Cette illusion de bonheur sur photographies à la réalité arrangée est celle d'Antoine.
Quadragénaire séparé de Nathalie, père de deux enfants, Joséphine et Léon, maintenant au chômage pour avoir fait preuve d'humanité dans un métier qui n'en veut pas (expert en assurances).
Il revient sur sa vie depuis sa prime enfance, avec ses parents, leur rencontre, leur amour trop bref, la fuite de sa mère, la lâcheté de son père. Il raconte sa sœur, Anna, jumelle orpheline au phrasé incomplet, qui a trouvé sa moitié et pu se construire, se reconstruire avec Thomas.
Tandis que lui allait sa vie en apparence normale. Jusqu'à la bascule.
Antoine se livre et se délivre.
Il se délivre de la vision qu'il avait d'eux ou trouve les mots pour l'expliquer. Surtout sur son père. Un homme dont la lâcheté a imprimé sur son fils les sentiments de honte, de culpabilité, et l'impression d'échec permanent.
Mais ne l'a-t-il pas reproduite lui aussi sur ses propres enfants, bien que différemment ? Et cette cascade de transmissions va-t-elle se poursuivre encore et encore ?
Images des parents qui s'effondrent, désirs des autres qui dévorent et vie qui explose.
Dilemme insoutenable pour Antoine dont la réponse entraîne l'incompréhension, le rejet, la fuite et la reconstruction d'autres vies.
Roman choral, il se divise en trois parties et autant de narrateurs, bien qu'Antoine parle dans les deux premières. Car peut-on dire qu'on reste toujours la même personne, avec le même " je/moi " ? Que celui de nos 20 ans est encore identique 30-50 ans plus tard ?
La dernière explore avec justesse l'adolescence, le rejet, mais aussi le pardon et la résilience.
Grégoire Delacourt signe là un roman à la thématique mille fois exploitée, certes, mais pourtant toujours si méconnue et si multiforme.
L'auteur utilise des mots simples, des mots qui touchent pour nous parler aussi de la maladie, de la vieillesse, de la mémoire, de la vie et de sa valeur. D'ailleurs chaque titre de chapitre est composé de chiffres : sommes ou dates, le plus souvent malheureuses.