Parmi les puckés dont il s'occupe,
il y a Debbie, une mère toxicomane, et ses deux enfants: Cécil, un ado inquiétant et violent, et sa petite soeur Katie. Une famille détraquée. Et il y a le petit Ben, un gamin élevé dans la forêt par son père Jeremiah Pearl, unfondamentaliste chrétien en guerre contre l'humanité, convaincu que l'Apocalypse est pour bientôt. Cet illuminé imprévisible fait froid dans le dos. La routine de Pete n'est pas de tout repos. Gérer les empoignades entre une mère et son fils, faire face à des rottweilers, placer un gamin en centre d'accueil font partie de son quotidien. Si au moins ça allait bien dans sa vie personnelle… Mais non! Beth, son ex-femme, et leur fille de treize ans, Rachel (ou Rose comme elle préfère qu'on l'appelle), sont parties vivre à Tacoma, au Texas. Le père – méprisé – de Pete se meurt, sa belle-mère – détestée – est froide comme un cube de glace et son frère Luke – détesté – est recherché par la police, alors qu'il est en cavale dans l'Oregon. Comme si ce n'était pas assez, Pete doit aussi jongler avec le passé trouble de sa nouvelle petite amie. Une goutte d'eau vient faire déborder le vase: Rachel fait une fugue. Entre deux brosses, Pete multiple les allers-retours sur le territoire américain pour retrouver sa fille.Tout ça mis bout à bout en fait beaucoup sur les épaules de Pete. Difficile de ramer à contre-courant de toute cette misère (matériel, affective, sociale) qui dégouline de partout.Le personnage de Pete est fascinant à plusieurs niveaux. D'abord parce qu'il est
loin d'être un saint. Plutôt porté sur la bouteille, il n'est pas le meilleur père du monde. Si son comportement n'est pas irréprochable, il fait de son mieux et c'est tout ce qui compte. De plus, le métier qu'il exerce, rarement mis au premier plan dans les romans, est une porte d'entrée passionnante.Smith Henderson éprouve une réelle compassion pour ces malmenés de la vie.
Et il ne se prive pas d'égratigner au passage ceux qui tiennent le gros bout du bâton. Le juge Dyson, obsédé par la campagne présidentielle, se fiche pas mal des laissés-pour-compte. Et la police n'hésite pas à sortir ses gros bras pour brasser ceux qu'elle doit protéger.Le Montana de Smith Henderson est à mille lieues de celui d'un Craig Johnson, d'un James Welch ou d'un Rick Bass. Ici, les caravanes aux fenêtres bouchées, les maisonnettes en carton goudronné, les cours délabrées et les bars miteux occupent le devant de la scène, laissant les grands espaces et ses paysages grandioses en arrière-plan. Un bémol, un seul: Yaak Valley, Montana est beaucoup trop long. L'histoire aurait pu occuper la moitié des pages, l'action être resserrée et le roman aurait été aussi percutant, sinon plus.Digne héritier de Daniel Woodrell et de Larry Brown, Smith Henderson joue déjà, avec ce premier roman, dans la cour des grands. Il offre un roman social magistral, porté par une écriture sans misérabilisme ni complaisance. Un portrait de l'Amérique à la dérive, empreint d'une grande humanité. Un roman percutant.Yaak Valley, Montana, Smith Henderson, Belfond, 576 pages, 2016.★★★★★© Ulrich Lebeuf.