Cédric Gras. (c) Julien Falsimagne.
Les guerres se suivent et s'effacent les unes les autres. Pour le moment, on ne parle, et à raison, que d'Alep. Les guerres se dépassent dans le fil des actualités. S'effacent-elles pour autant? Non, bien sûr. Mais on oublie. Tiens, si je vous dis Ukraine, vous la datez de quand, cette guerre récente? La révolution de Maïdan. 20..? Non, c'est l'hiver à 2014. Hier.
Un premier roman mais un cinquième livre. "Avant", précise Cédric Gras, "j'ai publié quatre livres, trois chez Phébus et un chez Stock. Un recueil de nouvelles et trois récits de voyage." - chez Libretto et Folio en format de poche. Ici le jeune écrivain voyageur - il est né en 1982 - entre de plain-pied dans la fiction, sans délaisser ses terres favorites. Il met en scène deux amis d'enfance qui se retrouvent à l'occasion de la guerre civile. Vladlen est le chef d'orchestre de l'opéra de Donetsk et Emile est cadre dans l'industrie charbonnière. "Vladlen, contraction de VLADimir et LENine, était un prénom usuel hier", explique l'écrivain. "Les derniers sont nés dans les années 1970-1980. Le "mien" est donc de la dernière série. Quant à Emile, je lui ai donné ce prénom pour Zola, chantre des bassins miniers." Deux personnages fictifs mais qui réunissent chacun une dizaine de personnages réels.
Au-delà des anecdotes des prénoms, l'ancien violoniste réussit à nous captiver avec son histoire ancrée dans l'Histoire. "Lors de la guerre d’Ukraine", se souvient-il, "je me suis retrouvé dans la situation de vouloir comprendre les uns et les autres. D'où les deux personnages qui représentent chacun une des deux parties en présence."
On suit avec intérêt Vladlen, Emile, et les femmes qui sont dans leur ombre. Essénia, la violoniste de l'orchestre, personnalité libre s'il en est, Zlata dont l'existence a fait un détour par le Portugal. L'occasion de mieux saisir ce qu'est le quotidien d'une guerre civile et de ses prémices, combien elle intervient sur les êtres, les couples, les familles. Rien d'ennuyeux toutefois car Cédric Gras pratique une forme d'humour qui tient l'horreur à distance tout en l'invitant dans le récit. Il y a la fuite éperdue des deux personnages principaux à bord de leur vieille Lada, poursuivis par des séparatistes peu engageants. Mais très engagés. La traversée de leur Donbass natal en guerre, les rencontres qu'ils y font. L'avenir à redéployer.
"Dans ce roman", sourit l'auteur, "je n’ai rien inventé. La situation était assez ubuesque pour qu'on s’arrête là. Il y a eu les faits. J'ai pris des notes, eu quelques conversations. J'ai fait ma petite cuisine à partir de ces éléments." En commençant l'écriture par le milieu, par la scène du check-point, le "blok-post" comme on dit là. "Les check-points, c'est comme ça que commence une guerre civile, partout dans le monde", remarque-t-il au passage.
Cédric Gras.
"Le road-movie demande des anti-héros", conclut l'auteur de ce roman aussi passionnant qu'original qu'est "Anthracite". "Je voulais dénoncer par l'humour l'absurdité de cette guerre. Je me suis beaucoup amusé à l’écrire. J'ai été pris personnellement dans ce conflit, avec des sentiments contradictoires. Ecrire ce livre a été une manière de faire dialoguer mes deux façons de voir le conflit, de l'exorciser et de passer à autre chose."Cédric Gras nous offre un premier roman à facettes comme un morceau d'anthracite brillant qu'on tournerait dans sa main.