Ne croyez pas que je crache dans la soupe, car, si vous lisez ces mots, c'est bien grâce à internet. Mais, notre roman du jour est une charge, un vrai pamphlet visant l'ère numérique, son hégémonie grandissante et ses conséquences sur nous, qui nous trouvons aux terminaux des prétentieux... "Où la lumière s'effondre", de Guillaume Sire, publié chez Plon, est un court roman dont le ton et le cynisme apparaîtront peut-être dérangeants à certains lecteurs. Mais, au-delà de cela, au-delà même de l'histoire, c'est ce que nous dit Guillaume Sire de la modernité imposée par le numérique, de son influence sur les relations humaines et jusqu'aux sentiments, sans oublier, à travers la Silicon Valley, centre névralgique de cette nouvelle révolution industrielle, un certain rêve américain... Et vous, que feriez-vous si internet disparaissait, brusquement ?
Paul Mercier et Robin Valéry sont des amis d'enfance. Issus de milieux différents, ayant grandi à Toulouse dans des familles aux philosophies différentes, ils sont bien vite devenus inséparables. Et plus encore, lorsque Robin a offert à Paul sa première calculatrice. Leur avenir était désormais tracé : ces enfants des années 80 se consacreraient à l'informatique.
Des années plus tard, les deux amis ont quitté la Ville Rose pour s'installer en Californie, dans cet endroit légendaire qui rassemble des génies venus du monde entier : la Silicon Valley. Leur duo a marqué son époque par leur créativité qui a surfé sur le développement d'internet. On leur doit la conception de sites ayant marqué leur époque.
Dans le microcosme, Paul et Robin sont au même niveau que des Mark Zuckerberg, des Larry Page, des Sergueï Brin ou des Marissa Mayer, autant de personnalités qu'ils connaissent et côtoient. Avec qui ils sont en affaire, aussi, car ils revendent régulièrement à prix d'or les sites qu'ils ont lancés et qui connaissent un grand succès à travers le monde.
Pourtant, Paul Mercier a changé. Depuis sa rencontre avec Julia, une jeune femme au fort tempérament, pleine d'idéaux et capable de tout pour les défendre, il considère la poule aux oeufs d'or d'un autre oeil. Au point d'avoir mis au point un projet baptisé Pandora, dont l'objectif est simple : détruire purement et simplement internet.
Robin est au courant de ce projet mais n'a pas voulu s'y associer. Mais, il ne s'y est pas non plus opposé. A moins que... En effet, lorsque le livre commence, Robin est penché sur le corps de son ami qu'une balle vient de frapper. On est en pleine rue, à San Francisco, et, si Paul respire encore, il est à craindre que la blessure puisse s'avérer mortelle...
Alors que Paul est transporté à l'hôpital et que l'enquête de police commence, menée par un flic plus british qu'américain, l'agent Malone, Robin raconte. Leur vie, professionnelle et familiale, leur ascension, leurs réussites, le projet Pandora, mais aussi quelques éléments sur la tentative de meurtre, qu'il entend venger.
Mais, le récit de Robin, à la première personne, est froid, clinique, presque monocorde. On est frappé par le peu de sentiment qui se dégage de cette confession. A vrai dire, Robin en devient même assez effrayant au fil des pages et des événements. Un personnage presque robotisé, dépourvu d'affect, porté par un réalisme glaçant et un pragmatisme à toute épreuve.
Se dessine progressivement un regard très perturbant sur l'amitié qui lie Paul et Robin. Le fait de n'avoir qu'un unique point de vue renforce ces impressions, puisqu'on n'a pas celui de Paul, qui pourrait contrebalancer ou infirmer le discours de Robin. Et, là encore, l'amitié vue par Robin déroute, dérange, inquiète...
On voit deux garçons doués qui lient leurs destins. Mais, là où Paul apparaît brillant, charismatique, populaire, Robin, lui, semble constamment en retrait, effacé, discret, fourmillant d'idées et de projets mais préférant l'ombre à la lumière. On a deux revers d'une même médaille, deux personnalités qui se complètent et un lien bizarre...
Il y a quelque chose de symbiotique dans ce que nous montre Robin. Comme si Paul ne pouvait vivre sans lui, comme si lui ne pouvait vivre dans Paul. Pourtant, au fil du récit, on se demande si la première partie est aussi juste que la seconde... Parce que l'on voit justement Paul s'émanciper, voler de ses propres ailes, se consacrer à Julia plus qu'à Robin...
Chez Robin, on ressent un mélange d'admiration et de jalousie, non, plus qu'un mélange, une émulsion de ces deux sentiments. Sans oublier la haine. Une haine farouche, seul véritable sentiment que revendique Robin. Et cette haine, c'est vers Julia qu'elle se concentre. Celle par qui est venue le changement, la remise en cause de la relation fusionnelle entre les deux amis.
Ce que le lecteur ressent, lui, c'est la véritable dépendance de Robin envers Paul, bien qu'il s'en défende. Et cette situation prend un tour plus oppressant encore avec les événements se déroulant en ouverture du roman : on a tiré sur Paul, mais pas sur Robin, qui était pourtant juste à côté de lui. Et c'est Paul qui souhaite détruire internet, pas Robin...
Alors, se pourrait-il que Robin soit à l'origine de l'attentat qui a visé son meilleur ami, son alter ego ? La question se pose, en tout cas, l'agent Malone s'interroge sérieusement et ne le lâche pas. Mais, Robin Valéry, s'il est un coupable crédible, n'est pas le seul : si le secret autour du projet Pandora a été brisé, alors, ce sont tous les pontes de la Silicon Valley qui ont de sérieuses raisons de vouloir tuer Paul...
Bien sûr, l'avancée de l'enquête, les éléments permettant de cerner le tireur et ses motivations, peut-être ses commanditaires, est un des moteurs du roman. Mais, au-delà de cette intrigue, c'est tout le contexte qui est remarquable et très intéressant. Et, là encore, la personnalité inquiétante de Robin nous la sert sur un plateau d'argent, avec un cynisme qu'il assume entièrement.
Un regard cru, violent, sur la sphère internet. Pas uniquement sur le plan économique, avec les milliards qu'elle brasse, mais aussi sur le plan sociétal, sur les changements qu'elle impulse dans les relations entre les personnes. Et Robin sait parfaitement de quoi il parle : il est l'exemple parfait de sa propre démonstration.
Il ne regarde le monde qu'à travers un écran. Mais pas seulement le monde, l'autre, aussi, l'humain. Et l'écran, c'est forcément un prisme déformant. Tous les liens qu'il entretient avec l'autre, à l'exception de celui qui l'unit à Paul, sont dénués de sentiment. Marié et père, il considère sa famille avec un recul presque surpris, mais qui semble exclure le sentiment amoureux qui devrait primer.
En fin de roman, lorsque Robin nous parlera de sa famille, pas celle qu'il a fondée, celle dont il est issue, on se dira que l'internet n'est peut-être pas la cause de tout cela. Mais, c'est un accélérateur, de toute évidence. Asocial, déphasé, intuitif et capable de susciter des tendances lourdes qu'il impose par les sites qu'il crée, Robin est une espèce de démiurge dont le bien commun est le cadet des soucis.
Google, Facebook, Twitter, Wikipédia, mais aussi d'autres sites moins populaire, comme Chatroulette, par exemple, sont dans le viseur d'un Robin qui ne dénonce pas les travers de l'internet mais semble presque s'en amuser. Lui-même apparaît comme un utilisateur de ces sites, et c'est comme si c'était un dealer qui serait aussi junkie qui s'exprimait.
Mais, ce qu'il en dit est carrément effrayant. Prenons Wikipédia, qui "a détruit les compétences" et abouti à ce que "n'importe qui devienne un référent à propos de n'importe quoi". Les autres géants de la sphère ont droit à ce même genre de discours qui, s'il était tenu sur un autre ton que celui, presque monocorde et détaché de Robin, serait perçu comme un avertissement.
Ici, c'est autre chose : c'est trop tard. Ce que Robin décrit, c'est le résultat de son travail de fond, et il n'en semble pas peu fier. La révolution internet a bouleversé la donne sur le plan des relations humaines, mais n'a rien amélioré, bien au contraire. Oui, le projet initial était magnifique, sur le papier, dans la réalité, c'est en train de devenir "le Meilleur des Mondes" et "1984".
L'utopie numérique était belle, une Abbaye de Thélème à l'échelle mondiale, sans gouvernement, sans règle, ni cadre, ni hiérarchie... Mais, dans les faits, tout cela a vite été balayé par une réalité toute autre et l'utopie rabelaisienne est devenue un Léviathan de Hobbes. Je me rends compte, soudain, que j'ai choisi sans le faire exprès, deux références à forte connotation religieuse.
Mais, justement, redonnons la parole à Robin, qui voit en Paul un Dieu au coeur de la Silicon Valley. Un Dieu qui, en voulant détruire sa créature, internet, devient l'ennemi de ses propres fidèles qui ne se détourneront jamais du culte qui a pris une part importante dans sa vie... Là encore, on a matière à réflexion, indépendamment du livre, mais en rapport avec nos propres comportements...
Eh oui, la question centrale qui nous est posé, par Robin, mais à travers lui, par Guillaume Sire, c'est : seriez-vous prêt à renoncer à internet ? Et que deviendriez-vous si internet disparaissait ? Ah... Introspection... Remise en cause de ce qui est devenu un mode de vie... Et mise en évidence d'un fait, la dépendance qui nous relie, en tout cas pour pas mal d'entre nous, à ce qui n'est plus seulement un outil...
Oui, Robin est tenaillé par sa dépendance envers Paul, mais nous, internautes, personnes fréquentant les réseaux sociaux, blogueurs, lecteurs numériques, pratiquants de hobbys divers et variés, nous sommes tous devenus dépendant de ces autoroutes de l'information où nous circulons presque les yeux fermés, qui nous enchaînent à nos écrans.
Peut-être est-ce aussi ce qui nous trouble, dans le regard cynique, goguenard, qu'affiche Robin : car c'est bien à nous qu'il s'adresse, c'est de nous qu'il se moque, en se vantant de ce qu'il nous a fait. Un marionnettiste potache mais abreuvé d'un pouvoir immense qui nourrit un ego gigantesque. La timidité et la réserve de Robin ne lui épargne pas cette faiblesse humaine qu'est la mégalomanie...
La lecture de "Où la lumière s'effondre" a fait écho dans mon esprit à celle d'un autre roman évoqué sur ce blog : "La théorie de l'information", d'Aurélien Bellanger. Le point de départ est assez proche, les développements divergent nettement, mais, au final, n'a-t-on pas dans ces deux regards autour du développement numérique les mêmes interrogations, les mêmes craintes, les mêmes critiques ?
Aurélien Bellanger partait d'un personnage bien réel, Xavier Niel, fondateur de Free, et je me suis aussi posé la question (à laquelle je n'ai pas de réponse) à propos de Paul et Robin. Guillaume Sire a-t-il créé de toutes pièces ces deux personnages ou s'est-il inspiré de parcours réels pour construire son raisonnement ?
Autour de nos deux Toulousains, gravitent le gratin de la Silicon Valley et des géants du secteur numériques. Certains interviennent directement dans le cours de l'histoire, d'autres sont simplement évoqués, mais tous ont droit à quelques piques appuyées de la part de Robin, qui n'épargne décidément personne.
Alors, où se trouve l'essentiel, dans tout ça ? Dans les possibilités infinies que nous offre le numérique au détriment du facteur humain, empathique, ou bien dans ce qu'il nous a poussés à délaisser pour plonger dans un virtuel confortable, mais impersonnel ? On n'a pas seulement devant nous une question de philosophie de vie individuelle, mais véritablement un choix de société.
Paul Mercier et Robin Valéry sont des amis d'enfance. Issus de milieux différents, ayant grandi à Toulouse dans des familles aux philosophies différentes, ils sont bien vite devenus inséparables. Et plus encore, lorsque Robin a offert à Paul sa première calculatrice. Leur avenir était désormais tracé : ces enfants des années 80 se consacreraient à l'informatique.
Des années plus tard, les deux amis ont quitté la Ville Rose pour s'installer en Californie, dans cet endroit légendaire qui rassemble des génies venus du monde entier : la Silicon Valley. Leur duo a marqué son époque par leur créativité qui a surfé sur le développement d'internet. On leur doit la conception de sites ayant marqué leur époque.
Dans le microcosme, Paul et Robin sont au même niveau que des Mark Zuckerberg, des Larry Page, des Sergueï Brin ou des Marissa Mayer, autant de personnalités qu'ils connaissent et côtoient. Avec qui ils sont en affaire, aussi, car ils revendent régulièrement à prix d'or les sites qu'ils ont lancés et qui connaissent un grand succès à travers le monde.
Pourtant, Paul Mercier a changé. Depuis sa rencontre avec Julia, une jeune femme au fort tempérament, pleine d'idéaux et capable de tout pour les défendre, il considère la poule aux oeufs d'or d'un autre oeil. Au point d'avoir mis au point un projet baptisé Pandora, dont l'objectif est simple : détruire purement et simplement internet.
Robin est au courant de ce projet mais n'a pas voulu s'y associer. Mais, il ne s'y est pas non plus opposé. A moins que... En effet, lorsque le livre commence, Robin est penché sur le corps de son ami qu'une balle vient de frapper. On est en pleine rue, à San Francisco, et, si Paul respire encore, il est à craindre que la blessure puisse s'avérer mortelle...
Alors que Paul est transporté à l'hôpital et que l'enquête de police commence, menée par un flic plus british qu'américain, l'agent Malone, Robin raconte. Leur vie, professionnelle et familiale, leur ascension, leurs réussites, le projet Pandora, mais aussi quelques éléments sur la tentative de meurtre, qu'il entend venger.
Mais, le récit de Robin, à la première personne, est froid, clinique, presque monocorde. On est frappé par le peu de sentiment qui se dégage de cette confession. A vrai dire, Robin en devient même assez effrayant au fil des pages et des événements. Un personnage presque robotisé, dépourvu d'affect, porté par un réalisme glaçant et un pragmatisme à toute épreuve.
Se dessine progressivement un regard très perturbant sur l'amitié qui lie Paul et Robin. Le fait de n'avoir qu'un unique point de vue renforce ces impressions, puisqu'on n'a pas celui de Paul, qui pourrait contrebalancer ou infirmer le discours de Robin. Et, là encore, l'amitié vue par Robin déroute, dérange, inquiète...
On voit deux garçons doués qui lient leurs destins. Mais, là où Paul apparaît brillant, charismatique, populaire, Robin, lui, semble constamment en retrait, effacé, discret, fourmillant d'idées et de projets mais préférant l'ombre à la lumière. On a deux revers d'une même médaille, deux personnalités qui se complètent et un lien bizarre...
Il y a quelque chose de symbiotique dans ce que nous montre Robin. Comme si Paul ne pouvait vivre sans lui, comme si lui ne pouvait vivre dans Paul. Pourtant, au fil du récit, on se demande si la première partie est aussi juste que la seconde... Parce que l'on voit justement Paul s'émanciper, voler de ses propres ailes, se consacrer à Julia plus qu'à Robin...
Chez Robin, on ressent un mélange d'admiration et de jalousie, non, plus qu'un mélange, une émulsion de ces deux sentiments. Sans oublier la haine. Une haine farouche, seul véritable sentiment que revendique Robin. Et cette haine, c'est vers Julia qu'elle se concentre. Celle par qui est venue le changement, la remise en cause de la relation fusionnelle entre les deux amis.
Ce que le lecteur ressent, lui, c'est la véritable dépendance de Robin envers Paul, bien qu'il s'en défende. Et cette situation prend un tour plus oppressant encore avec les événements se déroulant en ouverture du roman : on a tiré sur Paul, mais pas sur Robin, qui était pourtant juste à côté de lui. Et c'est Paul qui souhaite détruire internet, pas Robin...
Alors, se pourrait-il que Robin soit à l'origine de l'attentat qui a visé son meilleur ami, son alter ego ? La question se pose, en tout cas, l'agent Malone s'interroge sérieusement et ne le lâche pas. Mais, Robin Valéry, s'il est un coupable crédible, n'est pas le seul : si le secret autour du projet Pandora a été brisé, alors, ce sont tous les pontes de la Silicon Valley qui ont de sérieuses raisons de vouloir tuer Paul...
Bien sûr, l'avancée de l'enquête, les éléments permettant de cerner le tireur et ses motivations, peut-être ses commanditaires, est un des moteurs du roman. Mais, au-delà de cette intrigue, c'est tout le contexte qui est remarquable et très intéressant. Et, là encore, la personnalité inquiétante de Robin nous la sert sur un plateau d'argent, avec un cynisme qu'il assume entièrement.
Un regard cru, violent, sur la sphère internet. Pas uniquement sur le plan économique, avec les milliards qu'elle brasse, mais aussi sur le plan sociétal, sur les changements qu'elle impulse dans les relations entre les personnes. Et Robin sait parfaitement de quoi il parle : il est l'exemple parfait de sa propre démonstration.
Il ne regarde le monde qu'à travers un écran. Mais pas seulement le monde, l'autre, aussi, l'humain. Et l'écran, c'est forcément un prisme déformant. Tous les liens qu'il entretient avec l'autre, à l'exception de celui qui l'unit à Paul, sont dénués de sentiment. Marié et père, il considère sa famille avec un recul presque surpris, mais qui semble exclure le sentiment amoureux qui devrait primer.
En fin de roman, lorsque Robin nous parlera de sa famille, pas celle qu'il a fondée, celle dont il est issue, on se dira que l'internet n'est peut-être pas la cause de tout cela. Mais, c'est un accélérateur, de toute évidence. Asocial, déphasé, intuitif et capable de susciter des tendances lourdes qu'il impose par les sites qu'il crée, Robin est une espèce de démiurge dont le bien commun est le cadet des soucis.
Google, Facebook, Twitter, Wikipédia, mais aussi d'autres sites moins populaire, comme Chatroulette, par exemple, sont dans le viseur d'un Robin qui ne dénonce pas les travers de l'internet mais semble presque s'en amuser. Lui-même apparaît comme un utilisateur de ces sites, et c'est comme si c'était un dealer qui serait aussi junkie qui s'exprimait.
Mais, ce qu'il en dit est carrément effrayant. Prenons Wikipédia, qui "a détruit les compétences" et abouti à ce que "n'importe qui devienne un référent à propos de n'importe quoi". Les autres géants de la sphère ont droit à ce même genre de discours qui, s'il était tenu sur un autre ton que celui, presque monocorde et détaché de Robin, serait perçu comme un avertissement.
Ici, c'est autre chose : c'est trop tard. Ce que Robin décrit, c'est le résultat de son travail de fond, et il n'en semble pas peu fier. La révolution internet a bouleversé la donne sur le plan des relations humaines, mais n'a rien amélioré, bien au contraire. Oui, le projet initial était magnifique, sur le papier, dans la réalité, c'est en train de devenir "le Meilleur des Mondes" et "1984".
L'utopie numérique était belle, une Abbaye de Thélème à l'échelle mondiale, sans gouvernement, sans règle, ni cadre, ni hiérarchie... Mais, dans les faits, tout cela a vite été balayé par une réalité toute autre et l'utopie rabelaisienne est devenue un Léviathan de Hobbes. Je me rends compte, soudain, que j'ai choisi sans le faire exprès, deux références à forte connotation religieuse.
Mais, justement, redonnons la parole à Robin, qui voit en Paul un Dieu au coeur de la Silicon Valley. Un Dieu qui, en voulant détruire sa créature, internet, devient l'ennemi de ses propres fidèles qui ne se détourneront jamais du culte qui a pris une part importante dans sa vie... Là encore, on a matière à réflexion, indépendamment du livre, mais en rapport avec nos propres comportements...
Eh oui, la question centrale qui nous est posé, par Robin, mais à travers lui, par Guillaume Sire, c'est : seriez-vous prêt à renoncer à internet ? Et que deviendriez-vous si internet disparaissait ? Ah... Introspection... Remise en cause de ce qui est devenu un mode de vie... Et mise en évidence d'un fait, la dépendance qui nous relie, en tout cas pour pas mal d'entre nous, à ce qui n'est plus seulement un outil...
Oui, Robin est tenaillé par sa dépendance envers Paul, mais nous, internautes, personnes fréquentant les réseaux sociaux, blogueurs, lecteurs numériques, pratiquants de hobbys divers et variés, nous sommes tous devenus dépendant de ces autoroutes de l'information où nous circulons presque les yeux fermés, qui nous enchaînent à nos écrans.
Peut-être est-ce aussi ce qui nous trouble, dans le regard cynique, goguenard, qu'affiche Robin : car c'est bien à nous qu'il s'adresse, c'est de nous qu'il se moque, en se vantant de ce qu'il nous a fait. Un marionnettiste potache mais abreuvé d'un pouvoir immense qui nourrit un ego gigantesque. La timidité et la réserve de Robin ne lui épargne pas cette faiblesse humaine qu'est la mégalomanie...
La lecture de "Où la lumière s'effondre" a fait écho dans mon esprit à celle d'un autre roman évoqué sur ce blog : "La théorie de l'information", d'Aurélien Bellanger. Le point de départ est assez proche, les développements divergent nettement, mais, au final, n'a-t-on pas dans ces deux regards autour du développement numérique les mêmes interrogations, les mêmes craintes, les mêmes critiques ?
Aurélien Bellanger partait d'un personnage bien réel, Xavier Niel, fondateur de Free, et je me suis aussi posé la question (à laquelle je n'ai pas de réponse) à propos de Paul et Robin. Guillaume Sire a-t-il créé de toutes pièces ces deux personnages ou s'est-il inspiré de parcours réels pour construire son raisonnement ?
Autour de nos deux Toulousains, gravitent le gratin de la Silicon Valley et des géants du secteur numériques. Certains interviennent directement dans le cours de l'histoire, d'autres sont simplement évoqués, mais tous ont droit à quelques piques appuyées de la part de Robin, qui n'épargne décidément personne.
Alors, où se trouve l'essentiel, dans tout ça ? Dans les possibilités infinies que nous offre le numérique au détriment du facteur humain, empathique, ou bien dans ce qu'il nous a poussés à délaisser pour plonger dans un virtuel confortable, mais impersonnel ? On n'a pas seulement devant nous une question de philosophie de vie individuelle, mais véritablement un choix de société.