Le poids de la neige ♦ Christian-Guay-Poliquin

Par Marie-Claude Rioux

Je garde un souvenir indélogeable du premier roman de Christian Guay-Poliquin, j'étais envoûtée. Le fil des kilomètres. C'était en 2014. Je ne me souviens plus comment ce roman est arrivé entre mes mains. Mais je me souviens que dès les premières pages lues, Depuis, aux aguets, j'attendais son nouveau roman comme on attend le printemps. C'est au salon du livre de Québec que j'ai appris de son éditeur qu'un nouveau roman paraîtrait cet automne.

Je me souviens avoir écris: " Le fil des kilomètres est de ces romans qui se laissent apprivoiser lentement, page après page. C'est de la littérature faite pour durer. On avance en dents de scie, hypnotisé par cette route qui ne semble jamais finir. On en ressort troublé, pensif. Et habité."

Oui, j'ai longtemps été habité par ce roman, par son atmosphère et sa fascinante lenteur. Ce roman n'a pas, à ma connaissance, fait le bruit qu'il aurait dû. Et c'est dommage - mais il n'est jamais trop tard pour y remédier! Il faut dire que la lenteur, ce n'est pas très vendeur. Il faut que ça bouge. Il faut du palpitant, du croustillant. Dans la vie comme dans les romans. Si j'aime bien les intrigues qui progressent à bride abattue, j'apprécie aussi - voire de plus en plus - les histoires qui prennent leur temps, instaurant une ambiance forte, progressant au compte-gouttes, respirant un mot à la fois.

Et c'est précisément ce que j'ai retrouvé avec Le poids de la neige. La magie a de nouveau opéré. Ce deuxième roman est une "suite" du Fil des kilomètres, quoique les deux romanspeuvent parfaitement être lus de façon autonome.

Il n'y a plus d'électricité. Les moyens de communication sont coupés. Les réserves de nourriture et d'essence s'épuisent. Le bois pour chauffer aussi. C'est l'hiver. Il fait froid. La neige s'accumule.

Le narrateur, début trentaine, revenait dans son village natal pour visiter son père. Il n'est pas arrivé à temps. Son père est mort avant. En route, tout près du point d'arrivée, il a fait un accident et a bien failli y rester. Ses oncles et ses tantes auraient pu l'accueillir et s'occuper de lui, mais ils ont décidé de quitter le village pour rejoindre leur camp de chasse.

Couché sur un sofa, dans la cuisine d'été d'une grande demeure abandonnée en haut d'une colline, à une heure de marche du village le plus proche, notre homme tente de regagner des forces. Immobilisé, les jambes cassées. Muet, volontairement. Le vieux Matthias veille sur lui. Cet homme s'est retrouvé pris au piège du village après la coupure d'électricité.

[...] J'avais besoin d'une pause. J'avais besoin d'air. Alors je suis parti pour une semaine, avec ma vieille voiture. Rouler et voir du pays. Voir du pays et rouler. Faire une grande boucle, puis retourner auprès de ma femme, la tête reposée. Après quelques jours, je suis tombé en panne en pleine forêt. J'ai marché jusqu'ici pour trouver un mécanicien. Puis, l'électricité a été coupée. Il n'y avait pas d'issue. Alors, je me suis installé ici. Et, un soir, le piège s'est refermé. On m'a amené un jeune homme estropié et fiévreux. C'était toi.

En prenant soin du blessé, Matthias s'assure d'être ravitaillé en nourriture, en bois, et surtout d'une place dans le convoi qui doit partir au printemps vers la ville où vit sa femme malade. Parce que lui, tout ce qui l'intéresse, c'est de retrouver sa femme.

Près du poêle qui chauffe, les deux hommes se zieutent, finissent par se parler, jouent aux échecs. Si la tension est souvent palpable, quelques coups du sort les forcent à se rapprocher. La visite se fait rare, mais à l'occasion, certains font un détour pour venir voir le blessé, donner des nouvelles du village et ravitailler les deux hommes. L'arrivée du printemps et la remise sur pied de l'homme ravivent l'espoir: celui de partir et d'aller voir ailleurs.

se déroulait dans l'habitacle étouffant d'une voiture. Le fil des kilomètres Le poids de la neige se passe entre quatre murs, avec quelques échappées dans le froid de l'hiver. J'ai retrouvé ici la même atmosphère que celle qui m'avait envoûtée en lisant le premier roman du jeune Québécois. L'écriture sèche et saccadée de Christian Guay-Poliquin, le sens du détail et l'art de la description jouent pour beaucoup dans l'envoûtement suscité par son roman.

La neige, avec ses tempêtes, ses vents et son verglas, est omniprésente, constituant à elle seule un personnage menaçant. Jamais l'hiver n'aura été aussi blanc et lourd...

C'est un décor sans issue. Les montagnes découpent l'horizon, la forêt nous cerne de toute part et la neige crève les yeux.

Nous sommes pris au piège dans une mer de glace. Vingt mille lieues sous l'hiver.

J'ai souvent besoin de comprendre le pourquoi du comment. Étonnamment, j'aime ici que tout ne soit pas expliqué, décortiqué. Rien sur l'origine de la panne d'électricité, rien sur la situation du reste du monde. L'univers mis en place est réduit à sa plus simple expression: des hommes et des femmes font face aux éléments et tentent de survivre. Rien d'extraordinaire ne vient se mettre en travers de leur vie (bêtes féroces, hommes menaçants). Le roman en devient d'autant plus angoissant, parce que son authenticité plus réelle.

Le poids de la neige est un vrai beau roman, un roman rare qui révèle un grand auteur, de ceux qui savent jouer de la simplicité pour donner un sens à une vie qui semble en être dépourvu. Comme quoi il n'est pas besoin de sortir les feux d'artifices et l'abracadabrant pour signer un roman fort, puissant. Les derniers mots du Poids de la neige appellent - exigent - un troisième roman, roman que j'attendrai patiemment. Et puis, pourquoi pas un quatrième. Ainsi, chaque saison aura son roman!

Le poids de la neige, Christian Guay-Poliquin, La Peuplade, 312 pages, 2016.

Amis français et belges, Le fils des kilomètres est publié en France chez Phébus.