M Train, Patti Smith

Par Sara
La nouvelle sélection du Grand Prix des Lectrices de Elle m'est arrivée, et elle contient, ce mois-ci, le dernier roman de Patti Smith. Le charme désuet de la couverture m'a happée, et, le livre ouvert, il n'était plus possible de le refermer inachevé.

Le synopsis
Patti Smith relate ses flâneries, ses vagabondages, ses voyages tout autour du monde et au coin de sa rue, mêlant des confidences, des anecdotes, des automatismes du quotidien. 
Mon avis
Quelle découverte que celle de M Train, et du style très personnel de Patti Smith...
En résumer la lecture est bien ardu, tant on a le sentiment d'avoir flâné sans véritable destination, transporté par la poésie et les effluves de café.
Les pans d'histoires relatés ne sont rien que très personnels, néanmoins, l'auteur établit une connivence qui nous les rend particuliers, créant du relief où l'on ne pourrait voir que des anecdotes enchevêtrées, des souvenirs hermétiques.
Il y a, dans l'écriture de Patti Smith, une grande générosité. Sa prose est faite de digressions qu'elle ne cherche pas à contrôler ou à retenir, il s'agit avant tout d'une succession de pensées vagabondes. On voyage à ses côtés, on déambule dans les rues de New York, on accède aux instants révolus de sa vie qui résonnent au présent, à la perte bien sûr, au constat du temps qui passe, aux visages des amis qui viennent et repartent, à l'esthétique qui la frappe lorsqu'elle la croise, qu'elle tente de saisir au moyen de son appareil photo ou de l'écriture.
La langue est douce et colorée, et se caractérise par les images très incarnées mobilisées par l'auteur, qui la rendent infiniment poétique et captivante, comme en témoignent les extraits rapportés ci-dessous.
Les odeurs, les couleurs, les sensations sont consignées, si bien que l'on fait un voyage des sens en même temps qu'un voyage de pensée. Bien sûr, la rêverie se mêle au réel, il est parfois difficile de les dissocier, et le doute plane. On pourrait voir du Nerval dans les pages de Patti Smith, un étrange anachronisme.
Le roman n'est pas le théâtre de grandes actions qui se dérouleraient selon une implacable mécanique; il est le lieu et le refuge d'un état d'âme mélancolique, où les êtres et les objets, par leur seule existence, suffisent à le remplir. C'est tendre et somptueux, une oasis rassérénante que l'on ne quitte qu'étreint d'une douloureuse nostalgie.
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Morceaux choisis
"_L'écrivain est un chef d'orchestre, disait-il d'une voix traînante.
Je m'éloignais, lui laissant le loisir d'expliciter la piste sinueuse des circonvolutions de l'esprit. Des mots qui s'attardaient puis se dissipaient tandis que je montais dans un train à moi, qui me déposait tout habillée dans le capharnaüm de mon lit."
"Fortes bourrasques, pluie froide, ou menace de pluie ; un continuum se profile de cieux calamiteux qui, subtilement, imprègne tout mon être. Insensiblement je m'enfonce dans un malaise léger mais persistant. Non pas une dépression, davantage une fascination pour la mélancolie, que je retourne dans ma main comme s'il s'agissait d'une petite planète, striée de bandes d'ombre, d'un bleu impossible."
"Rétrospectivement, longtemps après sa mort, je me dis que notre mode de vie de l'époque paraît miraculeux, un miracle qui n'a pu être accompli que grâce à la synchronisation silencieuse des rubis et des mécanismes d'un esprit commun."
"Je suis restée assise un long moment. Le barman m'a resservie. La tequila était légère, comme du jus de fleurs. J'ai fermé les yeux et vu un train vert avec un M à l'intérieur d'un cercle ; le même vert décoloré que le dos d'une mante religieuse."
"Le parfum d'oolong semblait avoir la vertu soporifique des champs de coquelicots d'Oz."
"Les couleurs du jour étaient semblables à un tableau de Turner - rouille, air doré, diverses nuances de rouge."
"Nous désirons des choses que nous ne pouvons pas avoir. Nous cherchons à retrouver tel moment, tel son, telle sensation. Je veux entendre la voix de ma mère. Je veux revoir mes enfants quand ils étaient enfants. Petites maints, petits pas rapides. Tout change. Le garçon a grandi, le père est mort, la fille est plus grande que moi, elle pleure après un mauvais rêve. De grâce, restez pour l'éternité, dis-je à ceux que je connais. Ne vous en allez pas. Ne grandissez pas."
Note finale4/5(excellent)