au début mais j’ai réalisé que si nous ne savions rien sur Bruno et Keiko c’est parce qu’eux mêmes ne savent rien l’un de l’autre. Ce n’est qu’au travers des différentes histoires qu’ils vont apprendre à se connaître.
Ce qui rend les êtres humains profondément malheureux, c’est la capacité absurde qu’ils ont à anticiper leurs souffrances ; nous nous inquiétons de notre avenir alors que nous ne sommes même pas sûrs qu’il nous reste quelques heures à vivre.
Je ne suis pas une spécialiste de la « morale », je veux dire que je ne suis pas la plus douée pour trouver le message caché d’un auteur au travers de son livre. En revanche, cette fois-ci, j’ai eu l’impression que tout ce livre avait pour seul et unique but de nous faire aimer la vie. Dit comme ça, c’est niais, mais pourtant c’est vrai. Du moins, c’est ce que je retiendrais de ce livre.
En bref, ce livre est une pépite de cette rentrée littéraire 2016. Il nous fait passer pas une dense palette d’émotions et on ne peut pas sortir indemne de cette lecture, j’en suis certaine. Les nombreux récits enchâssés associés au style d’écriture totalement addictif de l’auteur nous font passer un agréable moment loin de la réalité.
Si je ne mets pas 20/20, c’est uniquement à cause des doutes que j’ai eu au début. S’ils se sont vite effacés, ils m’ont tout de même empêché de profiter pleinement des premières pages.
Note : 19/20
Si, dans l’implacable loterie des vertus, la nature avait été généreuse avec toi, si elle t’avait béni en t’accordant la beauté et la grâce ou bien condamné à cette terrible peine qu’est la vulgarité, cela importait peu. En ce lieu, seuls comptaient les mots, le vers écrit, le sentiment épanché sur le papier.