Écrire est un acte d’amour. S’il ne l’est pas, il n’est qu’écriture. Jean Cocteau (lundi 21 décembre 2015)
Avec ou sans visage pour s’y mirer, nos séjours parisiens sont de grâce. Théâtres et
L’œuvre de ce remarquable écrivain enrichit l’une de nos bibliothèques, prenant ses aises entre les livres d’Alberto Manguel et ceux de Nina Berberova. Ce roman, que exceptionnellement on mentionne, fait ressurgir les thèmes chers à Modiano, soit les esquisses et les reliefs de personnages et de lieux. Les dérobades. D’interminables et d’étourdissantes promenades soutiennent le récit. Des silhouettes se diluent sous la pluie, se déploient sous un ciel bleu de chaleur ; les nuits, étoilées et tièdes, adoucissent les éléments perturbateurs, les métamorphosent, tel un masque recouvrant un visage, en de complices feutrés. L’œuvre détient les incertitudes que nous attendons de l’être humain, les interrogations que suscitent des incidents obscurs, toujours distillés au compte-gouttes. Il n’y a ni commencement ni fin, nous suivons des êtres égarés entre rêves et réalité. La leur, bien sûr. Celle qui fait qu’une aventure humaine s’avère fascinante, chaque page nous entretenant, avec minutie, de détails subtils, imperceptibles. L’écrivain nous surprend à parcourir des villes, souvent les mêmes, arpentant des rues grouillantes de quidams désemparés, agités de gestes mécaniques. Des avenues parsemées d’indices, atténués par le vacillement des rayons de soleil ou par le crépitement des averses. Paysage urbain voilé de ses stupeurs, qui envoûte le lecteur, l’incite à imaginer, sinon créer, un univers microscopique en compagnie d’un narrateur obsédé par un passé trouble, la mémoire ne retenant que des agissements brumeux, qui, peu à peu, se condensent en un ensemble de faits finissant par s’emboiter.
Ainsi Dimanches d’août qu’on a relu avec l’impression agréable de faire à nouveau la connaissance de Patrick Modiano, l’opus démêlant une énigme survenue bien des années plus tôt. À Nice où s’enlisent des souvenirs que l’écrivain essaie de relater, solitaire et nostalgique. Lentement, les morceaux du puzzle s’ajustent : le narrateur, Jean, ancien photographe, recherche Sylvia, prétendument mariée à Frédéric Villecourt, aperçue un matin d’été, au Beach de La Varenne. Cela est arrivé d’une manière banale, quand Jean envisageait de faire un album photos sur les plages fluviales de la région parisienne. Sylvia l’invite à dîner chez sa belle-mère et son mari, ce qu’il accepte. L’eau vaseuse de la Marne et un diamant que Frédéric affirme être unique, seront les pierres angulaires que Jean retiendra de cet inopiné rendez-vous. Nous saurons bientôt que Sylvia rejoint Jean dans la chambre qu’il a louée pour une quinzaine de jours. Plus tard, nous retrouverons le couple à Nice, occupant un minuscule appartement dans l’ancien hôtel Majestic. Un secret pèse sur eux, jamais divulgué, leur fuite les plombant dans une torpeur indolente. Dans ce même état d’esprit nébuleux, ils rencontreront les Neal, couple américain, énigmatique et flottant. Jean s’interrogera quand, de leur part, il soupçonnera des mensonges, contredisant ses conversations avec Virgil Neal. Ne se sont-ils pas glissés dans leur vie sans la moindre résistance, que s’est-il passé au juste ? Questionnement qui viendra trop tard, quand, une nuit d’été, Virgil Neal demandera à Jean d’aller acheter des cigarettes pour Barbara, son épouse.
La fin de l’histoire rebondit comme la » chute » d’une nouvelle. Déconcertante. Mais que réservent les images du passé, qui s’enchevêtrent dans un constant cheminement d’un endroit à l’autre ? D’un personnage à l’autre ? Les énigmes s’entrecroisent, évasives ; nous vagabondons, nous lecteurs, dans des suppositions irrésolues, soudainement sans importance, aux dires du narrateur. Que vaut une tacite connivence liant un homme et une femme lorsque l’un d’eux disparait ? Oublions-nous des pans entiers d’une époque encombrante, ou finissons-nous par nous persuader que certains événements n’ont jamais eu lieu ? Pendant plusieurs mois, le visage aimé de Sylvia a calqué une telle sérénité dans l’âme de Jean, que ressassant cet amour, ce dernier insère les êtres et les lieux dans une dimension représentative de sa propre réalité. Points de repères inventés pour survivre.
Dimanches d’août pendant lesquels, dans des lieux anonymes, Jean et Sylvia se dissimulaient, persuadés que personne ne les rejoindrait. Il aura suffi d’une triviale rencontre et d’un rare diamant pour que la fatalité les chasse de leur retraite aléatoire, tout dans ce roman aux apparences inoffensives réveillant les fantômes.
Dimanches d’août, Patrick Modiano
Éditions Gallimard, Paris, 1986, 163 pages
(La critique est un art, tout comme les formes d’art qui sont ses objets. Elle exige culture et empathie intelligente de la part de ceux et celles qui le pratiquent. Ce n’est pas à la portée de tous. On les compte sur les doigts d’une main au Québec. Dominique Blondeau s’y livre avec pertinence et originalité. Plusieurs de ses articles sont des morceaux d’anthologie. Le Chat Qui Louche en a choisi et vous les offre avec l’émotion que l’on ressent à présenter quelque chose de rare. AG)
(Semblable à tous les articles publiés dans le blogue Ma page littéraire, ce texte est interdit de reproduction par la loi sur les droits d’auteur et sans l’autorisation de l’auteure, Dominique Blondeau.)
Notes bibliographiques
Au début de 2012, elle publiait Des trains qu’on rate aux éditions numériques Le Chat Qui Louche. En 2007, elle a créé un blogue surtout consacré à la littérature québécoise, Ma page littéraire : (http://dominiqueblondeaumapagelitteraire.blogspot.com/)