Les bottes suédoises ♦ Henning Mankell

Par Marie-Claude Rioux
Les bottes suédoises, le dernier roman d'Henning Mankell publié quelques mois avant sa mort en octobre 2015, est la suite autonome des Chaussures italiennes
Avant tout, peut-être qu'un bref retour sur Les chaussures italiennes s'impose...Après une intervention médicale qui a mal tourné, Fredrik Welin a remisé son sarrau de médecin et s'est isolé sur son îlot, dans l'archipel de Stockholm, où il vit en ermite. Entre la baignade matinale dans l'eau glacée et ses échanges laconiques avec les habitants de l'archipel, la vie de Fredrik est un long fleuve tranquilleHarriet, la femme qu'il a aimée et abandonnée quarante ans plus tôt refait surface, mourante. Elle vient lui demander son aide et lui présenter leur fille Louise, âgée de trente-sept ans, fille dont il ignorait l'existence jusqu'à ce jour.Les bottes suédoises se déroule quatre ans après Les chaussures italiennes. Maintenant âgé de soixante-dix ans, Fredrik en est à ses derniers milles d'existence. Il continue ses baignades matinales et ses échanges laconiques avec les vieux du coin.Dès les premières pages du roman, ça chauffe! Fredrik se réveille brusquement en pleine nuit. Sa maison, héritée de ses grands-parents, brûle. Tous ses biens sont avalés par les flammes. Ne lui reste que son pyjama, un imper, une paire de bottes dépareillées, un bateau, un petit cabanon rempli de vieilles bricoles, la caravane de sa fille dans laquelle il se réfugie, une tente et une voiture garée au village.Tous les insulaires se serrent les coudes pour éteindre le brasier. Devant l'absence de preuves, Fredrik est soupçonné d'avoir mis le feu pour escroquer les assurances.Comment allais-je faire pour supporter la réalité de mon propre vieillissement, de ma maison incendiée et de cette impression de vivre au milieu d'un grand vide où personne ne se préoccupait de savoir si je tenais le coup ni même si j'étais encore en vie? Ou alors, si quelqu'un s'en souciait, c'était uniquement pour me soupçonner d'être devenu fou et de jouer avec des allumettes et des bidons d'essence.Lorsque d'autres maisons partent en fumée, les policiers changent leur fusil d'épaule. Fredrik doit faire face et déterminer ce qu'il veut faire du reste de sa vie, ce qu'il peut encore faire ou espérer. Reconstruire la maison ou non? Quelle relation entretenir avec sa fille (et bientôt avec sa petite-fille)? L'heure des derniers choix vient de sonner. Que dire? Et comment dire? Comme il s'agit du dernier roman de Mankell, difficile de le lire sans avoir la gorge nouée. N'empêche... L'émotion n'est pas tout.L'égocentrisme et la froideur deFredrik m'ont royalement tapé sur les nerfs. Son nombril hypertrophié m'a profondément horripilée. (Ces traits de personnalité ne m'ont pas frappée à ce point dans Les chaussures italiennes.) Si ce roman n'était pas écrit par mon Suédois préféré, je l'aurais sans doute abandonné.Heureusement, la plupart des personnages secondaires ne manquent pas d'intérêt. Qu'il s’agisse de Jansson, le facteur retraité hypocondriaque, de la mécanicienne Rut Oslovski ou de Nordin, le gérant du magasin d’accastillage, chacun dégage un charme indéniable. À l'opposé, d'autres sont grossièrement brossés. Lisa Modin, la journaliste draguée par Fredrik, et Louise sont entourées d'un aura de mystère. Louise, si énigmatique... La fille de Fredrik vit à Paris avec son mari algérien et gagne sa vie comme kleptomane. Rien que ça! Pour le pourquoi du comment, il faudra repasser.Les réflexions livrées par Mankell sur la vieillesse et la solitude sont poignantes.La mort hante ces pages. Difficile de ne pas entrevoir l'auteur à travers Fredrik...J'ai bien peur de nourrir, au fond de moi, une sorte de ressentiment désespéré vis-à-vis de ceux qui vont continuer de vivre alors que je serai mort. Cette impulsion m'embarrasse autant qu'elle m'effraie. Je cherche à la nier, mais elle revient de plus en plus souvent à mesure que je vieillis.Le rythme lent du roman n'était pas pour me déplaire. Le suspense – qui allume ces incendies? – est soutenu tout du long. Veux, veux pas, on veut savoir. Mais, au final, une fois le coupable démasqué, les raisons de son geste demeurent pour moi un mystère. Rien à redire sur le style de Mankell, sobre et tout en délicatesse, une fois de plus admirablement traduit par Anna Gibson.Roman mélancolique et désenchanté, le testament de Mankell ne dégage ni la même intensité ni le même éclat que Les chaussures italiennes. Roman de l'urgence, sans doute: le temps pressait, la grande faucheuse cognait à la porte. Ce qui excuse bien des choses… mais pas tout.Les bottes suédoises, Henning Mankell, Seuil, 368 pages, 2016.