En juin dernier, je m'étais attelée à Carthage de ma nouvelle idole Joyce Carol Oates, après l'avoir redécouverte avec le très glauque . Oh mazette ! Encore une fois, la dame m'a épatée et coupée les guiboles propre et net. Je le clame haut et fort, Joyce Carol Oates fait partie des meilleurs écrivains américains contemporains. Mimine s'incline.
Juillet 2005, à Carthage, petite ville des États-Unis, tout semble parfaitement à sa place quand la fille cadette de l'ancien maire, Cressida Mayfield, disparaît sans laisser de traces. La dernière personne a l'avoir vu ? Brett Kincaid, héros de guerre revenu d'Irak traumatisé et handicapé, qui jusqu'à présent était le fiancé de la soeur aînée de Cressida, la très jolie et très parfaite Juliet. Malheureusement, pour le jeune caporal, on retrouve des gouttes de sang appartenant à Cressida dans sa jeep. Il n'en fallait pas plus pour que Brett soit suspecté immédiatement et qu'il avoue, contre toute attente, être le coupable. Seulement, sans cadavre, y a-t-il toujours " meurtre " ?
En partant sur la base d'un roman policier, qui n'en est pas un naturellement, Carol Oates taille au vitriol le portrait d'une Amérique encore empêtrée dans une guerre qui n'en finit pas, ainsi que de ses valeurs chères : famille, patrie et liberté. Avec ce sens de l'ironie et ce refus à l'indulgence, Carol Oates nous concocte un drame familial terrible où les protagonistes nous sont livrés sans concession. Et c'est ça que j'aime beaucoup chez Oates, elle n'épargne personne pas même les victimes. Il faut voir la façon dont la jeune est dépeinte : absolument insupportable, où l'asociabilité et l'égoïsme flirte avec l'intelligence supérieure, Cressida est difficilement appréciée dans sa petite ville, même au sein de sa propre famille. Et paf.
J'ai vécu cette lecture comme un véritable thriller psychologique où chaque personnage est pressé comme un citron corse et poussé dans ses retranchements jusqu'à l'ultime révélation. Le lecteur n'est pas en reste, puisque tout le long nous sommes plongés dans une narration qui sautille, qui tressaute, qui nous captive tout en alternant les points de vue. On retrouve d'ailleurs assez facilement les thèmes chers à Carol Oates : la question de la rédemption, le fardeau de la culpabilité, la difficulté de pardonner et le " vivre après ". Mais c'est surtout à travers le personnage brisé et désillusionné de Brett Kincaid, le jeune américain, beau, grand et athlétique caporal qui s'est engagé dans une guerre basée sur des mensonges, que le récit brille par sa noirceur et par son humanité en mettant en place une critique acerbe sur les conflits irakiens et la peine capitale. C'est moche, c'est dur à avaler, mais c'est limpide.
Je pourrais continuer pendant des heures à vous parler par exemple de la soeur parfaite Juliet Mayfield, qui va se révéler bien plus complexe qu'il n'y paraît ; des parents Mayfield qui se déchirent et s'éloignent meurtris par la disparition de leur fille ; de la façon dont le roman fait des petites références à Expiation de Ian McEwan ; et de cette fin... Ah les enfants, si il y a un auteur qui les réussit avec brio, c'est bien Madame Oates.
Mais je vais m'arrêter là, parce que je suis à ça de trop vous en dévoiler. Alors voilà ce qu'il y a retenir : Carthage est un roman captivant, brillant et parfaitement orchestré, 600 pages de régal sans commune mesure. Un gros coup de coeur de Mimine.