Tobie Lolness, de Timothée de Fombelle (2006-2007)

Par Lupiot

Je n'avais jamais lu Tobie Lolness.

Je vous laisse un temps pour me jeter légumes avariés et chaussettes sales.

Tobie Lolness est sorti en 2006, et pour aussi mignon qu'il avait l'air, ce roman, il m'a inspiré une réaction s'approchant de " Meh ¯\_(ツ)_/¯ ", car à cette époque, j'avais 16 ans et au lycée je m'étais éloignée des romans jeunesse pour lire :

  1. des mangas ;
  2. Amélie Nothomb ;
  3. de la vieille SF des famille ;
  4. Tolstoï.

...dont Tobie me semblait très éloigné. Tout ça pour établir que, contrairement à l'exercice auquel l'on se prête avec nostalgie et amusement sur le blog (pour Les Royaumes du Nord, Harry Potter ou Le Livre des Étoiles, par exemple), cette chronique de Tobie Lolness n'est pas la relecture d'un classique de mon enfance avec des yeux d'adulte. C'est une découverte.

Et oh, boy, quelle découverte.

Tobie mesure moins de deux millimètres et, comme tout ce qui est petit, son histoire est fine et délicate, dentelée comme une feuille verte dont on devine les nervures au printemps. Tobie a treize ans et il fuit la barbarie de tout un peuple lancé à ses trousses. Là-haut, dans les Cimes, il est honni - pis, il suscite la terreur et la haine de son ancien meilleur ami, et ses parents sont emprisonnés pour les mêmes méfaits que lui.
Mais qu'a-t-il bien pu se passer ? Quels secrets son père, le grand professeur de l'arbre, a-t-il révélé, pour enclencher un si terrible tremblement ? Pourquoi tout va-t-il si mal depuis que l'affreux Jo Mitch et son élevage de charançons ont étendu leur emprise dévoreuse sur les Cimes ? Tobie, dans sa fuite vers les Basses Branches puis sa révolte, trouvera-t-il des alliés, de la douceur, et un peu de beauté ?

    L'écriture de Timothée de Fombelle est d'une élégance rare.

J'avais déjà observé le phénomène dans Le Livre de Perle mais, sachant Tobie plus " jeunesse ", j'ignorais à quoi m'attendre. Hé bien c'est d'une grâce et d'une simplicité toute fines, du genre qui donne envie de danser sous la pluie.

La raison pour laquelle j'ai insisté sur le fait qu'il ne s'agisse pas d'une relecture (et que, donc, je n'avais pas gardé en moi l'émotion des traces de petons laissées par Tobie il y a des années), c'est que l'émerveillement que j'ai ressenti est d'autant plus rafraîchissant. J'ai fait flip-flop des paupières et patoum crac du palpitant. Et quand je recours aux onomatopées tu sais que je suis bien tombée dedans. Tobie Lolness m'a fait avoir à nouveau douze ans, je voulais courir dans les branches avec lui, cueillir la rosée avec Elisha, croquer la vie à pleine dents, embrasser l'aventure quand elle vient.

En parlant d'Elisha, et pour partager ma citation préférée du monde entier du roman :

Elle souriait extraordinairement bien pour son âge. En principe, à partir de quatre ou cinq ans, on sourit moins bien. Et ça n'arrête pas de se dégrader. Mais elle paraissait sourire pour la première fois.

Une vie faite de ravissements quotidiens. Le goût des crêpes, la quiétude du foyer, les fêtes en famille, l'aube qui affleure l'eau du lac et les ridules qu'un ricochet laisse à la surface.

Tobie exprime son souhait de vivre ainsi, simplement - vers la fin du roman. Mais tout du long, la narration, discrètement, rend hommage à cette vie simple. Et à des gens simples. Par exemple, quand les Lolness, poursuivis, épuisés, arrivent dans un pays qui paraît inhospitalier, leur première rencontre est un vieux débris souriant qui vient toquer à la porte pour les saluer.

-Je vis avec mon neveu qui est moucheur de larves. Je vous ai apporté du boudin.

Alors quoi ? Alors moi je craque. Déjà, j'adore le boudin. Ensuite, son neveu est " moucheur de larves " : si c'est pas de la fantaisie délicieuse. Et puis cette façon brute de se présenter tout en apportant un panier, arhhg. (Tu le vois, le campagnard un peu bourru qui s'arracherait une côte pour un enfant qui pleure ?)

Bref, je tourne en rond car je suis noyée dans ma tendresse pour ce roman, donc histoire de dire que j'ai fait mon boulot, j'va donner des éléments de lecture personnelle plus précis :

L'immersion dans l'imaginaire est gérée avec une classe intergalactique. On y est plongé dès la première ligne avec naturel et délicatesse, voyez plutôt :

Tobie mesurait un millimètre et demi, ce qui n'était pas grand pour son âge.

Tout y est, le monde a rétréci sous nos yeux en une seconde ; nous sommes déjà partis. (Si vous cherchez, c'est la deuxième partie de la phrase la plus habile : elle rend la première, pourtant ultra fantasy, tout à fait anecdotique.)

D'ailleurs, de manière générale, il n'y a jamais aucune introduction dans Tobie, ce qui multiplie l'immersion par 100. Quand il y aurait eu besoin d'une petite intro, on nous jette dans l'action, dans un trou d'écorce attaqué par des insectes, pour nous exciter les poils des bras... et nous offrir un flash-back par la suite qui expliquera. (Procédé efficace bien qu'un peu répétitif).

Beaucoup de personnages-fonction... surtout les féminins.

Qu'il s'agisse de Tobie, Léo, Elisha ou Nils, les protagonistes sont dessinés de façon claire, et caractérisés par des événements traumatiques de leur passé qui leur donnent une dimension intéressante. La façon dont leur personnalité est esquissée, sans être toujours hyper approfondie (Tobie est vraiment typique du héros bon, généreux, courageux mais simple, à qui tout cela arrive bien malgré lui, etc.) est plutôt élégante.

Là où la qualité s'affaisse c'est au niveau de plusieurs personnages secondaires, dont nombre ne sont caractérisés que par une volonté ponctuelle/obsessionnelle. (Ex. : se venger de tel truc ; réussir tel projet ; jouir de telle gloire ; protéger telle personne ; déprimer sur tel souvenir, etc.) Et comme cela se recoupe avec le fait que la plupart des personnages féminins sont secondaires et dépendants de leur relation à un personnages masculin (Maïa n'a aucune présence sinon celle de soutenir son mari et son fils ; Ilaïa n'existe que par ses sentiments conflictuels pour Tobie, etc.) ce défaut retombe un peu plus lourdement sur les personnages féminins.

Il y a un aspect " tout est lié " à la fois parfaitement cliché et magnifiquement orchestré. (Genre : le personnage que tu as croisé p. 42 est en fait le même type que tu as aperçu p. 351 et C'EST LE PÈRE DE BIDULE !! Omigod j'ai rien vu venir.) (Normalement tu l'as vu venir.) Cette particularité est en totale symbiose avec l'esprit du roman, qui se contemple comme une toile où chaque pas fait vibrer un fil qui touchera la vie de quelqu'un, au loin, sur sa branche.

§

Je ne vous ai mis qu'un élément +/- de chaque côté, car vous avez saisi l'idée. L'idée, c'est qu' il faut lire ce roman une fois dans sa vie, à n'importe quel moment. Jeune, vieux. Le moment où vous avez besoin d'évasion et de poésie.

Pour l'heure c'est mon coup de foudre de l'année, juste derrière Songe à la douceur.

Bonne lecture,

P. S. : la note de fin est aujourd'hui consacrée à la beauté de cette réédition de Tobie Lolness (dont je n'ai pas parlé dans l'article pour ne pas tout mélanger).

Pour les 10 ans, Gallimard Jeunesse a fait un magnifique travail, jetez-y au moins un œil en librairie, vos yeux mignons vont s'écarquiller comme ceux d'un personnage Pixar émerveillé.

La jaquette se déplie en un poster double-face, chacun représentant l'illustration de couverture des deux tomes : 1. Tobie qui court dans l'arbre au printemps, bourgeonnant, 2. Elisha qui court dans l'arbre en hiver, enneigé. C'est. MA.GNI.FI.QUE. Je vous laisse imaginer l'amour et l'inventivité qui ont été mis dans cette conception (sans parler des coûts liés au pliage et à la superbe qualité papier du poster).