Les calories, c’est le nouveau péché des femmes ! Avant, on refusait de s’adonner à la gourmandise pour éviter l’enfer, astheure, c’est pour éviter d’engraisser ! Si ça pouvait être comme l’argent. Si difficile à ramasser pis si facile à dépenser. Si c’était possible de claquer trois mille calories en une demi-heure, alors que ça a pris la semaine pour en accumuler à peine mille à cause du Régime minimum ! Ce serait le bonheur ! Être endettée de calories. La carte Kilojoule ben full. Le jour du remboursement, t’avales une grosse poutine avec ben de la mayo, une rangée de biscuits pis une crème glacée. Tu t’en gardes un peu pour le soir : deux coupes de vin, un burger au brie double-crème pis des frites salées, un morceau de gâteau au fromage pis un café Cognac. T’as tellement mangé que tu jures que tu dépenseras pus jamais autant de calories en si peu de temps. T’as peur de vomir, tellement le remboursement a été pénible.
Au lieu de ça, t’avales cinq cents calories en moins de dix minutes, mais ça te prend plus d’une heure de marche rapide pour les dépenser. Tu te sens coupable au moins deux semaines de t’être empiffrée. Tu t’en repends au dieu de la minceur en suant. T’as des ampoules aux pieds, des stigmates musculaires, mais tu continues pareil. Pis le pire, c’est que ça donne rien. Tu t’essouffles à monter des côtes, mais t’as quand même les fesses molles, pis du gras de bras. Pis ta garde-robe est à changer pareil. L’hiver a été dur, t’as trop bouffé de beignes à Noël. T’as pas fait assez de raquettes. T’as été vache, t’as pas fait ta musculation. T’as le ventre ben mou, pus d’abdos ; y sont comme morts. Tu vas pus à la piscine parce que t’as trop honte. T’es pas loin de baiser la lumière fermée pour éviter la débandade.
Un matin, tu dis « fuck la balance ». Tu veux pus la voir. Tu la caches. Tu veux pus te peser ni te regarder dans le miroir. Si tu maigris, ça s’améliorera pas, anaway, tu vas avoir trop de peau, ça va descendre de partout.
Mais tu rêves quand même d’être moins grosse. T’essayes de te faire à croire que c’est pour ta santé, ton bien-être, ton estime de soi pis toute. Mais t’sais, les filles, dans les pubs, tu les vois. Même si tu le sais qu’elles sont refaites pis photoshopées, tu te compares pareil, pis ta silhouette poire t’écœure ben raide. T’arrêtes pas de te dire que tu pourrais faire mieux. Faire plus. Couper un peu plus dans le gras. Manger plus de tofu pis plus de légumes. T’as ben beau éviter les casse-croûtes pis les beigneries, ça suffit pas. T’as juste envie de te saouler pour oublier ton surplus de poids. Mais tu sais que le lendemain, tu vas devoir te confesser en joggant trois quarts d’heure.
Ça en prend, de la motivation, pour refuser les biscuits pis les cornets de crème glacée jour, après jour, après jour. Pis les chips. Pour pas snacker le soir, quand t’as ben faim. Tu marches, tu montes les escaliers, tu fais ton ménage, tu pilasses dans la maison sans arrêt. Tu ranges le linge, tu fais le souper, tu ramasses la vaisselle, tu vides les poubelles. Quand t’es rendu que t’ajoutes des poids à tes chevilles pour te dépenser encore plus en faisant manger tes enfants, tu peux pus dire que t’es modérée. T’es rendue extrémiste. C’est le bagne, avec les boulets au pied. T’es carrément obsédée par les calories. Celles qui entrent pis celles qui sortent. T’as fait comme un genre de budget énergétique. Tu peux te permettre un petit écart le samedi soir seulement, mais pas les autres jours. C’est pas la carte Kilojoule, qui est trop pleine, c’est tes cuisses qui vont exploser.
Les calories, c’est le nouveau control freak des femmes. Un control freak pis des règles qu’elles s’imposent. Une idéologie totalitaire, un régime militaire, sans pardon. Un beigne : trente minutes de jogging. Deux coupes de vin : une heure trente de vélo sur le planche. Pendant que tu t’automutiles mentalement parce que t’as flanché pis que tu t’acceptes pas comme t’es, ben t’es pas libre. T’es enchaînée par les préceptes de la religion de la minceur. Obéissant aux lois du ventre plat. Condamnée à l’enfer de l’obsession. Les carottes goûtent carrément la résignation pis la docilité. Le sucre, la damnation.
Finalement, t’es une vraie femme : soumise aux diktats de la mode, les mains liées par une idéation inatteignable de la beauté. Prête à te repentir au moindre écart. L’esprit dominé par le besoin de tout contrôler, le besoin que tout soit parfait.
Copyright © Hélène Bard. Tous droits réservés. 2016
Notice biographique
Hélène Bard est née en 1975 à Baie-Saint-Paul, dans Charlevoix. Elle détient un baccalauréat en littérature française et une maîtrise en création littéraire de l’Université Laval. Elle a publié La portée du printemps, Les mécomptes et Hystéro.
Passionnée des chiens depuis toujours, elle écrit également des chroniques qui traitent de la conciliation meute-famille dans la revuePattes libres, diffusée sur le Web.
Hélène Bard est aussi maman de deux jeunes garçons, en plus d’être réviseure linguistique et stylistique, et d’enseigner la création littéraire.
Vous pouvez la suivre sur son site personnel.
(Tiré du Huffington Post.)