L’échec parfait, un texte de Clémence Tombereau…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Michel-Ange se représentant en train
de peindre le plafond de la Sixtine

Une fois conscient qu’il n’atteindra jamais l’idéal qu’il poursuit, l’auteur s’acharnera. Ces périodes le confinent à la folie. Il efface, il écrit, il oublie, il efface tout, c’est mieux ainsi, car écrire une telle merde n’est pas digne de lui. Il serait amusant, ainsi, d’aller explorer les limbes des écrits effacés et, qui sait, quelque trésor palpitant pourrait bien s’y cacher.
On a vu des auteurs vouloir la perfection, transformant dans ce but un roman de cinq-cents pages en une phrase de cinq mots. On a vu des pages rendues illisibles par les ratures enragées d’un homme qui n’est qu’homme, pas Dieu. Dieu n’a-t-il jamais raturé son œuvre ?
On a vu des génies pleurer devant la beauté de leur travail, pleurer de chagrin malgré les louanges multiples, les larmes comme un amer constat de l’imperfection et dans ces larmes, peut-être, petits mondes à elles seules, les choses qui auraient pu rendre la perfection possible. Les plus beaux des chefs-d’œuvre sont ceux qui n’existent pas, ceux qui sont nés dans la tête de l’artiste, mais que ce dernier, malgré toute la force et l’abnégation qu’il a mises dans son travail, n’a jamais réussi à rendre sur la toile, la pierre, la page. Des chefs-d’œuvre avortés. Le meilleur livre et celui qu’on n’écrira jamais, et c’est bien pour cela que l’auteur, pauvre fou, écrit. Toujours. Comme un espoir. Comme une pensée magique. Comme si on avait cinq ans, sauf qu’on arrive à cent et qu’on n’a jamais réussi à faire parfaitement ce qu’on voulait vraiment. C’est bien ce triste constat qui génère la rage, la frénésie qui caractérisent l’auteur. Les mots et la ponctuation ne sont qu’un maillon entre nous et une forme de paradis perdu. Un maillon pendu dans le vide, brisé, qui ne peut désespérément que s’attacher à rien.
Il semble donc évident de se montrer méfiant à l’égard de l’auteur qui se déclarera ravi de son œuvre et nous comptons sur toi, cher ou pauvre lecteur, pour affûter tes sens en vue de démasquer tout imposteur en la matière. Celui qui déclare avoir fait un chef-d’œuvre n’a finalement pas fait grand-chose.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)