Au fil de l’eau (Juan Diaz Canales – Editions Rue de Sèvres)
Niceto, 83 ans, est un retraité qui mène une vie paisible à Madrid. Paisible? Pas tant que ça! Avec sa bande de potes octogénaires, notamment Urbano et Godofredo, il arrondit ses fins de mois difficiles en revendant des marchandises volées ou « tombées du camion »: des jeux vidéo, des smartphones, des montres, des cigarettes… Un business plutôt lucratif. Le problème, c’est que leur petit manège ne plaît pas trop à la police. Et forcément, celle-ci n’éprouve aucune peine à courir derrière les vieux délinquants pour les embarquer. D’autant plus qu’ils font leur petit trafic juste en face du poste de police! Heureusement, Niceto peut compter sur son petit-fils Alvaro pour le faire sortir du commissariat car Pepa, la jeune inspectrice de police, est une amie à lui. Du coup, même si celle-ci ne manque pas de faire la leçon au grand-père et à son petit-fils, elle laisse repartir Niceto sans trop de problèmes. Alvaro, de son côté, n’ose pas faire de remontrances à son grand-père, vu son passé de héros de la résistance. Il cache d’ailleurs les frasques de Niceto à son propre père, un respectable médecin légiste très croyant, et accepte même d’héberger le vieil homme chez lui. Une situation qui génère des tensions avec la femme d’Alvaro, qui est enceinte, car Niceto est loin d’avoir un caractère facile. Son comportement est même de plus en plus étrange. La situation commence à devenir vraiment inquiétante lorsqu’on découvre le corps sans vie de Longinos, l’un des vieux amis de Niceto, qui a reçu un violent coup sur la nuque. Une mort bientôt suivie par d’autres, dans des circonstances de plus en plus mystérieuses. Mais qui donc peut bien en vouloir à cette bande de vieillards?
Quelle surprise de découvrir que Juan Diaz Canales est aussi dessinateur! On connait depuis des années le talent de scénariste de l’auteur espagnol. C’est lui notamment qui signe la formidable série animale et policière « Blacksad » (avec Juanjo Guarnido au dessin), c’est lui aussi qui a repris avec succès le personnage mythique de Corto Maltese (avec Ruben Pellejero). Mais la plupart des bédéphiles ignoraient totalement que Diaz Canalez est également un dessinateur de talent. Car s’il est fréquent que les dessinateurs décident de devenir leur propre scénariste, il est beaucoup plus rare que les scénaristes s’installent un jour devant une planche à dessin. Certes, Juan Diaz Canales n’a pas la virtuosité graphique d’un Guarnido ou d’un Pellejero, mais son style de dessin est malgré tout très intéressant. Comme le souligne Nadia Gilbert, l’éditrice de l’album, « l’expressivité du trait, la puissance du noir et blanc, les jeux de lumière et les décors parfaitement maîtrisés nous ont immédiatement séduits et convaincus ». S’il fallait faire une analogie, on pourrait dire que le style de dessin semi-réaliste de Diaz Canales, qui travaille entièrement à l’encre de Chine, fait penser à celui de certains comics américains. Ce qui est plutôt un compliment, évidemment. Quant au scénario de la BD « Au fil de l’eau », il est tout aussi surprenant. Au départ, on croit s’embarquer dans une comédie sociale douce-amère sur la crise économique en Espagne, mais à un moment donné, le récit bascule vers le polar, avant de virer au final vers une réflexion universelle sur les ravages du temps qui passe et sur la difficulté de vieillir. Cela débouche sur un album qui n’a sans doute pas la force graphique et narrative d’un « Blacksad », mais qui s’avère malgré tout une première expérience très réussie de Juan Diaz Canales en tant qu’auteur de BD complet. On a hâte maintenant de découvrir quels autres atouts il cache encore dans sa manche!