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181. — Les effets faciles sont comme les femmes faciles : il leur arrive même, malgré tout, de donner parfois du plaisir.
182. — Si votre chat vous lèche quand vous le caressez, ce n’est pas qu’il vous aime ; c’est pour que vous le laviez en même temps. Les humains, eux, n’ont même pas de tels soucis d’hygiène quand ils vous lichottent et vous tètent.
183. — L’Amérique, c’est aussi l’impitoyable répression de qui n’est pas conforme : les Arabes l’ont récemment constaté à leurs dépens.
184. — La haute technologie ne sert bien souvent que de fort bas intérêts.
185. — La pensée commence où s’effritent les évidences.
186. — Écrire, c’est toujours un peu lancer un défi en forme de déclaration d’amour anonyme : je te mets au défi de reconnaître, d’accepter et même d’aimer ma différence parce que la tienne m’importe. Si je ne te prenais que pour un consommateur, je t’écrirais ce que tu veux et nous nous abîmerions tous deux dans l’indistinction mortifère du commerce.
187. — Au XXe siècle, à mesure que l’art se développait, se complexifiait, se subtilisait, l’homme s’amincissait (et pas seulement physiquement, pas seulement au propre), se simplifiait, se réduisait à sa plus indigente expression. Quand l’art s’en est aperçu, il était devenu média, c’est-à-dire simple condiment pour obèse de l’âme ou anorexique de la pensée.
188. — Le malheur rend laid, le bonheur rend bête. L’état commun, qui ne connaît vraiment ni l’un ni l’autre, rend bête et laid.
189. — Un paroxysme permanent, comme celui qu’on nous vend systématiquement aujourd’hui, revient à une asthénie totale. Les grouillants parmi nous sont, socialement, les plus parfaits assis qui soient.
190. — Toute œuvre est une multiplicité non pas unifiée, encore moins unitaire, mais en équilibre, en équilibre instable. Et l’instabilité de cet équilibre est la voie où viennent échouer l’interprétation et la passion de l’œuvre.
Notice biographique
Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969. Outre des centaines d’articles dans des revues universitairesquébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012. Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (Spirale, Tangence, XYZ, Esse, Etc, Ciel Variable, Zone occupée). En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe. Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).