Après avoir assisté, en mars dernier lors de Livre-Paris, à une table ronde à laquelle siégeait Luis Sepulveda, j'ai nourri de grandes attentes envers Le vieux qui lisait des romans d'amour.
Et pour cause : François Busnel en personne avait partagé l'histoire de sa rencontre avec ce roman, auquel il avait attribué les qualificatifs les plus élogieux (cela dit, a-t-on déjà entendu François émettre un jugement peu enthousiaste? ;) ).
J'avais en tête notamment la conception de Sepulveda de la littérature, qu'il considérait éminemment distrayante, rejetant l'approche très sérieuse des écrivains français présents lors de cet échange.
Son roman est, selon moi, très représentatif de sa pensée et de sa vision de la littérature. Le vieux qui lisait des romans d'amour repose sur une histoire constituée d'une introduction, d'un élément perturbateur, d'un développement et d'un dénouement. Il y a des les premières lignes une atmosphère qui rapproche du conte, avec des personnages aux traits marqués et parfois même exacerbés, comme c'est le cas du maire, un affreux bonhomme dont la cruauté n'a d'égale que la lâcheté.
Le mystère qui se fait bientôt autour de la mort de l'homme retrouvé dans la pirogue, nouant l'intrigue et suscitant l'intérêt grandissant du lecteur. L'expédition dans la forêt oppose les visions des uns et des autres : alors que le comportement de Bolivar traduit son grand respect pour les lieux, et permet de découvrir son passé auprès des Shuars, on lit au contraire la peur et l'inconfort dans l'attitude de ses comparses, qui n'ont à l'esprit que les menaces qui les guettent, et traquent la bête sans se poser de questions.
Sepulveda révèle dans ce court récit ses talents de conteur, mêlant intelligemment les ingrédients qui rendent la trame structurée et rythmée, et les réflexions qui sous-tendent l'histoire, autour des valeurs des différents personnages, et de leur rapport à la forêt, et donc à la nature.
La dernière phrase confère au roman toute sa portée, mettant en exergue les qualités démontrées par les hommes ("la barbarie" des chasseurs et la "beauté" des mots des romans d'amour chers au cœur de Bolivar), qui ne montrent pas le respect dû à l'Amazonie, et portent atteinte à la nature sauvage qu'elle abrite, notamment sous les traits de la bête traquée et tuée.
"Antonio José Bolivar Proano savait lire, mais pas écrire.
[...] Quand un passage lui plaisait particulièrement, il le répétait autant de fois qu'il l'estimait nécessaire pour découvrir combien le langage humain pouvait aussi être beau."
"Ce début lui plaisait.
Il était reconnaissant à l'auteur de désigner les méchants dès le départ. De cette manière, on évitait les malentendus et les sympathies non méritées."
"Une volonté inconnue lui dictait que la tuer était un acte de pitié inéluctable, mais qui n'avait rien à voir avec la pitié de ceux qui pardonnent comme on fait une aumône. La femelle cherchait une occasion de mourir dans un combat à découvert, dans un duel que ni le maire ni aucun de ses hommes ne pouvaient comprendre."
"Antonio José Bolivar ôta son dentier, le rangea dans son mouchoir et sans cesser de maudire le gringo, responsable de la tragédie, le maire, les chercheurs d'or, tous ceux qui souillaient la virginité de son Amazonie, il coupa une grosse branche d'un coup de machette, s'y appuya, et prit la direction d'El Idilio, de sa cabane et de ses romans qui parlaient d'amour avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie des hommes."