Tenter de résumer le nouveau roman de Larry Tremblay relève de la haute voltige.
Première page: d
ans une coquette maison d'Outremont vidée de ses meubles, Antoine s'apprête à lire le roman déposé sur le sol, L'impureté, écrit par sa femme Alice, une auteure populaire reconnue et adulée.L'impureté s'ouvre à Montréal, en 1999. Antoine, prof de philo, tente par tous les moyens de s'engourdir. Sa femme Alice vient de mourir à quarante-quatre ans dans un accident de la route. Scotché devant sa télé, il suit en direct le battage médiatique entourant la mort de John F. Kennedy Junior. Il découvre, dans les journaux, que Félix Maltais, son ex-meilleur ami, s'est immolé pour sensibiliser le monde au problème de la dégradation des forêts. Un suicide qui rappelle celui du moine Thich Quang Duc, vénéré par Félix. Antoine accepte de rencontrer Claire Langlois, une journaliste, qu'il tente sans succès de cruiser.Retour en arrière, une vingtaine d'années plus tôt, à Chicoutimi. Antoine rencontre Félix, fasciné pour ce cœur pur. Ses convictions et sa pureté l'intriguent. Il s'«enrôle» dans l'existentialisme. «Il joue à être Jean-Paul Sartre, croyant posséder sa lucidité et son authenticité. Il ne fait que camoufler la faiblesse de son être par un système philosophique qu'il utilise comme un paravent.» À la recherche de sa Simone de Beauvoir, il rencontre Alice, qui deviendra sa femme et avec qui il aura un fils, Jonathan.Il y a, dans L'impureté, un autre roman: Un cœur pur. Les mêmes personnages, avec d'autres prénoms, y apparaissent. Toutes ces histoires se croisent et se recoupent sous des versions différentes. Le dernier chapitre vient compléter la première page et lever le voile sur le présent, obligeant les «souvenirs enfouis et cadenassés au point d'en avoir oublié l'existence» à refaire surface. Les masques tombent et la vérité fait mal…Pas simple, hein?
La construction du roman de Larry Tremblay est un véritable tour de force. En fait, elle est tellement habile qu'elle en devient presque hermétique. L'impureté fait partie de ces romans qui gagnent à être patiemment apprivoisé. Des poupées russes à ouvrir, l'une après l'autre.L'éloignement du couple et les chemins pris par chacun, les rapports de force, la perte des convictions et la vengeance sont les pierres d'assise sur lesquelles repose L'impureté.
Le personnage d'Antoine vaut à lui seul le détour. Personnage égocentrique et machiavélique, son coeur impur s'oppose aux cœurs purs d'Alice, de Félix et de Jonathan. Le portait est noir et cynique, sans demi-mesure, et la critique sociale acerbe. Antoine méprise «l'exhibitionnisme émotionnel», «les produits culturels manufacturés en vue d'exciter les glandes lacrymales de leurs consommateurs».Il ne fait aucun sport et l'idée même d'une activité physique l'ennuie. Il ridiculise ces quinquagénaires habillés en Nike, en survêtements tachés de sueur, respirant comme des désespérés dans l'espoir de retarder le moment où ils lâcheront leur dernier souffle.Il trouve le concept du tout-inclus dégradant. Enfermer des gens fuyant l'hiver dans un décor artificiel, entourés de piscines bordant la mer, servis par des gens mal payés, manger deux fois plus que d'habitude, buffet à volonté oblige, boire quatre fois plus que le système sanguin ne peut charrier, bar ouvert oblige, se pavaner dans des boutiques de faux luxe, assister à des spectacles conçus pour divertir le public assommé de soleil, l'estomac hypertrophié et le cerveau en panne, non, non et non!Le style âpre et épuré de Larry Tremblay est toujours aussi vibrant. Malheureusement, le roman souffre inévitablement de la comparaison avec L'orangeraie, un roman inégalé et… inégalable. Si L'orangeraie frappe en plein cœur, L'impureté atteint la tête de plein fouet. Un roman désarmant, qui m'a déroutée du début à la fin, mais que je ne suis pas prête d'oublier. L’impureté, Larry Tremblay, Alto, 160 pages, 2015.★★★★★