La rage au corps (littéralement)

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Confessions d’un enragé (Nicolas Otero – Editions Glénat)

L’histoire démarre à la fin des années 1970 à Rabat, au Maroc. Liam, un petit garçon de 4 ans, mène une vie heureuse avec ses parents et son grand frère. Comme tous les frangins du monde, les deux garçons se chamaillent en permanence. Ce qui ne les empêche pas d’être inséparables et de profiter pleinement des « barbe-clous » et des parties de foot dans le jardin. Et pourtant, un simple chat va faire basculer le destin de toute leur famille. Un jour, en allant récupérer son ballon au pied d’un arbre, Liam est irrémédiablement attiré par les miaulements glaçants d’un chat errant. Le son est effrayant, mais il fascine le petit garçon, qui s’approche pour voir l’animal de plus près. Trop près. La seule chose dont se souvient Liam après l’attaque du chat, c’est un flash, puis un éclair de douleur. Ensuite, c’est la panique. Liam est transporté d’urgence à l’hôpital, où le diagnostic du médecin est sans appel: le chat avait la rage et l’a transmise à l’enfant, dont le visage est défiguré. On craint pour la vie de Liam, qui pourrait ne pas passer la nuit. Heureusement, une injection antirabique permet de le sauver. Mais Liam ne sera plus jamais le même, car il a été gravement contaminé et son système nerveux mis à rude épreuve. Pour faciliter sa guérison, ses parents décident de retourner habiter en France. Pas facile de retrouver la pluie et le gris quand on est habitué au soleil du Maroc. D’autant plus que Liam, qui continue à recevoir régulièrement des piqûres, a un comportement de plus en plus étrange et agressif. Non seulement le petit garçon développe progressivement une sauvagerie quasiment animale, mais il est comme hanté par le fantôme du chat enragé, qui apparaît dans ses cauchemars toutes les nuits. Le chat finit d’ailleurs par lui lancer un défi. Le félin propose au petit garçon de se manifester à sept reprises dans sa vie, qui seront autant de chances pour Liam de le combattre. Si le chat remporte la mise au terme de ses 7 épreuves, c’est lui qui possédera l’enveloppe humaine de Liam pour toujours. Si c’est le garçon qui gagne, il sera enfin libéré de ce fantôme encombrant…

Le terme « enragé » est fréquemment utilisé dans la langue française, surtout lorsqu’il s’agit de désigner des personnes furieuses ou passionnées. Du coup, on est presque surpris de découvrir que « Confessions d’un enragé » raconte littéralement le parcours d’un enragé, c’est-à-dire d’une personne contaminée par la rage. On peut même ajouter que Nicolas Otero le fait avec beaucoup d’application, dans la mesure où il entrecoupe son roman graphique de séquences pédagogiques durant lesquelles un médecin en blouse blanche donne des explications scientifiques parfois très poussées sur les effets dévastateurs de la rage. Un choix narratif plutôt étonnant, mais qui n’alourdit pas la lecture de ce récit initiatique fantastique. Etonnant est d’ailleurs le mot le plus indiqué pour caractériser « Confessions d’un enragé ». A bien des égards, la BD de Nicolas Otero s’avère très surprenante, que ce soit au niveau du dessin et des couleurs ou au niveau de l’écriture et de la construction narrative. Mais le charme opère: tout comme Liam face au chat enragé, on se laisse fasciner par ce récit sombre et tourmenté. Bien sûr, « Confessions d’un enragé » raconte avant tout l’histoire d’un garçon qui tente tant bien que mal de résister à la sauvagerie animale qui sommeille en lui, mais on peut aussi le lire comme un récit métaphorique sur la difficulté de trouver sa place dans la société lorsqu’on est un adolescent enragé. Et bien sûr, si on adopte cette optique-là, le mot « enragé » ne fait pas nécessairement référence à la maladie. C’est en ça que cette histoire rejoint sans doute le vécu de Nicolas Otero, qui a lui-même connu des années « chaotiques et débridées » (dixit son éditeur) avant de s’imposer comme dessinateur de bande dessinée grâce à la série « AmeriKKKa ». Notons enfin que la magnifique couverture de l’album « Confessions d’un enragé » est signée Vérane Otero, qui n’est autre que l’épouse de l’auteur.